Les limbes qui menaçaient le Vagabond étaient ceux de l’oubli, auquel il retourne.
Les limbes de l’oubli ?
À la question posée par le tome 6 de l’ Intégrale du Vagabond des Limbes : "Où es-tu, Korian ?", ce septième volume de la vaste série répond : "Bonjour, la folie". De fait, c’est une réponse abrupte et sans doute les aficionados de la saga seront-ils un brin surpris par le ton très décalé des trois aventures ici présentées : "Un tramway nommé délire" , "Un certain M. Ko", "La Décharge" et parues dans les années 90. Le temps faste du Vagabond des Limbes, marqué par les seventies qui l’ont consacré, n’est plus et il semble que les auteurs, à court d’inspiration, aient du mal à se renouveler, ce qui explique en partie qu’ils soient amenés à puiser dans la structure spéculaire du scénariste enthousiaste (au sens propre) se mettant en scène aux côtés de son personnage, le tout dans une trilogie qui ne convainc guère - exception faite du récit qui ouvre ce tome 7, "Un tramway nommé délire".
En effet avant qu’"Un certain M. Ko" ne scelle le desitn de Munshine, enfin rendu à lui-même - et à Musky -, face à la tombe de son père Korian, révélation après laquelle il courait depuis le debut de son épopée, Christian Godard nous propose en ultime clin d’oeil et en chant du cygne de son héros un album qui condense tous les ingrédients ayant contribué au succès du Vagabond des Limbes. Tandis que Musky n’aspire qu’à faire un pique-nique en tête-à-tête avec le séduisant Axle, les deux protagonistes se retrouvent sur la curieuse planète de Phyloland, utopie négative qui va permettre au scénariste et au dessinateur de condamner, une fois n’est pas coutume, la soumission de l’Homme aux diktats qui l’emprisonnent.
Planète peuplée de lapins anthropomorphisés, Phyloland est donc régie par le Phyl, réseau câblé auquel est relié chaque individu (grâce à l’antenne sur son crâne qu’il reçoit lors de son baptême obligatoire) et qui lui indique pour chaque situation ce qu’il doit faire, en lui évitant ainsi d’avoir à penser. Divisée en secteurs arithmétiques et géométriques très précis, la vie est ici toujours codifiée et préprogrammée, elle ne rend possible aucune initiative ou liberté personnelles - sauf chez un groupuscule de lapins résistants car "débranchés" du réseau du grand Phyl en vertu d’un ingénieux système d’accumulateurs favorisant leur autonomie - physique d’abord, psychique ensuite.
Une manière comme une autre de se soustraire au Générateur de Bonnes Paroles (G.P.B) qui endort littéralement chaque jour les sujets de Phyloland entrant en prière (Inch Phyllah !) à des heures programmées.
Axle et Musky ne pourront bien entendu être insensibles au combat des résistants rêvant de sauver les phylomanes du pouvoir despotique de celui qui abrutit les individus à coups de "consigns" absurdes : le grand GBP aspirant à convertir Axle au charme du Phyl afin de l’étendre à la constellation entière...
On s’amuse beaucoup des muliples jeux de mots et mises en abyme de Godard, on frissonne plus d’une fois devant la description de cette société qui aliène ses membres : tout y passe et c’est sans doute ici l’un des derniers "limbes" qui se déchirent devant Munshine rencontrant son propre créateur, son géniteur de papier avant son père génétique putatif. L’on pressent aussi, une fois passé ce "délire", qu’une belle aventure est en train de se clôturer, Munshine et Musky, Godard et Ribera, étant en quelque sorte rattrappés par leur temps respectif.
Mister Go(dard) le cède à l’album suivant à monsieur Ko, lequel va mettre K.O le grand conciliateur en le ramenant à son sort de papier bédéique : "Toi qui rêvais tout le temps de Chimeer, tu n’es qu’un rêve rêvé par un autre homme, toi Axle Munshine tu n’existes que dans l’imaginaire de tes lecteurs", tel résonne le message de l’auteur à son porte-parole. Et ce n’est pas une créature bimboesque à demi-nue qui se promène ici et là entre les cases en interrogeant le scénariste qui changera quelque chose à l’affaire.
Le lecteur referme ce tome 7 le cœur gros, un peu triste : il vient de perdre un bon ami, un compagnon d’enfance qui a grandi trop vite, telle la princesse des Éternautes qui chemine à ses côtés depuis des lustres galactiques. Les limbes qui menaçaient le Vagabond étaient ceux de l’oubli, auquel il retourne.
frederic grolleau
Christian Godard, Julio Ribéra, Le Vagabond des Limbes, L’intégrale, Tome 7 : "Bonjour, la folie" Dargaud, juillet 2005, 152 p. - 15,00 €. | ||
Commenter cet article