Léon Morin, prêtre
exposé de mr louis andré, CPES, Saint-Cyr, janvier 2013
Présentation :
Léon Morin, prêtre est un film franco-italien sorti le 15 septembre 1961, adapté du roman Léon Morin, prêtre (1952) de Béatrice Beck, et réalisé par Jean-Pierre Melville.
Synopsis :
L'occupation (1940-44). Une ville de province. Une jeune femme, Barny, veuve de guerre, mère d'une fillette, coupée par les circonstances de son milieu familial habituel et livrée à une solitude néfaste pour son équilibre. Son époux était israélite. Elle-même a des sympathies pour le marxisme. Dans un moment d'énervement, il lui vient l'idée saugrenue d'entrer dans un confessionnal et de déclarer au confesseur qu'elle trouve la religion ridicule, voire perfide. L'abbé Léon Morin, plein d'esprit, répond calmement à ses attaques, la confesse et l'absout.
Puis il lui propose des livres qu'elle viendra chercher chez lui. Peu à peu, la conversion s'opère. Et, devenue apôtre comme tous les néophytes, elle fait connaître Léon Morin à quelques-unes de ses compagnes de bureau. L'une tente de séduire l'abbé qui la rabroue sèchement. Cet incident éveille en Barny un sentiment complexe, à base de jalousie, d'amour peut-être. Et elle aussi essaie d'induire le prêtre en tentation. Echec total. Le prêtre absout la faute à laquelle Barny voulut entraîner l'homme. Entre temps, la libération est venue et Léon Morin est nommé curé d'une paroisse de campagne. Il quitte la ville et Barny rentre à Paris, portant au cœur une plaie qui ne se refermera jamais mais qui lui est un stimulant dans la poursuite douloureuse d'une vie meilleure.
Ce film nous fait réfléchir sur la religion, particulièrement la religion chrétienne avec la démarche de foi qui lui est liée.
La religion peut être définie par ses trois grandes caractéristiques :
* Les croyances et les pratiques religieuses
* Le sentiment religieux ou la foi
* L'union dans une même communauté de ceux qui partagent une même foi : l'Eglise.
La foi est l’adhésion totale de l'homme à un idéal qui le dépasse, à une croyance religieuse, elle s’oppose à la raison. La raison est la faculté de connaître, de juger, de déterminer sa conduite.
PB :
La religion peut-elle être considérée comme une illusion dont la foi serait en opposition complète avec la Raison ?
I) La religion, une illusion qui coupe le croyant du monde ?
1) La religion semble être une illusion
A) La religion comme « opium du peuple »
Barny entre dans le confessionnal et prononce ces mots de Karl Marx : « la religion est l’opium du peuple ». Elle attaque directement le jeune prêtre sur son terrain par ses mots très forts, particulièrement symboliques. Centrons nous d’abord sur la vision de Marx à propos de la religion mais remontons un peu au philosophe d’Holbach. Celui-ci dit que les hommes s’attachent à leur religion comme les sauvages à l’eau de vie. Marx lui va plus loin, puisqu’il compare la religion à de l’opium. Au milieu du XIXème Siècle, l’opium était utilisé comme sédatif et antalgique. Lorsque Marx dit que la religion est l’opium du peuple, il ne veut pas dire qu’elle plonge les croyants dans un monde d’hallucinations mais qu’elle les soulage de leurs souffrances. Ce qui désole Marx ce n’est pas que l’homme soit soulagé de ses souffrances, c’est qu’il le soit de manière à la fois éphémère et artificielle, donc illusoire. Or l’illusion ne peut que prolonger la souffrance bien réelle, la religion ne fait rien pour attaquer les causes. C’est ce que dit le poète Paul Claudel «Jésus n'est pas venu abolir la souffrance, il n'est même pas venu l'expliquer il est venu la remplir de sa présence». Voilà ce que reproche Marx à la religion.
Marx intègre une partie de la critique de la religion qu’avait effectué le philosophe Feuerbach dans L’essence du Christianisme. Celui-ci explique, l’homme pauvre invente un Dieu riche, il sait peu de choses, il imagine ainsi un Dieu tout puissant, il est faible, il imagine un Dieu fort. L’être humain se dépouille de ses qualités génériques pour les attribuer à un Dieu imaginaire, mais faisant cela il se rend encore plus misérable.
B) La religion comme créatrice de la mauvaise conscience
Intéressons-nous maintenant à une œuvre de Nietzsche, La généalogie de la morale. Dans la première partie il fait l’analyse historique et critique du renversement subi par les valeurs aristocratiques (de l’antiquité gréco-romaine) sous l’impact du christianisme : avec celui-ci le faible qui était mauvais est devenu bon tandis que le fort qui était bon est devenu mauvais. Ce qui est désigné sous le nom de morale résulte de cette inversion de valeurs.
