fredericgrolleau.com


LES CHEMINS DE LA LIBERTE (exposé 1 CPES)

Publié le 13 Décembre 2011, 11:11am

Catégories : #Philo & Cinéma

 

Exposé de Mr Régis Tardy  : Les Chemins de la liberté

 


film de Peter Weir (2010)


Avec Jim Sturgess, Ed Harris, Saoirse Ronan

Titre original : The Way Back
Long-métrage américain .
Durée : 02h14min




Ce film est adapté du récit très probablement véridique de Slavomir Rawicz :

A marche forcée.

Synopsis

Lors de la seconde guerre mondiale, des prisonniers s'évadent d'un camp de travail sibérien. Ce groupe hétérogène va s'échapper de cet enfer et, à force de volonté, acquérir de nouveau sa liberté après 10 000 km de marche à travers la Sibérie glacée, les plaines de la Mongolie, le désert de Gobi et les sommets de l’Himalaya. Certains s’arrêteront en chemin, d’autres ne survivront pas aux épreuves. L’Inde - alors sous contrôle anglais - est le but ultime.

 

Les chemins de la liberté a d’abord été mal reçu par les premières critiques. Jugement compréhensible car ce long métrage de Peter Weir est très épuré, que ce soit dans l’intrigue ou même, chose étonnante, dans l’image. A tel point que ce film a été comparé aux fameuses feuilles blanches en littérature. Cependant, des critiques plus approfondies qui ont suivi la sortie du film, ont décelé une analyse très profonde de la nature humaine voire du modèle de la société. Cela nous pousse à nous interroger sur la véritable nature du film. En effet ce parcours vers la liberté semble être en réalité un voyage initiatique permettant à l’homme, grâce au groupe, de s’accomplir pleinement. Le meilleur moyen pour l'homme de se réaliser en tant que tel est-il de vivre en société ou non ? Dans ce film il apparaît que l’homme, privé de sa liberté ne peut qu’être individualiste et égoïste : ce sera l’objet de notre première partie, nous étudierons ensuite le processus d'évolution de cette micro société, et enfin comment celle-ci peut et doit faire naître et fructifier les valeurs humanistes de l'individu.

I)L’homme privé de sa liberté doit être individualiste et égoïste pour survivre.
 

Les premières scènes du film sont consacrées à la représentation de la vie du condamné dans un camp de travail en Sibérie. Il se retrouve tout seul. Peter Weir insiste alors sur le fait que, dans cette situation, l'homme, pour survivre, est contraint à l’individualisme. Il devient alors l'esclave et le jouet de sa partie bestiale. Il se révèle sans pitié dès qu’il comprend qu’il n’y pas d’autres moyens pour conserver un semblant de vie. Il doit tirer parti de tout, tant du peu de nourriture qu'on lui concède, que de l'eau croupissante et boueuse, ou même de l’écorce d’arbre qu'il avale avec avidité. Il constate alors que même l'aide qu'il pourrait apporter à un mourant ne lui serrait d'aucun secours : ce dernier mourra de toutes façons le lendemain. Il apparaît alors une véritable haine du prochain car tous deux sont engagés dans la course et la compétition pour la survie.

Nous constatons donc que l'homme seul et enfermé devient égoïste et individualiste. Mais ce n'est pas tout il doit aussi se méfier de tous ceux qui l'entourent. Disparaît alors toute confiance. Toute action entreprise se fait en cachette. Tout succès s'acquiert par soi-même ; il n'y a donc aucune cohésion possible dans ce lieu. Le voisin peut mourir, la seule préoccupation de ses compagnons sera de le faire disparaître au plus vite dans un pur souci d’égoïsme : éviter d'être contaminé par une maladie. Il n'y a donc même plus le respect du mort et de la mort. Nous disons souvent et cela avec raison que l'homme se montre vraiment homme lorsqu'il rend un culte à ses morts en les ensevelissant. Nous pouvons donc affirmer que l'homme seul perd progressivement son humanité, en clair tout ce qui fait de lui véritablement un homme.

Enfin, dans le cas précis du goulag, pour survivre, l'homme a besoin d'un but, d'une fin qu'il se donne ou s’invente afin de garder l’espérance, vertu vitale dans ce genre de situation, car l'homme ne peut même plus compter sur sa liberté de mouvement. Ainsi il se trouve des condamnés capables de vivre de l'espoir des autres, même s'il faut pour cela lui faire perdre tout espoir. L'un fera ainsi croire à son compagnon que l'évasion est possible et se complaira dans ce rêve. Le monde de l'individualité est donc le monde de l'égoïsme, de la cruauté, et de la profonde indifférence pour son prochain. Cette détresse les pousse même à s'entre tuer pour survivre. Cette solitude entraîne enfin la perte de la dernière liberté que possède l'homme lorsqu'il est fait prisonnier, à savoir, la liberté de pensée. Le fait de se recroqueviller sur lui-même pousse l'individu à esclavager son esprit, son jugement. Il ne pense plus, il attend que les événements suivent leur cours, il subit littéralement sa condition. Cela concorde avec les témoignages des personnes ayant survécu à un tel emprisonnement ; ils disent qu'à ce moment ultime, ils perdaient tout, jusqu'à leur liberté de pensée, dernière chose pourtant qui leur restait.

