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fredericgrolleau.com


L'affaire Amazon (2001)

Publié le 15 Juillet 2012, 14:58pm

Catégories : #ARTICLES PRESSE & DOSSIERS

Où des liaisons dangereuses entre un libraire en ligne d’origine US et de grandes maisons d’édition française...

 

Amazon mis en cause par Jean-François Revel

 

Dans « Les plats de saison, journal de l’annĂ©e 2000 Â» (co-Ă©dition Plon-Seuil, 2001), Jean-François Revel relate Ă  la date du 11 septembre 2000 (p. 309 sq.) que le libraire en ligne amĂ©ricain Amazon (www.amazon.fr) propose en vente Ă  paraĂ®tre en « dĂ©cembre 1999 ! Â», et Ă  un prix dĂ©risoire, le journal qu’il est prĂ©cisĂ©ment en train d’écrire . De mĂŞme qu’est mentionnĂ©e sur le site une future biographie de "Maurice Barrès" par Michel Winock, projet pourtant abandonnĂ© par l’auteur quelques annĂ©es plus tĂ´t... Furieux, le diariste en conclut dans un paragraphe lapidaire que « Amazon connaĂ®t le contenu des ordinateurs des maisons d’édition Â» - ou sommeillent contrats et « prĂ©contrats Â». Puis il dĂ©nonce lĂ  une « piraterie d’informations confidentielles Â» plus dangereuse selon lui que la concurrence commerciale des librairies en ligne (qui frisent l’« incompĂ©tence Â» et l’ « ignorance Â») avec les librairies traditionnelles. EnquĂŞte...

Comment un prix farfelu tracasse Michel Winock

Dans une annexe du Seuil basĂ©e non loin du quai de Conti face Ă  la Seine, Michel Winock sourit en repensant Ă  « l’Affaire Amazon Â». Ainsi l’avons-nous d’emblĂ©e nommer. C’est son fils Julien, naviguant sur le net et ayant entrĂ© par curiositĂ© le nom de son père ainsi que celui de son ami Revel sur le site d’Amazon qui a dĂ©couvert la succession d’erreurs. M. Winock, professeur Ă  Sciences-Po qui travaille Ă  mi-temps en tant qu’éditeur au Seuil, avait bien Ă©changĂ© au dĂ©but des annĂ©es 1990 un courrier avec Olivier Orban puis signĂ© un contrat en vue de la rĂ©daction d’une biographie sur Maurice Barrès pour les Ă©ditions Plon/Perrin. Un projet auquel l’auteur avait toutefois renoncĂ©, d’autres Ă©diteurs proposant une biographie sur le mĂŞme thème avant qu’il s’y soit attelĂ© en profondeur. (Sarah Vajda a fait paraĂ®tre un « Maurice Barrès Â» chez Flammarion en 2000 ; Zeev Sternheell, « Maurice Barrès et le nationalisme français Â» chez Fayard la mĂŞme annĂ©e.) Plon/Perrin et l’écrivain avaient alors annulĂ© ce contrat - qui rĂ©apparut pourtant un soir de septembre 2000 sur Amazon !

M. Winock a donnĂ© suite Ă  la dĂ©couverte de son fils, non en prĂ©sentant le problème au libraire en ligne, mais en contactant le directeur de Plon/Perrin, lequel a diligentĂ© sa propre enquĂŞte sur ce cas Ă©pineux. La question des liaisons (dangereuses) entre l’éditeur et Amazon est nonobstant demeurĂ©e dans le flou. « Aucune rĂ©ponse claire ne m’a Ă©tĂ© retournĂ© Â»e, dĂ©plore M. Winock, qui tempère sa dĂ©ception en remarquant : « Il faut savoir qu’en moyenne sur dix contrats Ă©ditoriaux prĂ©vus, deux ne sont pas honorĂ©s, pour cause de maladie, de dĂ©sintĂ©rĂŞt ou de dĂ©cès... A ce niveau, il existe en sommeil des engagements qui ne dĂ©boucheront donc jamais sur rien de concret en termes de productions littĂ©raire. Mais de lĂ  Ă  proposer au public des Ĺ“uvres qui n’existent pas, il y plus qu’un pas ! Â»