Nous trouvons, à travers les questions que le prêtre pose à Barny sur ses péchés, une magnifique illustration de la thèse de Nietzsche. C’est l’objet de la deuxième partie de son livre. Il décrit ainsi l’intériorisation de la faute : ainsi nait la mauvaise conscience. Pour Nietzsche, l’abbé Morin augmente la mauvaise conscience de Barny. Chez les Grecs, le malheur était rapporté à un facteur extérieur (le destin, les dieux), avec le christianisme, il est introduit en l’âme même de l’homme qui s’en trouve ainsi littéralement empoisonné.
Dans la troisième partie, il analyse les effets de la mauvaise conscience : je souffre donc je suis puni, donc je suis coupable donc je dois payer. Léon Morin donne une pénitence à faire à Barny, elle doit se faire un peu mal… chez Nietzsche l’ascétisme est l’expression de la mauvaise conscience dirigée contre
soi-même. Je me fais souffrir pour expier la faute qui a déterminé ma souffrance. A la souffrance on cherche un coupable, cela créé du ressentiment, c’est la force du faible pense Nietzsche, la seule force dont il est capable.
C) La vision de Freud
A travers les procédés cinématographiques, on peut deviner la fascination que Léon Morin exerce sur Barny. Elle a les yeux écarquillés, et trouve, malgré son attitude provoquante une sorte de réconfort, de bien-être. Freud explique « la religion serait la névrose obsessionnelle universelle de l’humanité, comme celle de l’enfant, elle dérive du complexe d’Œdipe, des rapports de l’enfant au père. » Pour Freud la religion est donc une illusion visant à reproduire à l’échelle sociale les relations de l’enfant à l’autorité parentale, qui assume une double fonction de protection et de répression. Dieu est une reproduction du père tout puissant de l’enfance, Léon Morin, prêtre, en est la représentation (de Dieu le père), aux yeux de Barny. Voilà le sens de ma remarque sur la fascination qu’exerce Morin sur Barny.
La répression des pulsions dont les individus sont inévitablement l’objet sous l’effet des exigences de la vie collective, conduit dans un premier temps à la fois à une intériorisation des interdits et à une agressivité contre ceux qui les formulent. Mais comme ceux-ci sont en même temps protecteurs et objets d’amour, cette agressivité se retourne contre soi-même et produit la culpabilité et l’angoisse. Peut-être la véritable raison qui a poussé Barny à entrer dans le confessionnal ?
2) Une vision pourtant réductrice
Toutes ces interprétations passionnantes du phénomène religieux ont un point commun : elles sont réductrices. Elles font de ce phénomène un symptôme d’autre chose, autant chez Marx que chez Freud ou que chez Nietzsche. Toute analyse de la religion a tendance, quelle que soit la pertinence de ces aperçus, à négliger la diversité et la complexité du phénomène et surtout, à sous-estimer la valeur spirituelle de l’expérience religieuse.
A) Dieu pensé comme la source du vrai bonheur.
C’est la vision de Saint Augustin. La première expérience de Saint Augustin est celle de la déception : après des années d’égarement, il comprend que la recherche éperdue des objets du désir nous laisser anxieux et frustrés. Loin d’apporter l’apaisement, une vie dissolue conduit à la dispersion, au déchirement intime et à l’angoisse. C’est l’interprétation que je fais de l’attitude de Barny. Saint Augustin découvre que la sérénité est inséparable d’un retour sur soi-même à l’écart des biens corruptibles et du divertissement. C’est la démarche, en fait effectuée par Barny. Le changement radical apporté par la conversion peut seul, d’après Saint Augustin, conduire l’âme à la satisfaction, l’apaisement du désir ayant trouvé son véritable objet : l’absolu, c'est-à-dire Dieu.
B) L’union à Dieu accroît la capacité à se rendre utile au monde
Pour Bergson, « l’âme mystique élimine de sa substance tout ce qui n’est pas assez pur, assez résistant et souple, pour que Dieu l’utilise. Déjà elle sentait Dieu présent, déjà elle croyait l’apercevoir dans des visions symboliques, déjà même elle s’unissait à lui dans l’extase (…) maintenant c’est Dieu qui agit par elle, en elle, l’union est totale, et par conséquent définitive (…) Disons que c’est désormais pour l’âme, une surabondance de vie. C’est un immense élan » (Bergson, Les Deux Sources de la morale et de la religion). Bergson pense aux grands mystiques chrétiens, personnalités actives et créatrices comme Thérèse d’Avila.