 

II) Organisation progressive et rapide d’une société

Dans cet enfer, un groupe hétérogène essaie de se former dans le seul but de tenter l'impossible c'est à dire, l'évasion. Ce projet réussit et ce groupe devient progressivement une véritable micro société. En effet, les hommes vivent en totale autarcie, ils se procurent eux-mêmes toute la nourriture dont ils ont besoin, ils se fabriquent de leur propre main les objets nécessaires à leur marche, comme les chaussures, ou les vêtements de protection. C’est le cas du masque contre la tempête de neige fabriqué avec des écorces :


Cette vie en autarcie est d’ailleurs une nécessité, tout contact avec la population pourrait les dénoncer. Nous remarquons très vite qu'il n'y a pas véritablement de héros dans ce film : c'est en réalité le groupe entier, cette micro société qui en a le statut. Toutefois, ce groupe garde au départ une attitude de bête traquée. Les hommes fuient en se méfiant de tout ce qui les entoure et nous les voyons se replier sur eux-mêmes, ce qui les contraint rapidement à vivre ensemble et à briser cet individualisme qui régnait dans le camp.

Ainsi, cette micro société va rapidement prendre une forme qu'elle va conserver jusqu'à la fin. Personne ne peut en effet se procurer tout ce qui lui est nécessaire pour survivre dans cette immensité de nature hostile qui les entoure. Ils se retrouvent en effet dans une situation où ils ne sont rien face à l'infini de la nature. Ils ne savent qu'une seule chose c'est que seule leur intelligence et leur volonté, c'est à dire ce qui fait d'eux des hommes, pourra les sortir de là et les écarter de la mort. Peter Weir va ainsi insister longuement sur des images où l’homme est un petit point perdu dans l’immensité de l’étendue du désert. Ces images symbolisent évidemment la petitesse et l’incapacité de l’homme face à la nature et à l’infini. L’homme devient en effet un point sur l’image qui ne comporte plus qu’une immense étendue de désert. Grâce à cela, le réalisateur veut insister sur la fragilité de l’homme par rapport à la nature qui l’entoure, nature féroce et impitoyable. L’homme ne peut rien face à elle, il est totalement démuni. L’homme est le jouet de la mer qu’il a dû apprendre à connaître, il était la victime du feu avant d’avoir réussi à le maîtriser, il est toujours dépendant de la nature et de ses caprices pour se nourrir. Il ressemble au grain de sable au regard de cet infiniment grand. Peter Weir voulait certainement nous faire sentir et même appréhender cette réalité. Nous savons en effet que de nombreux savants et ingénieurs veulent à tout prix prouver que l’homme est le maître de la nature qui l’entoure. Or, cette observation pleine de bon sens de Peter Weir vient nous rappeler la faiblesse de l’homme et son incapacité à régir les lois qui gouvernent la nature. C’est l’exacte pensée de Pascal qui ne peut oublier les innombrables faiblesses humaines et compare ainsi l’homme, dans ses Pensées, à un roseau. Cependant, il reste grand par la pensée d’où l’expression du « roseau pensant »

Conscients de leurs faiblesses, ils décident de tout mettre en commun. Cette attitude rejoint la fameuse thèse de Rousseau qu'il développe dans le Contrat Social et qu'il résume en cette phrase : « chacun de nous met en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale ; et nous recevons encore chaque membre comme partie indivisible du tout. » cette union ne les immunise évidemment pas contre la mort qui va jalonner leur route. Le premier succombe peu de temps après l'évasion. En face de la mort, leur première réaction est le désespoir. Ils sont totalement bouleversés, car ils se rendent compte que cette épopée ne se fera pas sans souffrance et que tous n'y arriveront pas. Ils comprennent néanmoins que la mort ne doit pas être pour eux un sujet d'abattement. Ils apprennent à vivre avec elle et lorsque le dessinateur meurt, c'est dans une atmosphère de quiétude. Peter Weir veut nous enseigner par là, dans le même esprit que les stoïciens, que la mort ne doit pas nous obséder l'esprit et nous empêcher ainsi de vivre, elle est une réalité. Il a aussi l'intention de montrer que lorsque la société a peur de la mort, elle n'avance pas, ne progresse pas, surtout lorsque c'est l'élite intellectuelle qui est touchée par cette peur naturelle mais infantile. En effet, celui qui n'a pas appris à apprivoiser la mort n'a pas vraiment compris la substance de toute vie, la mort en est l'aboutissement. C’est bien la seule vérité lorsque nous venons au monde. Il faut donc apprendre à composer sa vie autour de cet élément certain ; ce que va rapidement comprendre ce groupe d'évadés.



