Terreur sur la ville. Inspecteur du Los Angeles Police Department, Edgar Harris se trouve confronté à une série de disparitions et de meurtres inexpliqués.
Brusquement mêlé au milieu des sectes qui lui rappelle son enfance, le policier black doit faire toute la lumière sur une affaire de plus en plus ténébreuse.... Nouveaux venus dans la bande dessinée, Michael Le Galli et Emmanuel Michalak frappent fort avec ce thriller fantastique [1]. Série prévue en 5 albums, Les Cercles d’Akamoth invitent les lecteurs à un moderne parcours initiatique entre le Ciel et l’Abîme. Cartographie des lieux en avant-première avec les deux auteurs.
F.G : Quelles sont les origines de l’histoire ? Pouvez-vous en présenter les grands axes ?
Michael Le Galli : En septembre 2000, Emmanuel et moi avons présenté un projet de polar psychologique et intimiste aux éditions Delcourt... qui a été refusé. Mais François Capuron nous a invité à lui soumettre un autre projet pour la collection Machination qu’il souhaitait développer. Quelques mois plus tard naissaient Les Cercles, à partir de trois idées principales : - la notion de séparation du corps et de l’âme avec la possibilité " scientifique " d’aspirer puis de "stocker" des âmes. - l’idée d’un piège tendu par le Démiurge (Ialbadaoth, le Dieu des Juifs/chrétiens) - qui n’est pas le vrai Dieu tout puissant (le Prôpator) - à Lucifer, assimilé à Akamoth qui a chuté du Cercle Divin.
Cela en relation avec les thèses gnostiques (le nom d’AKAMOTH ou Achamoth renvoie aux hérétiques du début de l’ère chrétienne - IIème/ IVème siècles), les hérésies plus récentes des Labadistes) et le livre que Papini a consacré au Diable. - l’histoire d’un flic (noir) à Los Angeles que je pourrai raconter à ma manière, en hommage au trio " infernal " : Ellroy/Bunker/M. Connelly).
Ces trois points reliés, j’ai intégré à l’ensemble la Silhouette Noire - issue d’un projet personnel d’Emmanuel et personnage qui lui tenait à cœur, permettant ici une circularité entre la première et la dernière pages de l’album. L’aspect fantastique des Cercles s’en est trouvé considérablement renforcé, en même temps que le concept de complot mystico-scientifico-financier sous l’égide duquel se range ces aventures d’Edgar aidait à articuler et structurer le tout.
F.G : Quel est le parcours de chacun de vous deux ?
Emmanuel :Vers l’âge de 10 ans j’ai décidé d’être dessinateur de BD. J’ai commencé en imitant les styles de Gotlib, Solé, Bilal & Moébius, Hugo Pratt & Tardi, et en reproduisant des photos. A 20 ans, j’ai intégré les Beaux arts de Reims, pour rejoindre l’atelier de BD et de communications. J’y ai surtout étudié le croquis sur modèle, la sculpture, la peinture, l’histoire de l’Art, et la perspective. Quelques projets de BD en parallèle plus tard, j’ai rencontré Michaël Le Galli avec qui j’ai proposé un premier projet, " Au Nom du Père ", polar psychologique malheureusement refusé à peu près partout.
Michaël : J’ai suivi un " parcours initiatique ". D’abord, enfant, la bande dessinée franco-belge : Tintin, Lucky Luke et Blueberry puis l’abonnement au journal Tintin. La découverte, émerveillé, et en cachette, des œuvres d’Hugo Pratt (resté pour moi l’Auteur incontournable) et des premiers numéros de Fluide Glacial (j’ai vite décroché après l’adolescence !) demeure un moment fort de mes 10 ans. Puis, adolescent, la gestion d’une Bdthèque pendant une quinzaine d’années, avec plus de 5000 bandes dessinées à ma disposition ! L’instant de grâce a eu lieu lorsque, adulte, j’ai entrepris, au cours de mes études d’ethnologie, des recherches sur la bande dessinée (Maîtrise sur les relations entre la Bretagne légendaire et la BD).
