Le Concile de pierre & Le Prestige viennent d’être adaptés pour le cinéma et sortent aujourd’hui. Retour sur les textes.
Les romans s’adaptent bien au cinéma, ce n’est pas nouveau. Cet automne, nous y avons été un peu plus attentifs que de coutume parce que deux films sortent en même temps, qui sont tirés de livres que nous avons particulièrement aimés. Retour sur les textes - avec une pensée pour Le Dahlia noir sorti la semaine dernière sur les écrans français et un clin d’œil ici à Ne le dis à personne, porté à l’écran par Guillaume Canet...
Magie, magie : la nouvelle façon de lire ! Qu’on nous pardonne cette apostrophe aux relents vaguement publicitaires, mais Le prestige de Priest est l’un des grands livres du moment. Loin des récits frelatés pseudo fantastiques, c’est là un vénérable élixir que nous a concocté l’auteur du Monde inverti et des extrêmes. Non pas une soupe fade à l’arrière-goût d’arnaque éditoriale mais un mets de premier choix.
L’histoire ne démarre pourtant pas sur les chapeaux de roue : journaliste au Chronicle Andrew Wesley rencontre Katherine Angier, qui lui a demandé d’enquêter sur les agissements d’une secte... C’est de cette rencontre prétexte que surgit soudain le noyau du roman. Enfant adopté hanté par les voix de ce qu’il croit être un frère jumeau, Andrew apprend qu’il est le descendant d’un célèbre magicien du XIXe siècle, Alfred Borden, et que Katherine a pour ancêtre Rupert Angier, illusionniste non moins connu de cette époque.
Or un affrontement aussi violent qu’infini a opposé les deux rivaux ; un incroyable combat qui n’est pas sans rapport avec les troubles identitaires de notre héros. La clef de l’intrigue repose dans les journaux intimes des deux magiciens auxquels Andrew a accès, Priest nous révélant par ce subterfuge les coulisses du drame. À partir d’un procédé ayant fait ses preuves, on songe notamment au Cercle de la croix de Iain Pears (Belfond, 1999), les diverses interprétations d’un même événement emportent le lecteur dans le délire quasi psychotique d’innovation dont ont témoigné Borden et Angier pour prendre l’ascendant sur l’adversaire.
Centré sur un tour de magie hors du commun, "Le Nouvel Homme Transporté", Le prestige avance une documentation admirable sur le milieu de la magie (l’auteur remercie d’entrée le forum du net alt.magic dédié aux secrets des prestidigitateurs) et sur un XIXe siècle où l’invention de l’électricité va jouer un rôle déterminant.
Tout, dans ce livre foisonnant, qui emprunte aussi bien à la science-fiction, à la littérature classique qu’à l’horreur, est en définitive une question de "prestige" : à savoir, l’illusion d’optique délivrée par le magicien, mais aussi, tel un diable à ressort jailli d’une boîte, le surgissement soudain d’une existence dissimulée jusqu’alors. Récompensé en 1996 par le World Fantasy Award, Le prestige est une effarante réflexion sur le dédoublement. Teleportation, please !
Spécialiste du comportement violent des animaux prédateurs et championne en arts martiaux (le wing-chun, la plus rapide et la plus efficace des écoles de boxe shaolin), Diane Thiberge, proche de la trentaine, vit en solitaire depuis l’adolescence, où elle a subi une inqualifiable agression. Son seul espoir et le seul sens de sa vie, elle les place désormais dans l’adoption, dans un orphelinat en Thaïlande, d’un petit garçon de 5 ans, Lu-Sian, dit Lucien.
Mais le calme et le bonheur qui viennent de faire leur apparition dans la vie brisée de la jeune femme éthologue vont être de courte durée : suite à un accident de voiture qui laisse Lucien cliniquement mort, les meurtres se multiplient en effet tout autour de Diane, prodromes d’une terrifiante machination orchestrée par des hypnotiseurs, des chamans, et des scientifiques de l’ex-URSS prêts à tout pour conserver le pouvoir mental hors du commun qu’ils ont jadis acquis dans de troublantes circonstances.