Six mois après les faits, M. Winock affirme ĂŞtre Ă©tonnĂ© moins par la violation de la confidentialitĂ© affĂ©rente Ă  un « vieux Â» contrat Ă©ditorial que par le prix auquel le livre non publiĂ© (et qu’il n’a jamais Ă©crit) Ă©tait annoncĂ©. « Je veux bien croire, s’indigne-t-il, que l’information selon laquelle Revel allait bientĂ´t faire paraĂ®tre Ă  son tour un « journal Â» au Seuil ait pu circuler (ce qui est dĂ©jĂ  suspect), mais que certains aient pu de surcroĂ®t y attacher un prix, c’est hallucinant ! Que les gens qui mettent en ligne les informations chez Amazon aient estimĂ©, pour ĂŞtre prĂ©cis, Ă  69 francs le Journal de Jean-François Revel, voilĂ  qui dĂ©passe les bornes . N’importe lequel des autres volumes de cette sĂ©rie du Seuil coĂ»te 120 francs ! Ils auraient au moins pu y prĂŞter attention... Â» Surprend surtout l’éditeur du Seuil cette coexistence, sur la page de commande d’Amazon, du vrai et du faux : on prĂ©sente en ligne un livre qu’il a eu l’intention d’écrire - mais dont le projet a Ă©tĂ© arrĂŞtĂ© entre temps - et un autre, de J-F.Revel, qui va bien ĂŞtre publiĂ© - mais sous un autre prix et Ă  une autre date que ce qui est indiquĂ© (50 % des informations sont donc justes). Tout en reconnaissant qu’Amazon n’avait pas complètement tort d’annoncer la sortie d’un livre de Revel en co-Ă©dition Plon-Seuil (attachĂ© Ă  Plon et y disposant de « contrats de suite Â», J-F.Revel n’entendait pas rompre sa relation avec cet Ă©diteur sous prĂ©texte de participer Ă  la sĂ©rie des Journaux annuels du Seuil, d’oĂą cette fusion entre les deux Ă©diteurs), M. Winock s’insurge d’une « improvisation Â» d’Amazon qu’il juge contraire Ă  la logique mĂŞme du processus Ă©ditorial. Et de s’étonner : « comment se fait-il qu’un groupe Ă©ditorial, quel qu’il soit, puisse proposer Ă  Amazon des livres qui ne sont pas parus et dont le prix n’a pas encore Ă©tĂ© dĂ©terminĂ© ? Â» Le libraire en ligne incriminĂ© est donc coupable Ă  ses yeux, moins de mettre en vente sur le net des ouvrages inexistants que d’afficher des prix correspondants complètement farfelus.

Cruciale, cette question du coĂ»t du livre prime sur l’inexactitude de l’information dans la mesure oĂą cette erreur en dit long selon M. Winock sur l’ignorance des libraires en ligne en matière de fabrication de livres Ă  proprement parler. En effet, le prix d’un ouvrage n’est jamais dĂ©terminĂ© avant qu’il n’ait Ă©tĂ© achevĂ© et remis Ă  l’éditeur. PrĂ©cision financière toujours fonction de deux Ă©lĂ©ments : du volume final du livre dont on ne peut nourrir au prĂ©alable qu’une idĂ©e approximative. De l’espĂ©rance de vente qui s’attache Ă  l’ouvrage et repose sur son degrĂ© de vulgarisation, de diffusion importante, selon la nature du sujet abordĂ©. Si le coĂ»t d’un livre est calculable Ă  partir des frais en matière de papier, de mise en page qu’il implique etc., la deuxième Ă©tape est plus difficilement apprĂ©hendable et suppose du temps. « 

C’est lĂ , avance M. Winock, oĂą l’éditeur Plon/Perrin a commis un impair. En voulant trop bien faire, il n’a pas Ă©tĂ© assez vigilant. Et Ă  vrai dire, la seule chose qui m’intĂ©resse dans cette affaire, sinon plutĂ´t insignifiante en ce qui me concerne, est de savoir d’oĂą vient la fuite Â». A quel niveau elle se situe. Ce qui revient en un premier temps Ă  localiser la source oĂą sont regroupĂ©s chez l’éditeur l’ensemble de projets en cours. Puis, dans un second, Ă  Ă©tablir de quelle manière Amazon fixe des prix pour les ouvrages prĂ©sentĂ©s aux internautes alors qu’ils n’ont pas Ă©tĂ© officialisĂ©s par l’éditeur qui les produit.

