Un mélange entre thriller scientifique et drame sentimental qui préfère les plans léchés aux effets spéciaux.
A Baie-Comeau au Canada, la marée s’est brusquement arrêtée pour une raison que tout le monde ignore. Alors que certains voient en cet étrange phénomène survenu dans le petit village côtier de l’estuaire du Saint-Laurent un signe avant-coureur d’un gigantesque tremblement de terre, deux jeunes filles (Alice, sismologue canadienne vivant au Japon depuis plusieurs années à la suite d’une déchirure sentimentale ; Catherine son amie d’enfance devenue journaliste) et un pilote d’avion sont bien décidés à trouver une explication rationnelle.
Surréalisme et chaos
Fidèle à sa réputation le cinéma canadien bénéfice grâce à cette sortie DVD de La Turbulence des fluides d’une possibilité supplémentaire d’intriguer les foules. Il faut pour cela accepter de se laisser entraîner dans le scénario tout en mystère de ce mélange entre thriller scientifique et drame sentimental qui préfère les plans léchés aux effets spéciaux type blockbusters et surtout, apprendre à tendre l’oreille pour bien comprendre ce que disent les acteurs. Passé le handicap de cette langue qui surprend, le film propose une intéressante réflexion sur ce qui constitue la trame du hasard. Alice, née à Baie-Comeau, va en effet devoir oublier la rigueur de sa démarche scientifique habituelle pour s’ouvrir à des phénomènes plus souterrains, plus diffus...
L’arrêt de la marée, les plages sont à sec, la transmutation du St Laurent océanique en lac, tout cela tend à signifier qu’une force inassignable sévit en ce lieu où les hasards se multiplient et semblent répondre à un appel secret. Le retour de la sismologue sur place en fait d’ailleurs partie intégrante puisque le premier fluide perturbé ici renvoie en grande partie aux sources où la jeune femme a jadis puisé. Contrastent alors les magnifiques vues de Baie-Comeau (mention spéciale pour l’éclairage et la luminosité de ce film tourné en extérieur en milieu naturel) où rutilent les mobil-homes des scientifiques installés sur la plage et les remous intérieurs d’Alice, tant physiques que psychologiques. Le chaos qui prend lentement forme n’est donc pas seulement celui de la cessation d’un phénomène naturel mais l’irruption dans une tête bien pleine de l’ambiguïté entre le spirituel et le scientifique (la perturbation d’une femme cartésienne qui s’ennuie et qui veut se sentir pleinement exister). Ce qui pour les uns n’est que le signe précurseur d’un séisme préfigure pour les autres une manifestation surnaturelle, qui expliquerait des faits locaux étranges comme la chaleur ou l’odeur, curieuses dans cette région nord-est du Québec.
Utopie climatique et paranoïa aqueuse
Ainsi à partir de l’hypothèse scientifique qui veut que la marée puisse disparaître subitement avant un tremblement de terre, c’est l’ensemble de nos repères que s’amuse à chambouler la réalisatrice, imaginant une ville hors du temps où un café est ouvert non stop et où une fillette somnambule marche toutes les nuits vers la plage. Une utopie climatique où le symbole suprême est l’eau, déclinée sous toutes ses formes (canadair, bouteille, robinet, aquarium, sueur...) et bientôt phagocytée par le sable. Le climat qui s’instaure alors, à l’instar du générique assez space, est celui d’une paranoïa suspicieuse qui fait la nique à l’interprétation poétique ou métaphorique du phénomène. Et c’est là où le bât blesse quelque peu car, parce qu’elle refuse jusqu’au bout de trancher entre les deux hypothèses, Manon Briand nous laisse sur notre faim en préférant ne pas illustrer la catastrophe qu’on attendait depuis le début.
Par là même cette mystérieuse interruption du cycle des flots devient davantage frustrante que stimulante. De la confrontation chez Alice entre l’imprévisible, l’impossible et le calcul statistique on attend une mutation de sa vision du monde, une métaphysique qui intervient en effet mais à laquelle la réalisatrice refuse de donner forme in fine, ce que l’on regrette car ce scepticisme, entendu au sens propre comme le refus de conclure et de tirer des principes des postulats initiaux, nuit à la qualité du suspense de l’ensemble, déjà appauvri par l’absence de tout bonus à se mettre sous la dent. Reste un travail formel intéressant, très abouti esthétiquement, en ce qui concerne le jeu sur les fluides, qui représentent ici à la fois la mer, les vagues, la sueur et les larmes et, sous un angle physique, la première manifestation visible du chaos.
Du métabolisme du désir à la métamorphose topologique, d’un dérèglement à un autre, de la ratio à la déraison, La Turbulence des fluides permet au moins de s’imprégner d’une atmosphère moite et étrange qui souffre cependant d’un déficit d’embolie catastrophico-fictionnelle. La preuve peut-être qu’il est difficile de traiter l’ennui sans être attiré par sa léthargie consubstantielle.
frederic grolleau | ||
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