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L'enfant sauvage (exposé CPES)

Publié le 21 Novembre 2011, 11:52am

Catégories : #Philo & Cinéma

Exposé n° 4 par Mlle Bertrand : L'enfant sauvage

 

 

Le projet de François Truffaut dans L’Enfant Sauvage est de porter à l’écran l’histoire vraie d’un enfant ayant vécu dans une solitude complète pendant plusieurs années en pleine forêt aveyronnaise, et qui fut trouvé par des chasseurs en 1798. Cette découverte avait en effet attisé la curiosité du public mais aussi des savants. L’une des questions majeures du XVIII ème siècle, allait enfin trouver sa réponse: qu’en est-il de l’homme à l’état de nature ? Qu’est-ce que la nature humaine quand on la contemple dans son dépouillement même ? On fit donc venir l’enfant de Rodez à l’ Institut des Sourds-muets, rue St Jacques à Paris, en s’imaginant que les splendeurs de la capitale allaient l’émerveiller. A vrai dire, les parisiens et les savants allaient être rapidement déçus par le spectacle de l’enfant. Repoussant de saleté, nu et hirsute, se déplaçant comme un animal et ne s’exprimant que par des grognements, il faisait peine à voir. Son corps était couvert d’une quinzaine de cicatrices que lui avaient infligées ses diverses luttes avec les animaux sauvages. L’une d’entre elles, sur le cou, paraissait à la fois plus fine et plus profonde, comme si on avait tenté de lui trancher la gorge avant de l’abandonner. On supposa qu’elle s’était soignée d’elle-même et qu’ainsi, vers trois ou quatre ans il s’était trouvé seul en pleine nature.
Le diagnostic des spécialistes fut rapide et radical : il s’agissait d’un arriéré mental et c’est pourquoi sa famille avait voulu s’en débarrasser. O pensa donc l’envoyer à Bicêtre, là où alors on enfermait les fous. Toutefois un jeune médecin qui travaillait alors sur la surdité ne partageait pas cet avis, le docteur Jean Itard. Outre la surdité il s’intéressait particulièrement au thème de l’éducation. Il est considéré aujourd’hui non seulement comme le créateur de la 1ère école française d’otologie (en sciences des oreilles et ses pathologies) mais aussi comme le fondateur de la psychiatrie de l’enfant : Itard, inspiré par les philosophes des lumières fait un diagnostic inverse par rapport à celui de ses collègue : selon lui l’enfant n’était pas un idiot que l’on aurait tenté de supprimer, mais quelqu’un qui serait rentré dans un processus de régression du fait d’avoir été isolé, privé de soin et d’affection, privé de l’influence sociale qui façonne l’humanité de l’Homme. Dès lors il tentera de lui faire retrouver cette humanité perdue et se verra confier la responsabilité de garde mais surtout de l’éducation de l’enfant sauvage. On lui doit alors deux rapports concernant les progrès de son élève. Le premier date de 1801 destiné à l’ Académie de Médecine. Le second de 1806. Ce sont les deux traités que publie Lucien Malson en 1964 à l’occasion d’une thèse de la psychologie sociale. Le journal le Monde en fit alors la récession, et c’est à cette occasion que Truffaut découvrit l’existence de cet enfant et que lui vînt le désir d’en faire un film.

 

 

 

Comme nous l’avons dit, la question de l’ Homme à l’état de Nature, de la nature humaine en général, de ce qu’il serait sans l’environnement social qui actualise son potentiel) c'est-à-dire sans éducation hante les lumières européennes. Avant Locke et Condillac et Rousseau ne cessent de relancer cette thématique :

• Chez Locke (1632-1704), c’est le statut de l’enfant par rapport à ses parents qui fait question, ce qu’il en est de sa liberté, de son droit et de leurs devoir. Plus profondément, Locke élabore une toute nouvelle théorie de la connaissance qui insiste sur le rôle de la sensibilité et des sensations dans la constitution de l’esprit et du langage.

• Condillac (1715-1780) interroge lui aussi la formation de l’esprit qui interroge lui aussi la formation de l’esprit dans son rapport avec la sensibilité, mais aussi la question du langage, de son origine, de la nature et de l’usage des signes (Essai sur l’ Origine des Connaissances Humaines, 1746, Traité des Sensations, 1754). Enfin l’abbé problématise les rapports entre l’homme et l’animal dans le Traité des Animaux de 1755.