C’est là le sens de la réponse de Morin à Barny à propos de son attaque sur les ouvriers. Pour lui, un ouvrier ayant communié continuera la grève avec de meilleures résolutions. C’est là un excellent exemple à propos de la thèse de Bergson.
Donnons un autre exemple pour illustrer cela. "Dom Gérard Calvet qui, à la fin du XXe siècle, sera le fondateur, dans l’ancien Comtat Venaissin, de l’abbaye Sainte-Madeleine du Barroux, sortie tout droit de la terre dans la fidélité aux traditions monastiques et liturgiques, écrira pourtant : « Les moines ont fait l’Europe, mais ils ne l’ont pas fait exprès. Leur aventure est d’abord, sinon exclusivement, une aventure intérieure. »
Non, les moines ne pensèrent pas un seul instant à construire l’Europe. Ils cherchèrent avant tout le royaume de Dieu, mais, par osmose, ils firent naître des moeurs et une culture chrétienne qui, s’inspirant de la règle bénédictine, eurent les mêmes implications d’un bout à l’autre du continent. De ces ateliers où l’on apprenait les vertus communautaires, la paix et l’humilité en même temps que l’amour du travail bien fait, et autour desquels se regroupèrent les laïcs de ce temps, naquit en fait la chrétienté. Le philosophe Gustave Thibon dira de celle-ci qu’elle est « non seulement l’ensemble des peuples où prédomine le christianisme comme l’indique le dictionnaire, mais un tissu social où la religion pénètre jusque dans les derniers replis de la vie temporelle (moeurs, usages, jeux et travaux), une civilisation où le temporel est sans cesse irrigué par l’éternel ». Dans un langage encore plus imagé, Charles Péguy la définira autrement en écrivant que « le spirituel est constamment couché dans le lit de camp du temporel ». ”( in L’Europe de Saint Benoît, tiré de "Spectacle du Monde", par Philippe Maxence)
II) Foi et Raison : une opposition ?
1) La Raison au service de la foi
Barny a soif de Dieu, elle a un désir de Dieu. Comment expliquer cela selon le point de vue des croyants ? En créant l’homme à son image, Dieu lui-même a inscrit en son cœur le désir de le voir. Même si un tel désir est ignoré de l’homme, Dieu ne cesse d’attirer celui-ci pour qu’il vive et trouve en lui le vrai bonheur.
A) Les nécessaires preuves de l’existence de Dieu
Pourtant Barny a besoin de preuves de l’existence de Dieu, elle mène son enquête. Quelles sont ces preuves ?
Jean Scot Erigène disait « Nul n’entre au ciel sinon par la philosophie ». Les preuves de l’existence de Dieu sont une illustration spectaculaire de cette volonté typiquement médiévale de mettre la raison au service des vérités religieuses.
Saint Anselme est l’inventeur de ce que l’on nomme depuis Kant la preuve ontologique de l’existence de Dieu. Le raisonnement est le suivant : si l’on se représente quelque chose de tel que rien ne peut être pensé de plus grand, il y aurait diminution pour l’être qui ne serait que pensé sans exister, car l’être qui existe est plus grand que l’être qui n’est que pensé. Donc Dieu existe. Vous n’êtes pas convaincus ? Ne vous affolez pas, Léon Morin dans le film dit à Barny qu’il ne l’est pas. D’ailleurs c’est ce qu’il dit, ces preuves n’ont jamais convaincus personne. La recette miracle n’existe donc pas. S’il y avait des preuves de l’existence de Dieu, cela voudrait dire que les athées et les agnostiques sont bêtes ou fous.
B) La position de Kant
Philosophiquement parlant, la preuve ontologique consiste à déduire l’existence (Dieu est) de l’essence (la grandeur suprême). Mais dès le départ, Dieu est posé comme existant.
Kant présentera une critique sophistiquée de la preuve ontologique : l’existence, remarque-t-il en substance n’est pas un attribut qui vient s’ajouter à un sujet mais la condition de la liaison des prédicats (=attributs) dans le réel. L’existence n’est pas prouvable par la raison, elle est prouvable par l’expérience
(D’autre ont voulu donner des preuves : Saint Thomas d’Aquin, je vous épargne l’énoncé de ces preuves)
Pour Kant, le monde, Dieu et l’âme sont inconnaissables car ils échappent à l’expérience et, à la différence des nombres et des figures, ils ne sont pas des objets mathématiques connaissables a priori. La locution a priori désigne les connaissances logiquement antérieures à l'expérience, et aussi « indépendantes de l'expérience » (Kant).
