Le pessimiste Alfonso Cuaron délivre, dans ce film, la vision d’un futur partagé entre terrorisme et totalitarisme d’Etat...
L’histoire
En 2027, dans une société futuriste où les êtres humains ne parviennent plus à se reproduire, l’annonce de la mort de la plus jeune personne, âgée de 18 ans, met la population en émoi. Au même moment, une femme tombe enceinte - un fait qui ne s’est pas produit depuis une vingtaine d’années - et devient par la même occasion la personne la plus enviée et la plus recherchée de la Terre. Un homme est chargé de sa protection...
L’Homme doit disparaître
Inspiré du roman éponyme de PD James, la reine du polar britannique, Les Fils de l’homme saisit tant par sa brutalité que par son propos. Oscillant entre la bizarrerie rétro-futuriste du Bienvenue à Gattaca d’Andrew Niccol et l’apologie de la liberté façon V pour Vendetta des frères Wachowski, le film qu’on peut penser comme une actualisation intelligente du 1984 de George Orwell présente une Grande-Bretagne des plus décadentes, au bord du chaos social, et qui semble avoir cédé aux pires sirènes idéologiques. Si l’Angleterre a résisté aux guerres civiles, à l’épuisement des ressources, la "protection" qu’elle garantit a en effet un prix, celui d’une terrible dictature policière. Dans un contexte fort oppressif, quelques résistants tentent encore de contester l’élite totalitaire en place en refusant de rejoindre le troupeau des (impuissants) asservis. Seuls quelques animaux paraissent libres alors, devant cette fin annoncée du règne humain...
Tandis que les adeptes de Panurge pleurent, lors de la première séquence, la mort soudaine de Bébé Diego, qui était le plus jeune être humain sur Terre, l’employé de bureau Théo (Clive Owen), qui louche du côté d’un Joseph K. dans Le Procès, préfère garder les pieds sur terre. Dans cet horizon absolument funeste puisqu’aucune femme ne peut plus procréer (sans qu’on sache au juste quelle en est la raison : épidémie, désastre écologique ?), et où la société Quietus vend des "kits de suicide", l’anti-héros ex-militant qui déambule dans un Londres devenu décharge publique, ressemble fortement à celui de Brazil ou de Blade Runner. Il traverse sans y adhérer la déliquescence ambiante, celle d’une humanité devenue stérile, dans tous les sens du terme, que ne compensent en rien les écrans géants qui beuglent leurs slogans publicitaires abscons ou leurs messages politiques effrayants - employer, nourrir, loger des clandestins est un délit. L’humanité ici est en voie d’extinction : partout défilent des cohortes d’individus hagards tandis qu’on voit passer des gueux entassés dans des wagons grillagés...
C’est Theo (prénom fort divin) qui va devoir aider la première femme féconde depuis vingt ans à faire naître son enfant, symbole absolu de tous les possibles... et d’une renaissance de tous.
No future
Jusqu’au bout on hésite sur le sens majeur de cette noire anticipation, une sorte de science-fiction sociale où tout progrès technique semble caduc : dans ce climat anxiogène, faut-il mettre l’accent sur l’immigration des étrangers issus des pays en voie de développement dans les pays "riches" ? Ou sur les dérèglements génétiques induits par un vaste processus de pollution de la planète ? Ne convient-il pas plutôt d’insister sur le climat généralisé de désordre et de violence qui règne, dont la conséquence est une fascisation de la politique ?
Une chose est certaine, le pessimiste Alfonso Cuaron délivre sans perdre une minute, à coups de plans-séquences d’une absolue maîtrise, un thriller de science-fiction où il est fort délicat de distinguer les bons des méchants. Les valeurs morales se seraient-elles elles aussi dissoutes ? Étrangers parqués, groupuscules activistes ultraviolents, armée omniprésente, les coups pleuvent de partout - mention spéciale pour les scènes de guerilla filmées façon reportage caméra à l’épaule, avec de réalistes gouttes de sang sur l’objectif ! - sur fond de rengaine pinkfloydienne, de ruines urbaines et de massacres fratricides, pour composer une inquiétante haie d’honneur au petit d’homme, ce Jésus noir que Théo tente de préserver par tous les moyens de la convoitise qui pèse sur lui.
Terrorisme, mouvements migratoires incontrôlables et État totalitaire : voilà un futur bien imparfait, en définitive.
Les Fils de l’homme - Édition collector
Réalisateur :
Alfonso Cuaron
Distribution :
Clive Owen, Julianne Moore, Pam Ferris, Michael Caine, Danny Huston, Clare-Hope Ashitey
Suppléments :
Court making-of des séquences dangereuses. Commentaire de Slavoj Zizek. Scènes inédites. Theo et Julian. Style futuriste. La création du bébé. Documentaire.
Durée :
109 mn
frederic grolleau
Alfonso Cuaron, Les Fils de l’homme - édition collector, Universal Pictures, avril 2007 - 19,99 €. | ||
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