• Dans son Discours sur l’ origine et les Fondements de l’ inégalité parmi les Hommes (1755), Rousseau dit que « lorsque l’on pense rigoureusement ou commence a concevoir qu’une telle nature humaine ne s’actualise que sous le jeu d’expériences sans cesse réitérées, que sous l’impact d’une éducation où les exigences sociales sont peu à peu assimilées, par quoi l’ Homme devient effectivement un être parlant et pensant ». Toutefois nous n’en sommes pas encore à l’idée suivant laquelle la nature humaine serait un mythe, ou comme le diront plus tard les ethnologues que « la nature de l’homme c’est sa culture ». La prise de conscience d’une telle idée sera lente, le docteur jean Itard en fut l’un des précurseurs.

 

 

 

Ce que l’on appelle les « enfants sauvages », sont des enfants découverts alors qu’ils vivent en pleine nature, le plus souvent au sein de groupes d’animaux dont ils ont adopté les comportements. Indépendamment des récits légendaires ou mythiques, on dénombre une cinquantaine de cas scientifiquement recensés. Ainsi on a découvert depuis le XIVème siècle, des enfants-loups, ours, mouton, truie, gazelle, babouin, et même un enfant-léopard. Victor de l’ Aveyron, nom que lui donne Itard du fait de sa réceptivité aux mots qui contiennent le son o et l’un des cas les plus connus.
Les deux rapports d’ Itard montrent donc l’évolution de l’enfant. On suit ses apprentissages (s’habiller, aider aux tâches ménagères), on découvre ses manies (s’échapper et retourner dans les bois, grimper aux arbres, ses crises de nerfs quand les exercices intellectuels sont trop fatiguant, boire de l’eau en regardant la nature, dans une pose quasi mystique). Parfois même il adopte des attitudes étonnantes : quand un visiteur l’indispose, il va chercher sa canne et son chapeau et les lui donne, lui faisant ainsi comprendre qu’il est l’heure de partir. Itard réussira à affiner considérablement sa sensibilité, à lui faire voir ce qu’il regardait et écouter ce qu’il entendait. Il put diversifier ses goûts, ses joies et ses besoins, développer son intelligence abstraite grâce à une multitude d’exercices –comme le montre admirablement Truffaut-. Mais toujours dans le doute qu’il s’agisse là d’habitudes comportementales et non de gestes intelligemment prémédités. Dans un premier temps il sera pourtant acquis que Victor n’est pas un idiot, que le jeune médecin a eu raison – contre l’opinion de ses collègues - de le soustraire au placement parmi les fous. « Comme si la société avait le droit d’arracher un enfant à une vie libre et innocente, pour l’envoyer mourir d’ennui dans un hospice, et y expier le malheur d’avoir trompé la curiosité publique ». Généralisant l’étude de son élève, Itard en tire un certain nombre de conclusions pour son Premier Rapport :
 dans l’état de nature l’homme est inférieur à l’animal.
  c’est la sensibilité de son espèce qui conduit l’homme à sa supériorité morale, laquelle est « le résultat de la civilisation ».
 quand cette sensibilité n’est pas actualisée dans la petite enfance, elle s’affaiblit par la suite pour devenir presque stérile
 le rapport entre les besoins et les idées est constant chez les sauvages comme chez les hommes civilisés, mais leur foisonnement chez ces derniers est un facteur de développement et de progrès de l’esprit et de la société.
 l’éducation doit donc être corrélée à la médecine et aux sciences.


Le Second Rapport reprend avec reprend avec plus de précision les étapes du développement de Victor. Itard pourra ainsi et à juste titre s’enorgueillir d’avoir pu apprendre à Victor tous les gestes essentiels de la vie quotidienne et même avoir pû inculquer à son élève une certaine idée du juste et de l’ injuste et des sentiments affectueux. Toutefois si il sait son alphabet et si il reconnaît certains mots et sait combiner les syllabes, il ne retrouve pas un usage normal de la parole. De même, l’inquiétude des désirs les plus profonds de Victor, ceux qui paraissaient liés au développement du jeune homme qu’il est devenu, ne trouveront jamais satisfaction, comme s’ils étaient pour toujours tout à fait indéterminés. Comme l’écrit encore Itard : « cet accord de nos besoins et de nos goûts ne pouvait se rencontrer chez un être à qui l’éducation n’avait point appris à distinguer un homme d’avec une femme, et qui ne devait qu’aux seules inspirations de l’instinct d’entrevoir cette différence, sans en faire l’application à sa situation présente ». La fin du texte est alors animée par une certaine déception, voire une certaine tristesse, comme si Itard avait enfin accepté ce qu’il craignait ou pressentait secrètement depuis le début de l’aventure : pour Victor, il était arrivé trop tard.