Cela, la raison ne veut pas l’admettre, elle croit pouvoir établir une science du monde, une science de Dieu et une science de l’âme réunis sous le nom de métaphysique (Réflexion philosophique qui a pour objet la connaissance rationnelle de la nature des choses) spéciale. Si la métaphysique était une science, elle mettrait tout le monde d’accord.
2) Dieu sensible au cœur, la foi est un don de Dieu
Léon Morin se rattache à la vision de Pascal d’un Dieu sensible au cœur. La foi est un don de Dieu, elle ne vient pas de la prise de connaissance de preuves. Dans les Pensées, Pascal souligne les limites et l’impuissance de la raison. Il ne veut pas susciter un désespoir chez son lecteur, semblable au désespoir de Barny à la fin de la scène. Il veut conduire son lecteur à envisager la nécessité d’une faculté supérieure : le cœur qui nous assure intuitivement, directement de la présence de Dieu, surmonte les contradictions entre les sens et la raison. Il nous communique le sentiment du mystère divin et c’est sur ce mystère que repose, selon Pascal, le paradoxe de notre condition. Le dogme du péché originel permet, en effet, de comprendre les imperfections de l’homme en même temps que sa dignité. L’homme a perdu sa véritable nature mais il conserve néanmoins des traces de ce premier état. La misère et la grandeur de l’homme trouvent ainsi leur explication dans cette chute initiale. Il ne demeure alors qu’une solution pour l’homme, parier pour Dieu, c'est-à-dire gager une vie certaine, mais finie et misérable, contre un bien incertains mais infini, et constituant le seul véritable remède aux contradictions de l’existence.
3) Quel est donc l’intérêt d’utiliser la Raison ?
Ce sera ma synthèse à toutes les positions exprimées. Dans son discours de Ratisbonne, intitulé Foi, Raison et université- Souvenirs et réflexions, Benoît XVI entame un discours sur les rapports entre la religion et la violence, pour faire une condamnation claire et motivée de la violence exercée au nom de la religion. Il cite dans son discours Manuel II qui explique, je cite, « ne pas agir selon la raison est contraire à la nature de Dieu ». Même si la foi est au dessus de la raison, il ne pourra jamais y avoir contradiction entre les deux parce que l’une et l’autre ont Dieu pour origine. C’est Dieu lui-même qui donne à l’homme la lumière de la raison et de la foi. Son discours s’adresse à un occident déchristianisé qui tend à considérer que le domaine de la raison exclut tout discours sur la foi, mais aussi à un monde musulman, appelé implicitement à manifester plus de raison dans l’expérience de sa foi.
En effet, pour le croyant, rejeter la Raison conduit à ce que les gens aiment appeler aujourd’hui l’intolérance.
Pascal dit dans ces Pensées, « deux excès : exclure la raison, n’admettre que la raison. Magnifique synthèse. La philosophe Simone Weil disait « la foi c’est l’intelligence éclairée par l’Amour ». Je continue dans mes citations, Saint
Augustin disait, il ne faut pas comprendre pour croire mais croire pour comprendre. On trouve une conception analogue chez Saint Bonaventure qui n’admet la raison que dans la mesure où elle peut réfuter les adversaires de la religion et surtout, à raffermir les croyances. La foi, a besoin de l’intelligence qui l’éclaire et la renforce.
« Si nous résolvions les problèmes de la foi par la seule autorité, nous posséderions certes la vérité mais dans une tête vide » (Saint Thomas D’Aquin)
CCL
La religion peut être pensée comme une illusion, c’est l’avis des maitres du soupçon. Pourtant leurs critiques négligent la complexité du phénomène religieux et sous estiment la valeur spirituelle de l’expérience religieuse qui peut permettre à l’homme de trouver le vrai bonheur et de se rendre utile au monde. Par définition, la foi est contraire à la raison, pourtant la raison peut être mise au service de la foi. Cette raison ne doit pas être un absolu car Dieu est avant tout sensible au cœur mais la rejeter conduirait à l’intolérance, à la violence car elle empêche au croyant deux choses : le dialogue et l’approfondissement de sa foi.
Le XXIème Siècle est athée, profondément athée, aucune des valeurs dominante de notre civilisation mondiale n’est religieuse. On aurait prêté à Malraux cette phrase : « le XXIème Siècle sera religieux ou il ne sera pas ». Le XXIème Siècle sera-t-il donc religieux ? L’histoire nous le dira… mais j’ai mon avis sur la question.
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