L’hypothèse du « coup Â» mĂ©diatique

ContactĂ© par tĂ©lĂ©phone, Julien Winock, fils del’auteur, a Ă©mis l’hypothèse qu’Amazon aurait tout intĂ©rĂŞt Ă  prĂ©senter le plus d’informations possibles eu Ă©gard aux ouvrages Ă  paraĂ®tre afin de gonfler ses stocks et d’appâter par ce biais le cyberchaland... Hypothèse douteuse Ă  laquelle rĂ©pond en ces termes le PDG de Plon /Perrin, Xavier de Bartillat : « Aujourd’hui il n’y a aucune entente entre le groupe Plon/Perrin et Amazon pour faire un « coup Â» en matière de communication sur la parution prochaine de tel ou tel ouvrage ; c’est radicalement impossible. La rĂ©vĂ©lation Ă  tous les internautes de notre « petite cuisine Â» entre Michel Winock et moi m’a plus embĂŞtĂ© qu’avantagĂ© en quoi que ce soit. Qui plus est, cela revient Ă  gĂŞner notre auteur et Ă  induire le client, le lecteur, en erreur, ce qui ne profite Ă  personne ! C’est une connerie, voilĂ  tout ! Â»

Il ne s’agit donc pas d’annoncer ouvertement par ce stratagème une concurrence entre les auteurs oeuvrant chacun pour des Ă©diteurs diffĂ©rents. Le processus de mise en marchĂ© est en effet constituĂ© de diverses Ă©tapes pouvant ĂŞtre rĂ©duites, non du fait des Ă©diteurs, mais seulement grâce aux diffuseurs/distributeurs (oĂą dominent deux mastodontes : Vivendi et Hachette, soit les diffuseurs Interforum et Maurepas) qui diffusent entre 70% de l’édition française et imposent aux Ă©diteurs un vĂ©ritable planning (argus, fixation des objectifs face aux directeurs des rĂ©seaux, rĂ©union des reprĂ©sentants, prospection en librairie, remontĂ©e des commandes faites en librairies, estimation de la mise en place, tirage de la part de l’éditeur, livraison Ă  Malesherbes pour Vivendi et Ă  Maurepas pour Hachette, facturation puis, dix Ă  douze jours après livraison, installation effective des volumes en librairie). Les dĂ©lais entre la livraison chez le distributeur et la mise en marchĂ© dans les librairies ont diminuĂ© : on est passĂ© de trois semaines Ă  quinze jours (selon les transporteurs).

La facturation aussi s’est accĂ©lĂ©rĂ©e en s’informatisant, mais les Ă©tapes prĂ©cĂ©dentes restent les mĂŞmes car elles sont devenues de plus en plus rigoureuses au sein d’un processus industriel d’organisation serrĂ©e qui ne laisse aucune place Ă  l’improvisation comme par le passĂ©. X. de Bartillat est ferme sur ce point : « Nous faisons un mĂ©tier d’artisan dont le coeur rĂ©side dans la relation empirique avec les auteurs : un domaine volatil, affectif et insaisissable. Mais une fois le pacte entre l’éditeur et l’auteur signĂ©, il s’inscrit dans un processus imposĂ© par les grandes chaĂ®nes de librairies et les diffuseurs/distributeurs. Â»