Dans son livre, le texte qui accompagne la publication des rapports d’Itard est de faire le point sur l’ idée de la nature humaine, à la lumière de la multiplicité contemporaine des sciences qui prennent pour objet l’ Homme.
En premier lieu, il mobilise l’ essentiel des recherches en sciences sociales, mais aussi la biologie, la philosophie. Il s’agit d’affirmer une bonne fois pour toute que l’homme est histoire et non pas nature, que l’hérédité des traits mentaux, des talents et des capacités est un mythe, que c’est parce que l’homme est démuni à sa naissance qu’il développe ses dispositions, que c’est donc par sa culture et son environnement qu’il est ce qu’il est.
L’enfant sauvage -c’est-à-dire l’enfant isolé-, révèle donc à l’inverse moins une nature que la solitude d’une bête qui n’en est pas une. Car l’hérédité spécifique n’est pas chez l’homme ce qu’elle est chez l’animal : il n’est pas inscrit sur son génotype qu’il appartienne à l’espèce humaine, ce qui explique chez lui l’infinité des modes d’existence possibles. Avant le groupe l’homme n’est qu’une virtualité, une somme de virtualités « aussi légères qu’une transparente vapeur » écrit Malson.
Une question se pose alors : comment et pourquoi la vieille idée de nature humaine s’est-elle peu à peu dissoute ? C’est là le problème de l’hérédité psychologique (puisque l’hérédité biologique est maintenant claire, même si elle implique le milieu). D’un point de vue psychologique, il n’y a pas de déterminisme héréditaire. L’idée d’une hérédité psychologique individuelle a été détruite par la sociologie des familles et l’étude de la gémellité ; l’idée d’une hérédité psychologique spécifique a été détruite par l’anthropologie culturelle et par l’analyse des cas extrêmes d’isolement, c’est-à-dire des enfants sauvages. C’est donc la raison pour laquelle les rapports d’ Itard sur Victor de l’ Aveyron sont si précieux.

 

A. Le mythe de l’hérédité psychologique individuelle.

 
On entend par hérédité psychologique un système défini qui se transmet comme tel d’individu à individu. Il n’y a pas de contamination sociale ou d’héritage s’exprimant par soi. L’homme est irréductible à ce qui le détermine. L’hérédité biologique n’engendre pas le comportement psychologique. Les théories génétiques de l’hérédité psychologique sont des élaborations a posteriori construites sur des enquêtes statistiques qu’elles tendent à justifier.
Le potentiel génétique n’implique pas moins un milieu où se mêlent traditions et habitudes.  L’étude de la gémellité a servi à clarifier les choses, puisque les jumeaux homozygotes (provenant de la bipartition d’un ovule et ayant le même patrimoine génétique) sont psychologiquement très différents quand ils sont élevés séparément. Inversement cette différence s’atténue avec l’homogénéisation de leur éducation, qui tend à nier leur originalité propre. « Il n’y a pas plus de rapport entre patrimoine génétique et psychologie qu’entre la forme du crâne et l’intelligence ». Bref, la nature psychique individuelle est un mythe.

 

B. Le mythe de l’hérédité spécifique.


C’est la question de la nature humaine, en son universalité : là encore, la réalité scientifique est celle d’une infinie diversité. D’un point de vue synchronique (c’est-à-dire indépendamment du temps), tout tend à montrer que c’est l’éducation qui fait la personnalité de base. Le milieu social ou culturel définit le bon, le mauvais, le confortable et son contraire. C’est la culture qui façonne –dans une évidence insoupçonnée par les individus-, la perception du monde et les attitudes affectives typiques. D’un point de vue diachronique (c’est-à-dire historique), c’est encore plus évident, du simple fait que nombre de sociétés ont entièrement disparu. Comme l’écrit Malson : « les hommes inventent des solutions multiples aux problèmes de leur locomotion, de leur habitat, de leur alimentation, de leur habillement et ils n’inventent pas moins de solutions dans le domaine des relations à soi-même et aux autres ». Ainsi il n’y a pas d’universelle nature humaine, et même le complexe oedipien si cher à Freud, est invisible dans certaines sociétés. Victor dans la forêt a dû lui aussi trouver des solutions : le « génie de l’espèce » ne lui a servi à rien.