Dans le cadre d’un doctorat voué aux auteurs de bandes dessinées j’ai décidé de suivre " de l’intérieur " l’évolution d’un projet de BD en adoptant la position d’un scénariste (je ne sais absolument pas dessiner !). Le scénariste Dieter, rencontré à Quai des Bulles (où j’ai animé de nombreuses conférences à partir de 1997) m’a généreusement aidé en m’apprenant les bases du scénario BD. Conséquence : l’abandon de mes recherches d’ethno pour me consacrer au scénario. J’ai ensuite continué à travailler mes techniques narratives avec David Chauvel, puis j’ai rencontré Emmanuel Michalak fin 1999.
F.G : Quelles technique suivez-vous , de quelle manière vous répartissez-vous le travail ?
Michaël : Après avoir rédigé un synopsis/séquentiel dialogué de l’album, je découpe chaque planche, case après case avec échelle des plans, cadrages, description et dialogues. Ce découpage est envoyé par mail à Emmanuel qui le met en image en y apportant des améliorations. Une fois un story board réalisé par ses soins, nous retravaillons ensemble le découpage, ainsi que les dialogues, par téléphone et par e-mail. Il m’arrive simplement de revenir sur certains dialogues quand les planches encrées.
Emmanuel : La première semaine du mois, je travaille sur les découpages. Comme je n’arrive pas à obtenir quelque chose de potable du premier jet, j’applique la méthode apprise en sculpture. Je pose une matière grossière (composé de croquis illisibles illustrant les images évoquées), sans réfléchir, que je remodèle par la suite. Je dégage ainsi l’essence de la planche, déterminant l’espace que je dois accorder à chaque case et à sa position dans la planche. Je retravaille les cadrages pour dégager une harmonie des cases les unes par rapport aux autres.
Dans un souci de simplicité ,je n’utilise souvent que trois positions de camera, convoquant souvent le travelling pour les montées et les descentes d’ambiance, et de champ contre-champ, pour obtenir les chocs et autres points forts. Le découpage établi, et accepté par Michaël, je l’imprime au jaune à 180 %. Quand je tiens la forme, je crayonne et encre directement dessus. Sinon, je fais mon crayonné " dégueulasse " habituel, que je rescanne et réimprime en jaune pour la réalisation finale. L’encrage est fait avec des stylo billes, stylo plumes et autres marqueurs. Pour la couleur, je fais entièrement confiance à Fabrice Besson (coloriste de Vauriens 3) à qui je ne donne, de-ci de-là, que les indications d’ambiance.
F.G : Quels sont les modèles qui influencent les codes graphiques de cet univers ?
Emmanuel : Je voulais établir un style que j’aurais envie d’assurer sur la continuité de 5 albums. Je suis parti sur le choix d’un dessin réaliste, qui consonne avec l’histoire, mais il s’est avéré qu’une telle perspective me limitait dans les choix d’expressions des personnages. En revanche, une meilleure expressivité était possible dès lors que j’osais caricaturé le dessin, ce qui n’était pas sans me causer quelques frayeurs ! Or la lecture de la série Le poisson clown, de Chauvel et Simon, m’a conforté dans ce choix de faire coïncider un dessin semi réaliste, voire humoristique, avec une histoire tout ce qu’il y a de plus réaliste. Je ne vais pas ici aussi loin que Simon, je l’accorde, mais cette " liberté " que je me suis autorisée m’a donné plus d’aisance.
Je ne sais plus trop aujourd’hui ce qui m’influence. En 94/95, je m’inspirais énormément du travail d’Alexis, et du Démon des Glaces de Tardi avec un dessin proche de la gravure. Je m’en servais pour me dégager de l’influence des dessins et peintures d’Honoré Daumier ( caricaturiste, et artiste du XIXème siècle ). Comme les éditeurs rencontrés à cette époque avait critiqué le côté vieillot de mon dessin, je me suis dirigé vers une ligne claire et des à-plats de noir pour le travail de lumière. J’ai appris aussi à faire confiance au travail de la couleur, et à lui laisser de la place. Le dessin et l’encrage de Rossi dans La Gloire d’Héra m’a apporté beaucoup de choses, des questions comme des réponses. Les Spaghetti Brothers de Mandrafina et Trillo également. Quant au cinéma, comment contester qu’il influence mon sens du découpage ? Cela étant, je ne pourrais pas citer de réalisateur ou de film particuliers : mes goûts de Tati à Peter Jackson...