Soupçonner, comme Julien Winok que le manque de vĂ©rification d’Amazon participe d’une logique du coup mĂ©diatique revient d’après François Saugier, responsable Ă©ditorial du libraire en ligne amĂ©ricain, Ă  poser une nouvelle fois la question intĂ©ressante de la source. « Sur internet, les choses ne sont pas toujours très claires. Notre site, explique-t-il, contient les informations de base fournies par exemple par Dilicom (une sociĂ©tĂ© jouant le rĂ´le d’interface informatique entre Ă©diteurs, distributeurs et libraires) puis toutes les autres informations qui proviennent soit d’Amazon (la rĂ©daction qui Ă©crit les chroniques autour des livres), soit des Ă©diteurs (argumentaires, 4e de couverture) ou encore de partenariats conclus avec la presse. A cela s’ajoutent les textes Ă©ventuels des lecteurs : mais l’ensemble est organisĂ© pour qu’on sache Ă  chaque fois « qui Â» parle, sans qu’un flou demeure Ă  ce niveau. En tant que libraires de mĂ©tier, nous choisissons ensuite dans ce vivier les textes que nous prĂ©fĂ©rons mettre en avant , et il n’y a rien de mystĂ©rieux lĂ -dedans Â».

Par rapport Ă  un texte donnĂ©, Amazon affirme ne pas disposer de plus d’informations qu’un libraire traditionnel et ne s’autoriser aucune extrapolation. Ce qu’il faut interroger dans cette affaire, annonce François Saugier, c’est « comment fonctionne la mĂ©canique interne des Ă©diteurs, comment ils rentrent leurs propres informations dans la base de donnĂ©es de Dilicom. Â»

La nature des fuites responsables de l’affaire Amazon

Lorsque nous demandons Ă  M. Winock si certaines personnes du Seuil pourraient Ă©claircir cet embrouillamini Ă©ditorial, il affirme que non, le groupe auquel il collabore n’étant « pas impliquĂ© par cette « fuite Â» d’informations censĂ©ment confidentielles Â». VoilĂ  comment M. Winock interprète ce qui s’est passĂ© : des renseignements ont Ă©tĂ© donnĂ©s « de bonne foi Â» par Plon/Perrin Ă  Amazon mais ils n’étaient pas valides. En l’absence de vĂ©rification de la part du vendeur en ligne, « on en est arrivĂ© Ă  cette situation grotesque qu’épingle Revel Â». Cela tend Ă  prouver qu’il existe quelque part une concentration de donnĂ©es concernant des projets, des contrats Ă©ditoriaux et qu’à un moment ces donnĂ©es ont Ă©tĂ© transmises, dans des conditions floues, Ă  Amazone...

Evoquant le paragraphe de son "Journal" oĂą son ami J-F Revel s’en prend violemment Ă  Amazon, Winock prĂ©cise qu’il ne partage pas le point de vue de l’acadĂ©micien Ă  ce sujet. Il prend ses distances, observant la chose suivante : « Evoquer des « prĂ©contrats Â» n’a guère de sens juridique : il existe des contrats Ă  l’amiable mais ils n’ont aucune valeur d’engagement pour les deux parties impliquĂ©es, l’auteur et l’éditeur. Je doute donc que de tels documents soient conservĂ©s dans les secrĂ©taires ou les ordinateurs des directeur de collection. En outre, lĂ  oĂą Revel dĂ©nonce, sans le savoir prĂ©cisĂ©ment d’ailleurs (il ne s’agit que d’une conjecture) une piraterie du contenu des ordinateurs des maisons d’éditions, je ne vois pour ma part qu’une communication d’informations erronĂ©es. Jean-François Revel n’est pas non plus censĂ© tout savoir ! Â»

De son cĂ´tĂ©, Jean-François Revel n’a pas acceptĂ© de nous recevoir pour discuter de vivre voix de sa position dans l’affaire. Dans la lettre qu’il nous a fait parvenir sont mentionnĂ©s seulement les faits suivants, qui lui semblent suffisamment Ă©vidents pour qu’il n’y ait pas Ă  discuter davantage de leur prĂ©tendue objectivitĂ© : « Je n’ai rien Ă  ajouter Ă  ce que j’ai consignĂ© et si vous avez dĂ©jĂ  parlĂ© Ă  Michel Winock il vous a dĂ©jĂ  tout dit de ce que je sais Ă  ce sujet. D’autre part, Laurent Theis, historien et conseiller des Editions Plon m’a dit que c’étaient les sociĂ©tĂ©s de distribution (Interforum, etc.) qui informaient directement Amazon. Â» Dont acte, quoique cela paraisse un peu court en terme d’explication.