 

Située à environ 1 h 15 mn du début du film
La séquence précédente était très rythmée : par la musique de Vivaldi, la résonance des sons, le montage des plans et leur répétition, les cadrages assez serrés sur les deux personnages ou sur les objets, les allées et venues de l'enfant, les différents lieux de l'action. Cette séquence s'apaisait sur le succès de Victor récompensé par un verre d'eau, filmé par un lent travelling avant. Le passage de la séquence précédente à la séquence retenue, qui est un plan-séquence, s'effectue par un raccord son où, en voix hors champ, Itard s'interroge sur la possession ou non par Victor du sentiment intérieur de la justice. Tel est l'enjeu de la scène : en chercher une preuve, en faisant une expérience, annoncée par cette transition.
Le plan-séquence dure presque deux minutes et se déroule dans le cabinet de travail du docteur, terrain d'exercices pour Victor. On peut distinguer sept moments.

Le docteur Itard lui-même, cadré en plan poitrine, est suivi dans son déplacement par un panoramique gauche-droite, de la porte vers l'autre côté de la pièce, peinte en blanc, avec une cheminée de marbre noir, des étagères, un tableau noir, des planches anatomiques accrochées au mur, un écritoire et une large fenêtre ouverte qui laisse entrer une lumière très claire, blanche. Au passage du panoramique, on aperçoit Victor à la fenêtre, regardant à l'extérieur, comme étranger à ce qui se prépare. Itard est silencieux, se parle à lui-même, l'air pensif, les yeux baissés à terre. Il s'arrête à une cheminée sur laquelle il s'appuie en finissant son interrogation sur la possession par Victor du « sentiment désintéressé de l'ordre moral ». Cette réflexion assez kantienne est la suivante : Victor agit-il selon l'impératif hypothétique « Je fais le bien pour être récompensé, je ne fais pas le mal par peur d'être puni », ou selon l'impératif catégorique « Je fais le bien parce que c'est bien » dont Kant disait lui-même qu'il s'agissait d'un idéal régulateur, jamais appliqué par aucun homme au monde. Après avoir annoncé qu'il va faire quelque chose d'abominable pour éclaircir ce doute, il quitte la cheminée et rejoint son écritoire.

Itard et Victor sont réunis dans le champ de la caméra, cadrés en plan américain, au centre de la pièce. Itard écrit, sa voix intérieure annonce qu'il va mettre le cœur de Victor à l'épreuve d'une injustice flagrante. La composition de l'image accentue l'opposition des noirs et des blancs, des horizontales et des verticales, d'un intérieur assez rationnellement ordonné, avec une nature vue en cadre dans le cadre, en profondeur de champ, avec un arbre près de la fenêtre qui sert à notre regard de repoussoir vers l'extérieur. Une fois annoncé le projet (Victor aura-t-il la réaction de se révolter ?), Itard quitte son écritoire.

L'expérience est mise en œuvre. La caméra a effectué un léger travelling arrière et Itard se retrouve au premier plan, cadré à la taille, de profil, à un bout d'une diagonale qui rejoint Victor par le biais de l'écritoire. Itard choisit les fiches de vocabulaire qui vont servir à son expérience, l'enfant est toujours retourné vers le jardin. Itard appelle Victor qui le rejoint au premier plan, sans que la caméra ne bouge. D'un geste familier de la main, il lui donne les consignes de l'exercice, devenu habituel pour lui : livre, clef, ces objets symboliques de l'accès réservé à l'humanité. Victor sort du champ par la gauche, il en restera absent quinze secondes.

Itard est seul dans le cadre : c'est la longue attente, en temps réel, caméra immobile, du retour de Victor que nous entendons marcher sur le plancher, hors champ ; après un silence de neuf secondes, on anticipe son retour par le bruit de ses pas.

Victor revient dans le champ avec le livre et la clef, un sourire confiant aux lèvres. Itard joue la colère, jette rageusement les deux objets par terre (geste que l'on a vu faire par Victor durant ses crises de colère), empoigne l'enfant assez violemment par les épaules, le secoue. C'est la tromperie.

