Malgré son nom à consonance anglo-saxonne il est belge. Et il n’aura connu la célébrité qu’à 40 ans.
Le Bruxellois Edgard, Félix, Pierre Jacobs (1904 - 1987) est aujourd’hui pourtant renommé dans le monde entier pour ses deux héros principaux : Francis Blake et Philip Mortimer, à qui l’on doit d’inénarrables "aventures" en bande dessinée. Passionné en sa prime adolescence par l’art lyrique (le jeune Edgar est né dans le quartier du Sablon, entre l’Académie des beaux-arts et le Conservatoire) suite à une représentation du Faust de Gounod au Théâtre des Galeries, celui qui va devenir l’un des auteurs les plus célèbres de la bande dessinée classique belge n’aura de cesse de vouloir s’imposer comme baryton dans des spectacles de qualité diverse, sans jamais " percer " comme l’on dit.
Bercé un temps par le music-hall et l’opérette, c’est finalement la BD, activité alors peu appréciable, qui l’accueille et lui donne ses premières lettres de noblesse en même temps que des revenus acceptables, grâce à la reprise des exploits de Gordon l’intrépide conçus pour l’hebdomadaire Bravo ! en 1942, puis au scénario fondateur du Rayon U. En dépit du succès des Aventures de Blake et Mortimer (prépubliées dans Tintin pour la plupart) qui viendra sur le tard, c’est un E. P Jacobs au destin contrarié qui se fait jour dans ces admirables pages de François Rivière et Benoît Mouchart. Il est vrai que le lecteur ou l’amateur déclaré ne disposaient à ce jour pour toute source d’information, en-dehors de quelques entretiens accordés ça et là, que de l’autobiographie de Jacobs lui-même, Un opéra de papier parue chez Gallimard. C’est donc un itinéraire paradoxal que nous offre cette Damnation d’Edgar P. Jacobs portant bien son nom et retraçant avec force détails et documents inédits la trajectoire de celui qui, paranoïaque en diable (n’alla-t-il point jusqu’à se constituer un classeur spécial plagiaires de ses oeuvres...), fut l’ombre de Hergé et qui s’était retiré, ô symbole quand tu nous tiens, dans sa maison du Bois-des-Pauvres, près de Bruxelles, avant d’y mourir d’un mélange de fatigue, de tristesse et de dépression.
Un créateur hors du commun doté d’un sens documentaire frisant l’obsession, habité par une ligne claire surpuissante et un sens des couleurs révolutionnaire pour son époque - un peu trop au goût d’Hergé ayant vu en lui un rival - qui inventa rien moins que la bande dessinée pour adultes si l’on en croit ses biographes (et on les croit volontiers). Non seulement chacun est informé ici des circonstances qui alimentèrent en passion et en désespoir, en espoir et en abattement la vie de Jacobs (notamment les méandres de sa vie privée et son indéfectible amitié pour " l’incivique " mais talentueux inspirateur Jacques Van Melkebeke, le copain d’enfance qui prête ses traits à Mortimer himself) , mais l’on bénéficie en outre d’un décryptage minutieux, érudit et savant, des différents titres de Blake et Mortimer, dont l’originalité et les influences sont soigneusement mises en valeur (le cinéma expressionniste allemand, le surréalisme et la littérature d’aventures, les romans de H. G Wells, Jules Verne, Maurice Leblanc entre autres). Tout comme l’on se trouve informé par la même occasion de l’histoire du journal Tintin, et de l’essor du 9e art en Belgique pendant et après la seconde guerre mondiale.
C’est à lire. By jove !
Benoît Mouchart et François Rivière, La Damnation d’Edgar P. Jacobs, coédition Seuil/Archimbaud, 336 p. - 21 € . |
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