Dans son bureau qui domine la place saint-Sulpice Xavier de Bartillat, le directeur gĂ©nĂ©ral de Plon, qui est aussi le directeur de Perrin -il tient beaucoup Ă  cette double casquette - n’apparaĂ®t guère contrariĂ© par nos questions. Et insiste pour qu’on ne fasse pas toute une affaire du cas Amazon mis en relief par M. Winock et J-F. Revel. « Un bug administrativo-informatique, nous dit-il, a fait que des informations qui devaient rester dans nos murs sont parvenues chez Interforum qui, alimentant la base de donnĂ©es d’Amazon, a permis Ă  ce libraire en ligne de les afficher sur son site. Amazon a de fait « picorĂ© Â» le titre et le nom de l’auteur et dans l’absence de prix et de date, a pensĂ© qu’il pouvait les indiquer lui-mĂŞme. Cette bavure ne concerne pas d’ailleurs que Plon /Perrin mais aussi Les Presses de la CitĂ© et Laffont. AlertĂ© par Michel Winock de cette situation, nous avons depuis rĂ©glĂ© ce problème qui Ă©tait fonction Ă  la fois d’une nĂ©gligence de notre part et d’une anticipation douteuse d’Amazon Â».

Les Ă©diteurs de Plon/Perrin auraient alors rencontrĂ© Amazon, s’étant montrĂ© un peu lĂ©ger dans cette affaire : « une fois un verrou installĂ© dans notre fichier informatique, nous les avons incitĂ© Ă  nettoyer leur fichier des titres qui ne devaient pas y figurer puisqu’il s’agit de titres « Ă  paraĂ®tre Â», assure X. de Bartillat. Ils ont un peu rechignĂ© Ă  le faire mais nous avons obtenu gain de cause Â». Une situation de flottement qui aura durĂ© trois semaines, l’erreur devant toutefois figurer depuis un mois sur le site d’Amazon sans que personne s’en soit rendu compte, Ă  en croire le directeur de Plon/Perrin que seconde pendant notre entretien Luc Bellier, responsable Nouveaux MĂ©dias du groupe. SensibilisĂ© grâce au cas Revel/Winock Ă  la faiblesse de la transmission des informations Ă©ditoriales, X. de Bartillat tire de l’affaire Amazon des conclusions plutĂ´t positives. Quand un domaine nouveau comme le web, comme la libraire en ligne, apparaĂ®t, cela permet en retour selon lui de dĂ©couvrir le fonctionnement du processus actuel et rend possible en mĂŞme temps des « fuites Â» ou des « dĂ©rives Â». Et chaque fois qu’un Ă©diteur s’aperçoit d’un Ă©cart, il se doit de serrer un boulon supplĂ©mentaire dans le processus « Ă©diteurs-diffuseurs-libraires Â»pour Ă©viter que le cas se reproduise. Suite Ă  l’affaire Amazon, la sĂ©curitĂ© de Plon /Perrin s’est renforcĂ©e dans ce domaine et aujourd’hui aucun Ă©lĂ©ment confidentiel de la base de donnĂ©es de ce regroupement Ă©ditorial n’est consultable Ă  l’extĂ©rieur. « Car il s’agit lĂ , souligne son P.D.G, de notre cĹ“ur d’activitĂ©, de notre secret de fabrication et nous tenons Ă  prĂ©server ce qui relève de la vie privĂ©e de l’éditeur et des auteurs ! Â»

AlertĂ© de l’erreur par son propre auteur, Xavier de Bartillat n’hĂ©site pas Ă  faire amende honorable. Et Ă  reconnaĂ®tre que, plus fondamentalement que des clefs informatiques d’accès mal installĂ©es, l’affaire Amazon renvoie surtout au fait que Plon/Perrin ne s’était pas posĂ© jusqu’ici la question des fuites possibles d’informations confidentielles au coeur du processus administratif. Mais il rajoute aussitĂ´t que « l’improvisation d’Amazone consistant Ă  remplir les cases vides du prix et de la date de parution n’a rien arrangĂ© ! Â» Une affirmation que rĂ©cusent les dirigeants d’Amazon.