La caméra pivote vers la gauche, en légère plongée pour suivre le corps à corps assez violent et assez sonore des deux protagonistes vers le fameux cabinet noir, symbole du châtiment, voire de la répression, jusqu'au moment de la morsure.

Le combat se métamorphose soudainement en caresse : le ton de la voix change, la musique de Vivaldi reprend doucement, les deux personnages s'étreignent, en plan taille, dans l'encadrement de la porte d'où le plan a démarré. Itard reprend son monologue intérieur.

Il a la preuve qu'il cherchait et l'image traduit cette satisfaction, au terme de

ce plan-séquence. Un travelling avant à la grue, depuis le jardin, nous montre Victor seul derrière une fenêtre fermée, au premier étage : Itard a élevé l'homme sauvage à la hauteur de l'homme moral.

 

Truffaut a déclaré : « Il y a pourtant une scène que je m'étais représentée à la lecture des Rapports et qui m'a déterminé à faire le film. C'est d'ailleurs la seule scène dramatique : la punition injuste infligée par Itard à son élève afin de le faire se révolter. » Cette révolte est suscitée par un pédagogue bienveillant qui entend restituer à Victor la plus noble des attributions de l'homme, le sentiment du juste et de l'injuste. À la morsure naturelle de Victor sur la main du médecin répond cette morsure « culturelle » de l'être moral, de l'être intègre. Cette morsure, pourtant, est le moyen trouvé par Victor d'utiliser sa bouche pour se révolter contre la tyrannie des mots qu'il ne peut prononcer.
Au début du film, le journal d'Itard sert à faire passer par la langue des scènes que le film nous a montrées. Avec cet épisode de la punition, cet ordre initial se trouve renversé : la punition est annoncée par l'écriture. La force de la scène réside dans cette attente par le spectateur de la réaction de Victor. Chacun s'identifie à la victime innocente et se trouve comme rassuré par sa révolte. La musique et le travelling avant de la fin apaisent définitivement cette tension. 

 


L’obsession de Truffaut : filmer pour sortir de l’enfance
La fragilité de l’enfance, sa détresse propre, mais aussi son courage et l’intensité de ses joies sont au cœur du cinéma de Truffaut, pour des raisons qui tiennent à sa propre histoire.
Devant Victor, il est l’ éducateur aimant et scrupuleux qui arrache l’enfant à la nuit de misère et de violence mais aussi d’ innocence qui était la sienne dans la nature : ainsi il peut jouer le docteur Itard, il peut se placer devant la caméra.
« Jusqu’à L’ Enfant Sauvage – dit-il lui-même -, quand j’avais eu des enfants dans mes films, je m’identifiais à eux, et là, pour la première fois, je me suis identifié à l’adulte, au père».
Victor vécu jusqu’ à 40 ans, fut il plus heureux que dans sa solitude ?

 

 

OPPOSITION ENTRE 2 CONCEPTIONS DE LA NATURE HUMAINE :

 

 « Concluons qu’errant dans les forêts sans industrie, sans parole, sans domicile, sans guerre, et sans liaisons, sans nul besoin de ses semblables, comme sans nul désir de leur nuire, peut-être mais sans jamais en reconnaître aucun individuellement, l’homme sauvage sujet à peu de passions, et se suffisant à lui-même, n’avait que les sentiments et les lumières propres à cet état, qu’il ne sentait que ses vrais besoins, ne regardait que ce qu’il croyait avoir intérêt à voir, et que son intelligence ne faisait pas plus de progrès que sa vanité ».

Dans son Discours sur l’ origine et les fondements de l’ inégalité parmi les hommes, écrit en 1755, Rousseau évoque l’homme à l’état de nature. Selon lui, l’homme à l’état de nature s’oppose à l’homme civil sur de nombreux points : Rousseau pense effectivement que l’homme à l’état naturel serait bien meilleur que l’homme socialisé.
Dans la conclusion de la première partie du Discours (extrait ci-dessus), Rousseau résume les caractéristiques principales de l’homme sauvage en en montrant les caractères bénéfiques pour lui-même et pour ses semblables.
 
