Même celui qui sait voyager dans le temps ne peut faire que ce qui a eu lieu revienne à nouveau.
Le lecteur pressent bien depuis "Les trois graines d’éternité" du tome 7 de cette Intégrale que Muskie et Axle sont dorénavant sur la mauvaise pente. Passé d’une "fissoeur" à une autre, id est de Musky à Muskie, l’ex-grand conciliateur de la Guilde qui court plus après ses rêves qu’après des jupons (ou des collants rayés noir et jaune) à retrousser ne fait que semer le chaos sur le passage de son Dauphin d’argent que tous convoitent.
"Le petit clone" qui ouvre ce tome en donne d’emblée la tonalité : l’heure n’est pas à la fête, Axle comprend qu’il a perdu avec Muskie non seulement une part de son passé mais une grande partie du sens de sa vie. Il est donc bien décidé, au grand dam de son fidèle bras droit Matt Dammone à réutiliser le caisson contenant la porte temporelle qui nous a été présenté dans "Un certain Monsieur Ko", bref à retrouver celle qu’il aime, égarée dans un no man’s land temporel (avec son enfant) et à payer sa dette envers le père de celle-ci, le prince des Éternautes, mort pour le sauver.
Suicidaire, Axle Munshine ? Pas tant que ça, preuve en est qu’une rencontre imprévue avec un vaisseau de Borghs va lui donner l’occasion de mettre à exécution un plan assez machiavélique qui va reposer en grande partie sur les pouvoir de téléportation psychique d’un des membres de cette espèce, lequel va le servir avec dévotion en échange d’une caisse de ruhmeraudes, ces pierres précieuses fort prisées que le fils de Korian peut créer à volonté.
Ainsi, non seulement l’ancien grand Conciliateur échappe au procès que lui intente la mère de Musky/Muskie, mais il parvient à ramener à ses côtés Muskie. Les fans de la série apprécieront en particulier la page 60 où, non sans relents proustiens, Axle somme les roboïdes de son vaisseau de reconstruire à l’identique la clairière enchantée où Muskie aimait à se prélasser, souvenir de jours heureux enfuis que la magie du souvenir ne suffit plus à raviver et dont le triste héros croit qu’il suffit de recréer feues les conditions formelles environnantes d’alors pour que l’instant, dans son éngimatique beauté, se répète. Las, le bonheur présente ceci de spécifique qu’il est unique et peine à se reproduire en fonction d’éléments préétablis.
Axle l’apprend bientôt à ses dépens. Même celui qui sait voyager dans le temps ne peut faire que ce qui a eu lieu revienne à nouveau. Cette clairière de l’être muskien, parangon de l’insouciance qu’Axle a détruit, même remise en état, ne peut plus susciter la félicité d’antan - pour cette raison que ce qui lui donnait son prix, c’est une conscience dont le rapport au temps et à l’existence a radicalement été modifié.
Il est par conséquent assez logique que, rongé par le dépit, Axle cherche par d’autres moyens à faire renaître la joie de Muskie qu’il vient de sauver, notamment en voulant recréer de toutes pièces le dernier moment heureux qu’il a passé avec sa fissoeur, avant leur séparation : les noces de "L’enfant-Roi d’Onidryne". D’où le projet, présenté dans le deuxième volume de l’opus, "Le point de non-retour", de se rendre sur une planète inconnue afin de poser les bases du décor censé transcender les retrouvailles d’Axel et de Muskie.
Las, les ennemis du fils de Korian l’ont amené à se poser sur une planète instable : et c’est lors de l’évacuation précipitée de celle-ci qu’Axle trouve la mort, le crâne fracassé par une traverse métallique. Cette fois, le lecteur se dit que les haricots sont cuits, que le Dauphin d’argent va se couvrir de noir et que ses divers occupants vont tous se mettre définitivement hors-circuit. Mais c’est sans compter sans ce diable de scénariste du Vagabond des Limbes, qui a plus d’un tour dans son sac et qui pioche in extremis dans une ahurissante théorie dédiée au "temps d’avant le commencement du temps" de quoi réveiller les morts, en l’espèce Axle Munshine soi-même et lecteur, qui était déjà parti planter un cierge au pied de sa BDthèque.
Le croirez-vous ?, c’est reparti pour un tour (tempo-galactique) dans les espaces infinis, et pas qu’un petit ! Ah, Le Vagabond des limbes, quand tu nous tiens....
frederic grolleau
Godard & Ribera, Le Vagabond des Limbes - Intégrale tome 9 : "A l’envers du temps", Dargaud, 2006, 152 p. - 16,00 €. | ||
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