Portrait d’une petite maison d’édition parisienne qui monte, qui monte....
Les passeurs sans souci
Accéder à la maison d’édition parisienne Le Passage, cela se mérite. Il faut, après avoir résisté au vibrant appel d’une Guiness, la bière-chocolat, au Kilty’s de la rue de la Roquette, s’engouffrer, sans trembler ni faillir, dans une étroite allée toute en pavements du n° 2, qui vous mène au fond d’une impasse. Là vous attend le salutaire escalier B qui vous permettra, au troisième étage, de pénétrer dans le sanctuaire des dieux. Preuve est faite que l’impasse n’en est pas une puisqu’elle débouche sur un lieu de lumière et de chaleur, ouvert aux infinis cheminement des livres, sagement alignés au gré de leur format sur les étagères murales...
En une seule vaste et grande pièce donnant sur cour où trônent ordinateurs et bureaux se trouve résumé l’esprit du Passage : pas de décor Potemkine, les personnes qu’on y rencontre occupent tous les postes de la chaîne éditoriale et sont à pied d’oeuvre pour travailler, dénicher, lire, corriger, maquetter, faire imprimer et suivre chaque titre dans sa nouvelle vie au long cours médiatique qui l’attend. De l’opiniâtreté et de la patience, il leur en a fallu à Marike Gauthier et Yann Briand (ci-contre) , à l’origine de la maison fondée en 2001, suite à la disparition des éditions Abbeville, pour s’imposer sur le difficile marché des éditeurs. Bientôt rejoint par Barthélémy Chapelet (qui tient les manettes des finances, poste stratégique s’il en fût), l’équipe a su imposer un catalogue où se détachent trois pôles :
- La littérature générale (avec une place de choix accordée aux polars via la collection polarchives dirigée par Gérard Streiff, avec entre autres Disparu en mai 68 de Noël Simsolo, Fausse commune d’Alain Bellet et L’inconnu du Paris-Rome de Gilda Piersanti)
- Les essais/documents autour de l’histoire de l’art et l’esthétique (cf. Le jazz et les gangsters, de Ronald D. Morris, Dali, désirs inassouvis de Jean-Louis Gaillemin, Miaulique de Jean-Claude Lebensztejn)
- Les guides des musées en coédition ou partenariats (notamment avec le Musée des arts décoratifs et Paris Bibliothèques), tels que Le Marais. Guide historique et architectural, d’Alexandre Gady, le Guide d’architecture de la Métropole lilloise, l’étonnant catalogue bilingue dédié aux Cintres/Hangers, de Daniel Rozensztroch ou Le Cas du Sac, catalogue de l’exposition du musée des arts décoratifs en coédition avec Hermès, en cours de réalisation lors de ma visite.
"Frustrée" de l’édition des livres d’Art où l’illustratif l’emportait souvent sur le textuel, Marike Gauthier a profité des relations nouées grâce à feues les éditions Abbeville pour sauter le pas et s’installer dans le domaine littéraire, sous l’oeil vigilant mais protecteur du Seuil qui distribue les titres du Passage - maison éditoriale ainsi baptisée en vertu de son emplacement topographique (voir le logo) mais aussi en souvenir de l’influence durable du Livre des passages de Walter Benjamin. Lancées grâce à un titre de Martin Winckler, Les miroirs de la vie, dédié au sens des séries télé américaines, qui fit son effet auprès des journalistes, les éditions Le Passage font paraître chaque année une vingtaine d’auteurs et viennent de recevoir la reconnaissance qui consacre le travail des ses dirigeants : le prix 2004 des Deux Magots et le Prix Roger Nimier 2004 remis à Adrien Goetz, déjà remarqué l’année précédente avec Webcam, pour La dormeuse de Naples.
Secondé par un graphiste extérieur, Julien Levy, qui assure chaque couverture illustrée, le trio du Passage peut désormais compter sur le soutien de son diffuseur, des libraires et du public pour faire valoir ses choix et ses audaces en matière de politique éditoriale. Maquettés sur place, cousus et collés à façon par l’Imprimerie de la Manutention en Mayenne, les livres du Passage semblent ainsi répondre à une vocation dont on constate malheureusement qu’elle est de plus en plus absente chez maints "gros" éditeurs : la souplesse éditoriale, la curiosité, l’accueil et le suivi des auteurs. La volonté de produire encore plus de textes qui donnent du plaisir aux lecteurs.
La prudence du sieur Barthélémy (ci-contre) qui veille au grain, l’appétence textuelle de Marike, spécialiste de l’histoire de l’art et l’ouverture d’esprit de Yann, le philosophe du groupe, assortis à des tirages raisonnés de 3000 exemplaires pour les titres de littérature sont les solides fondements d’une maison que n’atteint pas la folie des grandeurs du VIe arrondissement et qui songe, pour l’heure, à développer son site Internet et absorber les 20 manuscrits par mois qu’elle reçoit.
On conseillera aux curieux de se pencher sur les deux auteurs édités pour la rentrée littéraire de septembre 2004, Valérie Tordjman, La pornographie de l’âme et Laurent Martin, Des rives lointaines... avant de se procurer le catalogue d’une maison qui gagne tant à être connue.
Les livres du Passage sur lelitteraire.com :
Marie-Ange Guillaume, La Dernière nuit
Six nouvelles qui ont la couleur de la vie - la vie que rien ne retient, ni les joies, ni les tragédies...
Valérie Tordjman, La Pornographie de l’âme
Plongée dans une époque - la fin du XIXe siècle - où "aller voir les fous" dans les asiles était érigé au rang de distraction par la bourgeoisie...
Laurent Martin, Des rives lointaines
Un roman réaliste et prolétarien, aux faux airs de polar...
Gilbert Lascault, Galaxies amoureuses
Une suite de petits textes atypiques - des variations érotiques ciselées par un poète qui s’abandonne au rêve et aux fantasmes après avoir contemplé gravures, photos et estampes - qui constituent une véritable liturgie en hommge au corps féminin.
frederic grolleau Le Passage Tel : 01 48 07 57 66
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