Le vieux Pékin fantasmatique recouvre ses plus beaux atours dans un livre somptueux.
La ville de Pékin se caractérise aujourd’hui par le désordre croissant des constructions en tout genre, ce qui entraîne la disparition - entendez la destruction brutale - des anciens quartiers et des fameuses ruelles, les "hutong", du vieux Pékin. Installé en Chine depuis 1997, le dessinateur Charles Chauderlot s’était illustré naguère, si on ose la formule, en peignant précisément les vieilles maisons de Pékin sur le point d’être détruites - les conservant à jamais dans les mémoires (Pékin, ultimes regards sur la vieille Cité, paru en octobre 2003 aux Éditions du Rouergue). Un an plus tard, fort des autorisations de rigueur, c’est à l’intérieur même de la Cité interdite, comparée à un Dragon ensommeillé, que "l’étranger" est amené à poser son chevalet et à dessiner de tout son saoul à l’encre de Chine pendant deux ans les parties fermées d’icelle (soit les deux tiers de la superficie) que le public, qui est légion, ne voit donc jamais : les palais et les résidences, les cours et les hauts murs, les jardins et les portes, les façades et les toits, tous plus merveilleux les uns que les autres...
Voir l’invisible, dévoiler "le Dedans" de la ville interne que constitue la Cité - autrefois la partie la plus sacrée du pays entier -, pour reprendre le sous-titre de ce magnifique ouvrage, tel est le projet des auteurs ici, le dessinateur étant secondé dans sa tâche par le sinologue Cyrille J.-D. Javary (spécialiste de la pensée chinoise ancienne et en particulier du Yi Jing, qui a notamment publié Dans la Cité Pourpre Interdite chez Philippe Picquier en 2001 et Le Discours de la tortue : découvrir la pensée chinoise au fil du Yi Jing chez Albin Michel en 2003) qui enrichit de remarques tant historiques que symboliques ces aperçus de la cité tartare et des hutongs ravagées par les pelleteuses, ce "Grand Dedans" que livre Charles Chauderlot dans un récit au jour le jour afin de relater cette expérience inouïe et de commenter ses soixante-douze lavis réalisés au pinceau chinois, un art dans lequel il est passé maître et qui lui permet de faire apparaître dans ce "beau livre" bien nommé des bâtiments de la Cité qui ne sont répertoriés sur aucun plan.
Ainsi s’ouvrent à nous, écartelés entre ses fonctions politiques, militaires, culturelles et religieuses, les grands axes de la Cité interdite : ses temples, ses théâtres, ses bibliothèques, ses salles d’audience et ses palais d’habitation.
Encadré de photos et complété d’extraits de l’œuvre de Lao She (1899-1966), le vieux Pékin fantasmatique recouvre alors ses plus beaux atours, rendu à sa splendeur inviolée d’antan grâce à de sublimes dessins à la plume avant que de se dissoudre bientôt au contact des miasmes du monde moderne. Héritière d’un passé impérial, la cité à l’architecture fascinante a beau se transformer en une terne mégalopole moderne, Charles Chauderlot réussit le pari de sauvegarder sa somptueuse mémoire, dans un livre qui ne l’est pas moins, envers et contre tout.
frederic grolleau
Charles Chauderlot, Cyrille Javary, La Cité interdite, Le Dedans dévoilé, Le Rouergue, 2004, dimensions (en cm) : 26 x 3 x 30, 144 p. - 30,00 €. | ||
Commenter cet article