Quand le prince des philosophes défie l’apôtre du mal hitlérien.
L’ouvrage de 640 pages est imposant mais surtout séduisant, de par son provocateur propos : tenter de comprendre par le biais d’un roman prêtant le flanc à l’approche psychanalytique, comment le théoricien nazi de l’antisémitisme, Alfred Rosenberg, a pu s’intéresser de près à la pensée philosophique de Spinoza, esprit majeur du XVIIe siècle exclu de la commuauté juive d’Amsterdam pour la liberté tant critique que contestataire de ses idées. A partir du fait historique attesté qu’est le pillage du musée Spinoza de Rinjsburg par les troupes de Rosenberg en charge pour le Führer de la récupération des plus grandes oeuvres d’art juives pendant la guerre, Yalom présente donc en alternance le destin de ces deux personnages ayant marqué, de manière radicalement différente, il n’est pas besoin d’y insister l’histoire de l’humanité.
Le « problème Spinoza » justifiant la mainmise sur la bibliothèque de l’auteur de l’Ethique tient en effet à ce que le philosophe juif a exercé une influence déterminante sur les plus grands penseurs allemands, dont Goethe, et pourrait bien remettre en cause les principes de l’antisémtisme prôné par l’infâme Rosenberg. Le psychiatre et romancier américain développe alors une explication possible de cette relation insoupçonnée entre ces deux esprits, proposant au passage une sorte de double psychanalyse des protagonistes : Rosenberg, scruté par le Dr Pfister, Spinoza mis à distance de lui-même par lui-même (par la grâce de l’introspection philosophique) ou son ami Franco - Yalom faisant en l’occurrence mentir la maxime du livre V de l’Ethique selon laquelle « le sage n’a pas d’amis ».
S’il est difficile de présenter la philosophie spinoziste en quelques courts chapitres, notons que tous ses linéaments figurent néanmoins dans cet ouvrage, dont le mérite explicite paraît surtout à nos yeux de présenter une genèse on ne peut plus réaliste de l’idéologie nazie. Il est vrai que c’est le propre de la lumière (naturelle de l’esprit), dira le penseur panthéiste dans son Ethique, que « de s’éclairer elle -même, et les ténèbres ».
La veine psychothérapeutique et la dimension à visée didactique de l’ensemble sembleront certes à tel ou tel moment par trop ostensibles, mais ce roman qui flirte en permanence avec l’histoire et une documentation maîtrisée - insistons sur la remarquable description des Pays-Bas et des moeurs juives du XVIIe siècle et du contexte allemand du XXe siècle - est une excellente entrée en matière pour qui souhaite appréhender la complexité de la pensée philosophique de Spinoza et comprendre l’illumination jusquauboutiste de Rosenberg, lequel sera exécuté suite au procès de Nuremberg sans avoir jamais remis en question ses idéologiques convictions.
Le pari est donc réussi de part en part, qui interroge la naissance des idées, les meilleures comme les pires (que ce soit Spinoza ou Rosenberg, elles paraissent, difficilement comme inévitablement , compréhensibles par les tenants de la doxa)... Le Problème Spinoza esr un roman, dont on devrait entendre beaucoup parler ...et ce ne serait que sagesse.
frederic grolleau
Irvin Yalom, Le Problème Spinoza (traduit par Sylvette Gleize), Galaade Editions, 2012, 656 p. - 24,40 euros.
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