A l’abri du bunker que constitue le site d’Amazon Ă  Guyancourt (Yvelines), ce sont deux trentenaires dĂ©contractĂ©s, François Saugier, directeur Ă©ditorial, et Elisa O’Neill, responsable des contacts presse et communication, qui nous accueillent. D’emblĂ©e, F. Saugier remet les pendules Ă  l’heure en exposant la « mĂ©canique Â» d’Amazon : le libraire en ligne propose Ă  ses internautes (lecteurs, clients) de rĂ©server Ă  l’avance des ouvrages, avant qu’ils ne paraissent en libraires. Et qu’ils reçoivent ensuite Ă  domicile dès leur parution. Sont dĂ©veloppĂ©es Ă©galement - service supplĂ©mentaire par rapport Ă  une librairie traditionnelle - des opĂ©rations spĂ©ciales, du type « Harry Potter Â», qui permettent aux clients de recevoir le livre attendu au petit dĂ©jeuner le matin mĂŞme ou l’après-midi de la parution. Le fonctionnement technique d’Amazone ? « Notre partenaire Dilicom - beaucoup utilisĂ© par les Ă©diteurs - est mis Ă  contribution par les libraires afin de passer leurs commandes et vĂ©rifier la disponibilitĂ© des titres.

C’est un outil de communication Ă©diteur-libraire existant dans la profession depuis plusieurs annĂ©es pour mettre Ă  jour les bases de donnĂ©es Â». LĂ  oĂą le libraire classique garde ses informations pour lui, pour pouvoir commander Ă  l’éditeur, souligne François Saugier, Amazon va plus loin : « l’avantage d’Internet quand il arrive dans une industrie est en effet de changer le pouvoir, de donner plus de pouvoir aux clients et non aux fournisseurs, comme c’était le cas auparavant. VoilĂ  comment un outil Ă  destination des libraires est devenu avec la librairie en ligne un outil Ă  destination des clients. Ce processus explique Ă  lui seul la prĂ©sence d’ informations erronĂ©es sur Amazon : ces informations nous sont parvenues telles quelles par l’éditeur ! Amazon, sachez-le, ne dĂ©livre comme informations brut de dĂ©coffrage que celles fournies par les Ă©diteurs... Â»

La « source unique Â» des erreurs du libraire en ligne

Un système d’échanges d’informations entre deux bases informatique connectĂ©es l’une Ă  l’autre se trouve donc au coeur du système : Dilicom envoie Ă  Amazon les informations de base (titre, nom de l’auteur, Ă©diteur, numĂ©ro ISBN, date de parution, prix), et le libraire en ligne assure en retour la mise Ă  jour de sa propre base de donnĂ©es. D’après F. Saugier, il n’est possible de vĂ©rifier ces informations capitales qu’auprès de la source, c’est-Ă -dire de l’éditeur. Or Amazon prĂ©sente 4000 titres par mois, ce qui empĂŞche de systĂ©matiser ce souci de contrĂ´le. A partir du moment oĂą la source donne au libraire en ligne une information, il la considère par principe toujours exacte. Ne disposant d’aucun moyen de recoupement idĂ©al (il paraĂ®t difficile par exemple d’appeler les auteurs pour s’assurer de la fiabilitĂ© des renseignements dont Amazon dispose sur eux), le système qui fait force de loi est celui de « la source unique : l’information de la parution d’un livre, de son prix de vente, de sa disponibilitĂ©, de son format, de sa collection est toujours donnĂ©e par l’éditeur et lui seul, martèle le directeur Ă©ditorial. Il est amusant de noter alors, dans les exemples que vous convoquez, comment on peut accĂ©der Ă  la cuisine interne des Ă©diteurs : Ă  savoir la programmation puis l’annulation auprès des libraires d’ouvrages annoncĂ©s par les Ă©diteurs. C’est un Ă©lĂ©ment de complexitĂ© pour nous - mais aussi bien tous les libraires - d’arriver Ă  gĂ©rer ce genre de choses. On est alors dans l’impossibilitĂ© de tenir nos promesses auprès des lecteurs, comme un journal de l’annĂ©e 2000 prĂ©vu par l’éditeur en dĂ©cembre 99 et qui ne sort finalement que l’annĂ©e suivante ! Â»

