C’est un régal de voir le grand comique français se couler dans la seconde peau d’un Harpagon fait pour lui
Tout un chacun qui a fréquenté au collège ou au lycée les Classiques Garnier connaît L’avare de Molière, mémorable pièce de 1668 brocardant la vieillesse et l’amour maladif de l’argent d’Harpagon assez mal accueillie alors au demeurant - tant "il est vrai que le public goûte rarement les bonnes choses quand il est dépaysé" selon l’analyse du sieur Grimarest. L’intrigue est assez simple : Valère aime Elise et, pour être plus près d’elle, s’est fait engager comme intendant par son père Harpagon, usurier illégal qui roule sur l’or. Cléante, le fils de ce dernier, est amoureux de Marianne, une jeune fille du voisinage. Mais les amours des enfants sont contrariées par le père : d’abord parce qu’il ne vit que pour son argent, soupçonnant perpétuellement de vol tout son entourage et ensuite, parce que, veuf, il a décidé d’épouser Marianne, sans connaître le penchant de son fils pour elle.
C’est ce canevas que Louis de Funès, déjà malade à l’époque, décide de porter à l’écran en 1979 afin de sortir Molière de son confinement théâtral et de permettre à tous un accès à ce bijou d’humour jusqu’alors privilège de la Comédie Française. Cette nouvelle sortie remastérisée du film de Jean Girault et de Louis de Funès chez Studio Canal accuse certes le passage des ans - Funés ayant voulu préserver l’intégralité du texte moliéresque, l’ensemble est à la fois statique et, par définition, "verbeux" - mais c’est un enchantement, que dis-je, c’est un régal de voir avec une belle image le grand comique français se couler dans la seconde peau d’un Harpagon fait pour lui. Un personnage dont on découvre grâce au seul savoureux bonus de "Histoires de tournage" qu’il l’habitait depuis 35 ans !
Il n’est pas inintéressant d’ailleurs de rappeler, pour l’anecdote, que Louis de Funés, s’il commit assez peu de singles (45 Tours), se laissa aller à un mythique "Au voleur" (Scéne de la bastonnade extraite de L’avare, WEA 18185) ! Finalement, après avoir beaucoup rit des mimiques funessiennes (apartés avec le spectateur, distorsion buccales, arrachage de tiroir infini, port de lunettes géantes et autres gesticulations frénétiques), on se prend à songer que Funès accomplit avec Molière que ce que Molière lui-même fit en son temps avec la comédie de Plaute (La marmite) : il s’en inspire pour la dépasser, inaugurant lui aussi un genre nouveau, " la grande comédie de caractère ", en prose - comédie par sa forme et drame par sa matière. Cette famille bouleversée par le vice d’un de ses membre et par l’imposition d’une pauvreté "absurde" est à cet égard aussi frappante théâtralement en 1668 que cinématographiquement en 1979, et par la grâce du dvd en ce début d’année 2003.
Et le moindre des mérites de Funès dans un film au parti pris austère sinon spartiate (on songe à la scène où Harpagon et maître Jacques discutent des chevaux étiques de la maisonnée peints à même le mur de la cuisine !) n’est pas de souligner la triste figure d’Harpagon le mal aimé, lequel mérite notre pitié davantage que notre mépris. Un constat implacable des faiblesses de la nature humaine qui se trouve rehaussé par les quelques inventions que Louis de Funès instille dans le texte original de Molière et qui auréolent, entre autres, cette réplique célébrissime du valet La Flèche : "La peste soit de l’avarice et des avaricieux !"
frederic grolleau L’avare (1979) 20, 99 € Réalisation : Louis de Funès et Jean Girault Scénario : Louis de Funès et Jean Girault, d’après la pièce de Molière Photo : Edmond Richard Musique : Jean Bizet Durée : 120 min Avec : Louis De Funès, Frank David, Claude Gensac, Michel Galabru, Bernard Menez, Herve Bellon o Date de parution : 12 novembre 2002 o Éditeur : Studio Canal Bonus : o Les filmographies o La galerie de photos o Les bandes-annonces o Histoires de tournage o La collection De Funès
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