Quand le totalitarisme et l’absurde se revêtent ici de leurs atours les plus trompeurs
Axle et Musky se remettent de leurs émotions (voir La petite maîtresse et Le temps des oracles) quand Le Dauphin d’argent rencontre une épave dans l’espace qui les dirige vers Stardup, planète du jeu où la société est construite sur le modèle de Las Vegas : " tout, absolument tout y est codifié par le jeu ". Surnommée dans la galaxie " le dépotoir des étoiles ", Stardup est un lieu redoutable - où les tricheurs professionnels sont exécutés et les malchanceux éliminés - dont le père d’Axle a tout fait, apparemment, pour effacer les traces dans les mémoires du vaisseau et de Matt, l’androïde protégeant Munshine depuis son enfance.
Venus sur place pour se distraire, Axle et Musky sont pourchassés par la police locale à peine débarqués, à cause de l’identification du vaisseau construit par Korian, ce dernier étant activement recherché en cette infernale ludocratie rythmée par le " télématon " (sic), tirage au sort ayant lieu 3 à 4 fois par jour et animé par Ze-Winner, président-croupier qui offre à la population de fabuleux lots et gouverne à coups de décisions aléatoires : chaque habitant doit alors inscrire sur un instrument de poche (une kalk’) le numéro tiré au sort, manière de contrôle policier par le biais du jeu officiel de la présence de chacun, faute d’être déclaré sur le champ associal...
Horrifiés par cet univers qui n’est pas sans évoquer la fameuse Loterie à Babylone de Jorge Luis Borges, Axle et Musky parviennent à s’enfuir grâce à la complicité de Marty la Marthre, une vieille connaissance de Munshine, qui leur permet de s’esquiver en échange de deux sacs de ruhmeraudes, ces pierres précieuses dont l’ex-conciliateur de la Guilde ne se sépare jamais. Ainsi gagnent-ils la vieille ville underground de Stardup, le royaume des loteries clandestines surveillées par les patrouilles de la police des jeux.
Mais, dénoncés par Ze-Winner comme hors-la-loi, il leur faut traverser le "Squatt", là où commence Loserland, le territoire des malchanceux et des éternels perdants de la loterie de la vie - là où rôdent les khlodes, derniers maillons de l’échelle sociale. L’équipée est alors sauvée par Orianellei, le challenger officiel du président-croupier, qui apprend contre toute attente à Axle que Stardup a été fondée par son propre père 20 ans plus tôt, lequel a racheté la planète à la maffia. Et qu’il a vécu là "retranché de tous" pendant 10 ans afin de mettre au point, ingénieur fantastique qu’il était, la mythique "martingale céleste" permettant de toujours gagner au jeu qu’on pratique...
"Le dépotoir des étoiles", stimulant premier volet de L’intégrale tome 6 du Vagabond des Limbes se clôt sur l’affirmation d’Orianelli selon laquelle, loin d’être une pure chimère, la martingale en question existe dans la mémoire des androïdes du Dauphin d’argent, piste à suivre dan l’opus suivant, "La martingale céleste", beaucoup plus décevant et qui n’amène pas grand chose à la linéarité du récit. Tout juste y apprend-on que Korian pourrait se trouver quelque part sur la planète d’Elphantisias, information qui vaut à Axle un détour par la planète N4 W3 T7 présentée dans le dernier titre de cette Intégrale : "Les contrebandiers du futur", un album qui gagne en intérêt parce que Axle, tout en quête de son père, se défie explicitement de Musky dont il ne sait plus si elle est " celle d’avant ", sa fissoeur (voir "L’enfant roi d’Oridoryne", Intégrale tome 5) et ou un ectoplasme autre destiné à le perdre, perfide doute qui semble bien mettre un terme à la relation amoureuse tourmentée des deux héros, fil directeur de la série depuis le début.
On nage en plein spacedélire ? Oui mais construit. Difficile de résumer un tome du Vagabond ? Oui mais ce qu’on apprécie dans cette série. Une fois de plus, le décor planté par Godard fascine, et il faut vraiment découvrir "Le dépotoir des étoiles" pour sa fascinante mise en abyme de l’univers du jeu : le totalitarisme et l’absurde se revêtent ici de leurs atours les plus trompeurs afin de contrôler les populations et l’on voit bien en quoi Axle Munshine , par son indépendance toute philosophique et sa remise en cause des principes qu’autrui ne questionne plus, incarne dorénavant une sorte de Socrate des étoiles. Une maïeutique décalée que rehaussent le graphisme et la colorisation has been de Ribera qui confèrent nonstant au tout le vernis imputrescible des mythes fondateurs de la bande dessinée.
Lire la critique des tome 4 et 5 de L’Intégrale du Vagabond des limbes
frederic grolleau
Godard, Ribera, Le Vagabond des Limbes , L’intégrale, tome 6 : " Où es-tu, Korian ? "("Le dépotoir des étoiles" ; "La martingale céleste" ; "Les contrebandiers du futur"), Dargaud, 2004 , 156 p. - 15,00 €. | ||
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