 Au début de notre extrait, Rousseau rappelle que l’homme sauvage est « sans domicile », entendant par là qu’il n’a pas de domicile fixé à l’avance ou qui lui appartienne : c’est la nature (la forêt) tout entière qui lui appartient.
 L’homme à l’état de nature n’est pas doué de la parole : en effet, à l’état de nature, il n’y aurait pas de langage institutionnalisé car il n’y a pas eu regroupement d’hommes (société) pour s’accorder sur le sens des signes. Il ne produit que des sons (« cri de la nature ») qui sont liés aux besoins essentiels de l’homme (manger, dormir, etc.).
 L’homme à l’état naturel n’a aucun contact avec ses semblables : il vit de manière individuelle et indépendamment des autres, et il n’a pas besoin des autres. Du coup, chez les hommes sauvages, il n’y a pas de guerre et de notion de propriété : ils n’aspirent ni à posséder un espace privé ni à asservir autrui.
  L’homme sauvage est « sujet à peu de passions » : il n’a donc aucune raison de nuire à ses semblables comme le fait l’homme social. Il ne regarde que « ce qu’il croit avoir intérêt à voir » : l’homme sauvage ne voit que ce qui peut répondre à l’un de ses besoins. En ce sens, il ne songe qu’à sa conservation (amour de soi opposé à l’ amour-propre de l’homme à l’état social, lequel sentiment entraîne, pour Rousseau, la vanité et l’orgueil). Du coup, l’homme à l’état de nature se « suffit à lui-même ».
 Enfin, l’homme sauvage n’a que « les sentiments et les lumières propres à cet état », d’où l’absence de passions. Ce type d’homme n’est pas destiné à vouloir se changer : il n’a pas la faculté de se perfectionner (perfectibilité ; faculté propre à l’homme socialisé). De ce fait, l’intelligence de l’homme sauvage « ne fait pas plus de progrès que sa vanité » : il aspire seulement à sa propre conservation.

 
 Construction :
• une rapide introduction de quelques pages qui annonce l’idée essentielle : il n’y a pas de nature humaine
• chapitre 1 (« l’hérédité de l’individu et l’hérédité de l’espèce ») : il n’y a qu’une hérédité biologique, et non psychologique ; le développement psychologique de l’homme dépend de son inscription en société (acquis).
• chapitre 2 (« Les compositions légendaires et les relations historiques ») : les cas historiques d’isolement et les débats concernant leur sens.
• chapitre 3 (« Les trois espèces de sauvages et leurs plus célèbres exemples ») : présentation et analyse des trois cas d’isolement que Lucien Malson interroge.

 

Introduction :
« C’est une idée désormais conquise que l’homme n’a point de nature mais qu’il a – ou plutôt qu’il est  une histoire ». Malson part donc d’un constat. Cette thèse existentialiste est-elle une évidence pour tout un chacun ? S’il défend l’évidence de cette thèse, Malson va néanmoins asseoir cette thèse sur l’analyse des « enfants sauvages », c’est-à-dire d’enfants qui se sont retrouvés à l’état sauvage très jeunes, avant même d’avoir appris au sein de la société des hommes.
L’humanité est conçue par Malson comme une « structure de possibilités, voire de probabilités qui ne peut passer à l’être sans contexte social, quel qu’il soit« . Autrement dit, l’homme est un animal politique (Aristote). En dehors de la cité, l’homme n’est plus vraiment homme, en dehors de la cité, l’homme reste un animal. L’hérédité n’est pas d’ordre psychologique : les caractéristiques et compétences psychologiques se transmettent grâce à l’éducation. Malson distingue d’ailleurs ici l’hérédité (physique, biologique) et l’héritage (psychologique) : « La nature, en l’homme, c’est ce qui tient à l’hérédité, le culturel c’est ce qui tient à l’héritage« . Bref, pas d’hérédité psychologique, ni au niveau de l’individu, ni au niveau de l’espèce : on ne naît pas homme, on le devient.


Conclusion :

« L’homme en tant qu’homme, avant l’éducation, n’est qu’une simple éventualité, c’est-à-dire moins, même, qu’une espérance« . Les caractéristiques psychologiques de l’homme (au sens affectif et intellectuel) sont le fruit de l’éducation et non innées. En ce sens, la nature (psychologique) humaine est une illusion si on comprend cette expression au sens strict de « nature », c’est-à-dire de spontané, de naturel, indépendant de la culture. Pas d’homme sans éducation, pas d’homme sans appartenance et ancrage social. L’homme naturellement bon de Rousseau, par exemple, est donc une pure fiction.
On perçoit mieux, dès lors, le poids d’autrui et de la société dans l’élaboration de notre « nature ».

 

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