III)comment cette micro société peut et doit faire naître et fructifier les valeurs humanistes de l'individu ?



Tout d'abord, grâce à la société, l'individualisme qui régnait dans le camp de travail disparaît au profit de l'entre-aide, seul moyen efficace pour eux de survivre, car lorsque quelqu'un est fatigué, son voisin, davantage en forme à ce moment, va lui porter secours et lorsque celui-ci sera à bout de force, ce sera au tour de son compagnon de lui venir en aide. Et chacun le fait dans la mesure de ses moyens et avec les compétences qu'il a. C'est ce genre d'attitude qui renforce la cohésion de tout groupe. Prenons l'exemple de Kristina qui va soigner les plaies de monsieur Smith au moment où il est prêt à abandonner. Elle-même va être portée par l'un de ses compagnons après s’être écroulée dons le sable du désert de Gobi. Nous comprenons mieux alors la valeur du don de soi et du service. N’était-ce pas l'idéal des jeunes partis mourir pour leur patrie lors des deux Guerres Mondiales ou même celui des scouts dont la France est le modèle ? L'enseignement que nous devons en tirer est que la société a sans cesse besoin d'hommes qui à différents niveaux sont prêts à se sacrifier pour leur pays auquel ils doivent beaucoup. Et ce n'est qu'à ce moment qu’apparaît une véritable amitié telle que la définit Aristote dans l’Éthique à Nicomaque (livre VIII, 1). On parvient au sacrifice sublime et au renoncement que l'on peut qualifier de divin car l'homme est alors capable de se sacrifier pour le bien commun. Et c'est la définition latine de l'amitié : eadem velle, eadem nolle, ea vera amicitia.

Pour mieux comprendre la place qu'occupe la notion de société dans le film, nous pouvons souligner que les seuls points qui divergent d'avec le livre sont des points qui permettent de mieux mettre en valeur ce groupe organisé en micro société. C'est le cas par exemple de l'implication de Kristina au sein du groupe. En effet, elle devient dans le film la confidente de ses compagnons, ce qui n'est pas le cas dans le livre. Enfin, la société va permettre que chacun par son rôle et ce qu’il représente participe au bien commun. La crapule devient le protecteur, symbole de l'ordre public. Monsieur Smith est le symbole de la sagesse possédée acquise par l'expérience. Le rôle le plus significatif est celui du comique, symbole des arts. D'un point de vue matérialiste ils seraient inutiles. De fait, nous remarquons qu'ils sont indispensables. Ils vont empêcher les hommes de flancher, ils vont les soutenir dans les moments de faiblesses morales. En effet : « personne ne peut vivre sans délectation. C'est pourquoi celui qui est privé des délectations spirituelles passe aux charnelles » l'art va leur apprendre la modération, la joie.

Enfin, la vie en société leur apprend à appliquer les vertus fondamentales qui sont aussi les vertus théologales. Dans son texte Les Vertus, Alain montre que la vertu de foi est indispensable car si nous ne croyons pas, nous ne pouvons pas y arriver. C'est la même chose pour l’espérance : si nous n'espérons pas que l'épreuve soit moins dure que ce que nous appréhendions au départ, nous avons peu de chance de réunir la force nécessaire afin de sortir de cette épreuve. Enfin la vertu qui va coordonner les autres est la vertu de charité ; elle amène la bienveillance envers son prochain et permet de conserver et de développer l'amitié sociale. C'est en effet l'amitié sociale qui est la base de la société. Et soulignons enfin l'importance de la société pour augmenter les connaissances de l'individu et pour faire progresser la société d'un point de vue matériel. Nous voyons en effet dans le film Ianoutch utiliser sa science et la transmettre aux autres pour se diriger grâce à la mousse sur les arbres(la mousse se situe sur la face sud de l'arbre). Chacun a des connaissances mais seule la société d'échanger ces connaissances. Nous pouvons ainsi nous servir des découvertes d'autrui (pensons aux champignons : nous nous servons des découvertes et études d’autrui pour les connaître)

Ainsi, ce film nous permet d'étudier la place de l'homme dans la nature. Et sa seule place est au sein d'une société dans laquelle il pourra développer ses qualités humanistes, pour s'affranchir de son état primitif bestial. La définition de cette société salvatrice exposée par Les Chemins de la liberté réside dans un groupe d'hommes autonomes, unis grâce à un climat d'amitié entre tous les membres et soumis à une autorité, sachant que sa cause finale est le bien commun du groupe. Cela passe évidemment par la paix et la jouissance. C'est ainsi que nous pouvons comprendre la définition que fait Aristote de l'homme: l'homme est un animal social. La vraie liberté de ces hommes commence donc par la liberté physique avant de les conduire à la véritable liberté, celle de l’ homme accompli capable de se maîtriser et de se sacrifier pour le bien commun. Enfin, soulignons que comme dans le Truman Show, du même réalisateur, c'est l'amour qui guide l’homme vers cette liberté.

   

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :

Commenter cet article