Cloué sur un lit d’hôpital, Lucien est au seuil de la mort lorsque surgit un éminent docteur allemand qui lui redonne vie en lui plantant ses aiguilles d’acupuncteur à travers le corps. Avant d’être lui-même exécuté, broyé de l’intérieur, quelques temps plus tard. Celle qui ne supporte plus aucun contact physique depuis "l’accident" de sa jeunesse va alors devoir en chercher l’explication causale jusqu’en Mongolie, au fin fond de la taïga, dans une ethnie aux étranges pouvoirs, les Tsevens, et aux abords d’un cercle de pierre, centre nucléaire et parapsychologique où ont été effectuées dans les années 70 d’atroces expériences.
Car Lucien est un "Veilleur" (Lüü-Si-An), un enfant élu, un chaman dont les doigts brûlés fixent un étrange rendez-vous à des Initiés redoutables. Mais dans l’ombre quelqu’un veut éliminer le petit "Veilleur"...
Une fois est quasi coutume, Grangé propose ici un thriller dont il a le secret : meurtres, mutilations, manipulations et poursuites infernales (mention spéciale pour scène de lutte avec les tueurs aux fusils à désignateur laser perturbés par les couleurs des tableaux de Mondrian au chapitre 33) consonent avec une trame fantastique qu’on peut situer dans la lignée du Babylon Babies de Maurice G. Dantec (mâtiné d’un brin de Highlander pour le duel final).
À quoi s’ajoute tout de même une once d’humour, témoin cette répartie de Diane découvrant la vraie nationalité de Lucien :
J’ai cru adopter un enfant naturel en Thaïlande. Fonder un foyer avec un petit garçon qui n’avait pas eu de chance à sa naissance. Je me retouve avec un chaman turco-mongole qui guette les esprits sylvestres. Vous voyez un problème, vous ?
Si les thèmes abordés sont d’actualité et stimulent autant que faire se peut la curiosité de tout un chacun - acupuncture, médecine traditionnelle, traumatismes de l’adolescence, parapsychologie, télépathie, magnétisme, hypnose, psychokinèse, rêves prémonitoires, métamorphose de grands initiés chamans en animaux sauvages -, le texte est malheureusement souvent plombé par des métaphores descriptives récurrentes : une place d’honneur y est ainsi concédée aux vrilles, aux striures et aux irisations de toutes sortes.
Comme à son habitude, la fin, menée tambour battant, est abrupte, pouvant amener les détracteurs de l’auteur à poser qu’elle est bâclée. Mais comment achever autrement que de manière expéditive un thriller aussi décapant où chaque chapitre est un incroyable rebondissement ?
Malgré ces quelques reproches formels, on mentirait donc en disant que les livres de Jean-Christophe Grangé ne tiennent pas en haleine leurs lecteurs. Et celui-ci ne faillit point à cette règle d’or dont le cinéma a su faire son miel ! Le mélange de fantastique, d’occultisme et de paranormal produit pleinement son effet. À quoi s’ajoutent, calibrés sous la plume de celui que Le Figaro magazine a appelé naguère "notre Stephen King", des renvois aux méthodes du nucléaire, à la philosophie orientale et à la magie.
Un mélange détonnant et souvent explosif qui, loin de se réduire à un capharnaüm scientifico-littéraire en mal d’adaptation cinématographique, fait imploser les catégories et représentations coutumières du lectorat en matière de roman. Pour le dire autrement : une réussite totale, à déconseiller toutefois aux cartésiens coincés du bulbe rachidien !
frederic grolleau Jean-Christophe Grangé, Le Concile de pierre, Le livre de Poche, 2002, 414 p. - 6,50 €.
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