F.G : S’il fallait présenter Edgar en quelques lignes, que diriez-vous ?
Michaël : Edgar Harris est issu d’une famille pauvre originaire de Louisiane. Marié à une femme blanche, père d’une fille métis de 16 ans, il habite le quartier tranquille de Westwood. Lorsque l’histoire commence, Edgar a une vie plutôt " tranquille ". Quoique... Impulsif de nature, il entretient des rapports " difficiles " avec tous ceux qui l’entourent : sa femme, sa mère, sa hiérarchie. L’enquête sur les " Sans Âme ", ces personnes qui errent dans la ville comme vidées d’elles-mêmes, va bouleverser ce fragile équilibre. L’intrigue bascule alors peu à peu dans un fantastique angoissant, qui devint comme un miroir diffracté de l’évolution psychologique d’Edgar pris dans les rets d’une sombre machination.
F.G : Fort impulsif, Edgar n’a en même temps rien d’un ange : on le sent souvent " à la limite ", comme " fragilisé " par sa trop grande proximité avec le mal sous toutes ses formes...
Michaël : Dans mon esprit, Edgar est le garant de la loi. C’est Sa mission, presque Sa raison de vivre. Comme tout " flic " sur le terrain et particulièrement à L.A., il est parfois obligé de franchir la ligne... Il est impulsif, certes, émotif aussi, et quelques unes de ses réactions peuvent paraître démesurées. Il fait son boulot du mieux qu’il peut, avec conscience, c’est tout - étant entendu que son enfance et la pratique forcée des rituels vaudou par sa mère interviennent dans sa façon d’appréhender ce " milieu ". Mais à aucun moment Edgar ne se permet de rendre la justice lui-même. Il nous fallait présenter Edgar de façon monolithique, incarnation humaine trop humaine de la Justice, pour mieux faire apparaître ses fissures.
F.G : Quelle était votre ambition en vous attaquant à une telle histoire ? Pourquoi ce choix d’un matériau religieux comme background ?
Michael : Faire réfléchir sur la (les) croyance(s) est sans nul doute l’intention qui sous-tend Les cercles d’Akamoth, sans qu’il faille voir là quelque chose de d’édifiant ou de moralisateur, loin s’en faut. Nous étions surtout désireux d’offrir aux lecteurs plusieurs niveaux de lecture : du plus simple avec une narration linéaire classique, rythmée par une enquête haletante mâtinée de fantastique, au plus complexe en insistant sur le parcours intérieur, le cheminement moral d’Edgar. Lequel n’est d’ailleurs pas isolé dans le récit pour autant que gravitent autour de lui plusieurs personnages (Richard Wilcox, Raquelle Kalish, Ann Pilgrim, William le frère d’Edgar) dont les existences sont également développées et mises en scène.
Equilibres individuels bouleversés, comportements grégaires suspects, enthousiasmes mystiques aussi suspects qu’aliénants : Les cercles d’Akamoth de Michel Le Galli et Emmanuel Michalak invitent chacun à prendre la mesure de l’effarant engagement jusqu’au-boutiste de certaines croyances actuelles.
Projets futurs des 2 auteurs :
Emmanuel Michalak : Mes souhaits se dirigeraient plutôt vers un univers d’héroic fantasy, ou plus précisément sur du médiéval fantastique, teinté d’humour. Pour réaliser notre projet de polar psychologique " Au Nom du père ", j’envisage de me consacrer exclusivement au story board sur lequel j’ai déjà énormément travaillé. Reste à trouver un dessinateur.