En consĂ©quence, Amazon ne procède pas Ă  une vĂ©rification systĂ©matique des dates. Au moment de la parution effective des livres, les Ă©diteurs fournissent un complĂ©ment d’information qui lui permet la mise Ă  jour de la base au cas Ă©ventuel d’informations erronĂ©es. Puisqu’il apparaĂ®t que Dilicom ou Interforum ne peuvent commettre aucune distorsion des donnĂ©es, il est tentant d’assimiler tout renseignement tronquĂ© Ă  une mauvaise manĹ“uvre de l’éditeur ou du libraire en ligne. Mais lĂ  encore, tout en admettant « qu’il y a peut-ĂŞtre une marge d’erreur dans la transmission des informations du cĂ´tĂ© de Dilicom, comme dans tout domaine oĂą intervient de la saisie informatique - il suffit d’une erreur dans la saisie d’un numĂ©ro ISBN ou d’un prix de vente pour que ces erreurs soient affichĂ©es sur Amazon - F. Saugier attire notre attention sur le fait qu’il n’y a jamais eu la preuve jusqu’à aujourd’hui d’une erreur dans l’interfaçage entre notre base de donnĂ©es et celle de Dilicom. D’oĂą sa conviction que dans l’affaire Revel, il s’agit moins d’un bug informatique que d’un bug humain du cĂ´tĂ© de l’éditeur. Â»

Soucieux d’adopter une politique transparente, le responsable d’Amazon ne rechigne pas Ă  Ă©voquer d’autres types d’erreur identiques Ă  celles rĂ©vĂ©lĂ©es par le couple Revel/Winock. « Il arrive assez frĂ©quemment que des dĂ©calage de date de parution se produisent. Le livre de Jean Glavani, « Politique folle Â», Ă©tait sur le site prĂ©vu Ă  la date du 4 avril et il ne sera accessible Ă  partir du 15 avril. Par exemple, le livre de Jack Lang sur Laurent le Magnifique est frĂ©quemment annoncĂ© depuis un an par les Ă©ditions Perrin alors qu’il s’agit d’un « serpent de mer Â» que par prudence nous n’annonçons plus tant il est systĂ©matiquement dĂ©programmĂ© ! La seule chose que nous puissions faire dans ce cas de figure est d’essayer d’éduquer un peu les Ă©diteurs pour affiner nos informations d’une part et ne pas laisser tomber nos clients en cas d’informations fausses d’autre part, en mĂ©nageant pour eux des solutions substitutives - auquel cas nous jouons le rĂ´le de l’éditeur ! Â» Aujourd’hui ce type d’erreur n’a pas de rĂ©percussions très importantes au niveau des lecteurs qui se connectent Ă  Amazon, et s’inquiètent plutĂ´t d’après Elisa O’Neill des Ă©tapes que suivent leurs livres avant de parvenir chez eux (le libraire en ligne dispose d’une traçabilitĂ© qui permet de les rassurer) ou des procĂ©dures de navigation sur les site d’Amazon. Et si jamais un retard est constatĂ© quant Ă  la parution d’un livre, Amazon prĂ©vient ses clients par mail personnalisĂ© du changement de date. C’est le travail de son service Clients, ouvert 7 jours sur 7 toute l’annĂ©e et qui rĂ©pond aux clients par tĂ©lĂ©phone ou courrier Ă©lectronique. - « mais nous ne communiquons pas sur le nombre de personnes qui y travaillent Â», prĂ©cise aussitĂ´t la chargĂ©e des relations presse et communications.