Michaël Le Galli : Les projets en cours avec des dessinatrices (-teurs) :
# Une série en cours avec Marie Jaffredo chez Carabas : LES DEMONS DE MARIE : A la fin du dix-neuvième siècle un jeune et brillant aliéniste présente à ses pairs de l’Académie un projet novateur, une expérience " grandeur nature ". Il s’agit d’installer sur une île déserte une vingtaine de fous dans l’objectif de revenir vingt ans plus tard dresser un bilan... Placés sous la responsabilité d’un ancien officier de police, Clément Landelle, et d’un père jésuite, le Père Anselme, les aliénés vivent au rythme de l’autarcie insulaire. Intitulé " L’Expérience du professeur Mesmer ", le premier tome de cette histoire débute alors que le fameux aliéniste accoste sur l’île sous les yeux ébahis de Marie, la narratrice née sur l’île dans des circonstances dramatiques. L’arrivée du professeur va bouleverser le fragile équilibre instauré sur l’île par le Père Anselme depuis la mystérieuse disparition de Clément, l’ancien officier de police. Avec " La Rédemption du Père Anselme " (le deuxième tome), Marie, qui peu à peu découvre les secrets des îliens et les circonstances dramatiques de sa naissance, affirme sa personnalité et ses choix. Mais tous n’ont pas la force de caractère de Marie, et certains ne survivront pas au cataclysme provoqué par le professeur Mesmer...
# ARMAND ET EVE, une histoire délirante autour des sculptures du musée Rodin avec Estelle Meyrand " en discussion " chez divers éditeurs... Par une nuit de pleine lune, la sculpture d’Eve s’enfuit du célèbre musée Rodin pour assouvir ses pulsions jalouses : elle veut assassiner la jeune étudiante qui a charmé Monsieur Armand, le conservateur d’ordinaire si attentionné avec les sculptures de Rodin, et plus particulièrement avec elle. Avertis par la sculpture de Saint Jean Baptiste, Rod’ (statue Rodin-Satyre de Charles Leandre) et la statue de Balzac décident de sauver l’étudiante et de ramener Eve à la raison... Ainsi commence une nouvelle traversée de Paris... En se lançant à la poursuite d’Eve, Rod’ et Balzac vont rencontrer de nombreux personnages hauts en couleurs : du centaure de César aux coryphées des fontaines Wallace, l’aventure est au coin de la rue...
# Dans un univers fantasy, NALANDAË, plusieurs projets dont LE CHANT DES PROPHETIES avec Juliette Derenne, LE CHANT DE CALENHAD avec Thierry Masson et SELIO (titre provisoire) avec Thierry Maurel...
# THALIA, un projet Médiéval fantastique, avec Jean-Marc Maquin...
# un projet Steampunk, QUATUOR A CORDES ET A VAPEUR, avec Didier Mesroua
# un autre projet steampunk avec Gwénolé Le Dors... # une série Fantasy avec Kris et Lamanda (Auteurs de " Toussaint 66 " chez Delcourt, coll. Encrages) Quelques projets sans dessinateurs (-trices) # une histoire romantique (dans le sens tragique du terme) qui se déroule dans le ghetto juif de Prague pendant la révolution de 1848.
# l’histoire à peine romancée de Michelangelo Merisi, dit Le Caravage.
Propos recueillis par Frédéric Grolleau le 09 janvier 2003
Le Galli, Michalak, Les Cercles d’Akamoth, Delcourt, 2003, 48 p. [1] c’est le cas de le dire puisque, mécontents du travail de notre chroniqueur bd, à l’origine destiné au magazine Pavillon rouge de Delcourt où FG travaillait comme pigiste depuis 2 ans, les deux jeunes auteurs ont fait procédé à son exclusion du magazine pour "trahison du travail journalistique". Avec le sens de la diplomatie qui les caractérise, les éditions Delcourt, propriétaires du mag, ont récupéré l’affaire en diffusant ce dossier sous le seul nom des auteurs et en rayant les infamantes interventions du chroniqueur... sans le rémunérer bien entendu ! La preuve que FG n’est pas rancunier. Peu de temps après, Pavillon rouge a arrêté ses publicatiotns[ndlr]
|
Commenter cet article