La position d’Amazon quant aux propos polémiques des auteurs et des éditeurs

Quand nous rappelons Ă  F. Saugier que selon Michel Winock, le prix du livre de Jean-François Revel n’a pas Ă©tĂ© proposĂ© par l’éditeur et que, selon Xavier de Bartillat, Plon/Perrin n’a pas transmis Ă  Dilicom le prix de ce livre pour des raisons liĂ©es aux variables inhĂ©rentes Ă  la mise en marchĂ© de tout ouvrage, le directeur Ă©ditorial d’Amazon a du mal Ă  cacher son Ă©nervement. Il se contente malgrĂ© tout de nous rĂ©pĂ©ter qu’ « Amazon ne crĂ©e jamais un prix de vente avant parution ! Cela est strictement rĂ©servĂ© Ă  l’éditeur (nous pouvons seulement intervenir a posteriori lorsque le livre est paru, lorsque nous l’avons entre les mains, et voyons une erreur entre l’information transmise par l’éditeur/Dilicom et la rĂ©alitĂ© des choses). Je pense qu’il y a un flou au sein du circuit d’informations du Seuil que M. Winock connaĂ®t bien puisqu’il n’est pas seulement auteur mais Ă©diteur dans cette structure - il devrait donc ĂŞtre en contact avec les personnes du service commercial qui fournissent ces informations-lĂ . Par rapport Ă  cette question de prix, il serait intĂ©ressant de voir comment cela se passe chez les autres libraires en ligne : ils devraient tous recevoir la mĂŞme information... Â»

Fait Ă©trange vu les assertions de Xavier de Bartillat, F. Saugier soutient par ailleurs « ne pas avoir Ă©tĂ© contactĂ© par Plon/Perrin Ă  ce sujet. A moins, se reprend-il, que l’éditeur ait rencontrĂ© une personne du catalogue sans qu’on m’en informe. Car lorsque l’éditeur nous fournit des fichiers nettoyĂ©s, nous procĂ©dons aux corrections dans notre base Â». LĂ  oĂą Revel dĂ©nonce pourtant de la part d’Amazon « une piraterie d’informations confidentielles Â» et une « incompĂ©tence Â» flagrante, le jeune responsable Ă©ditorial ne voit partant qu’une affirmation qui le fait rire tout en tĂ©moignant de la grande mĂ©connaissance de Jean-François Revel en matière de librairie en ligne. « L’idĂ©e n’est pas de rouvrir une guerre en recherchant les responsabilitĂ©s. On voit bien que le marchĂ© du livre est en train de s’organiser sur certains aspects de mieux en mieux, mais les transmissions d’informations ne sont pas encore fiables Ă  100%. Nous en pâtissons dans la mesure oĂą les informations donnĂ©es par les Ă©diteurs sont dĂ©livrĂ©es au public. La justesse de ces informations est dĂ©terminante et constitue une forte pression sur nos Ă©paules. A terme, le grand gagnant est le lecteur - qui bĂ©nĂ©ficiera dans quelques annĂ©es d’informations encore plus prĂ©cise et encore plus fiables Â».

Il ajoute ne pas avoir eu connaissance du texte de Jean-François Revel que nous lui soumettons et qu’Amazon reçoit régulièrement un pourcentage d’informations comportant des erreurs. Ce qui l’amène à ne pas être étonné outre mesure de ce genre de choses qui adviennent, tout comme les éditeurs s’exposent eux-mêmes à ce qu’un pourcentage des livres programmés ne voient jamais le jour.

RĂ©cusant la violence des propos de Revel, F. Saugier refuse de dire pour autant que c’est finalement l’éditeur qui est ignorant et incompĂ©tent en transmettant des informations erronĂ©es. « Je dirais les choses diffĂ©remment, nous invite-t-il Ă  noter, car je connais le mĂ©tier d’éditeur, qui est compliquĂ© et ne permet pas toujours d’être complètement fiable, de par le grand nombre de rĂ©fĂ©rences Ă  traiter. Mais il est clair que notre industrie ne fonctionne pas de manière optimale. Notre arrivĂ©e met en Ă©vidence des fonctionnements qui grippent un peu. Comme dans toute dynamique d’amĂ©lioration, il faut que les choses apparaissent pour que les gens se rendent compte qu’il est nĂ©cessaire de les amĂ©liorer Â». Le responsable du secteur livres d’Amazon se souvient ainsi qu’au moment du lancement du site des Ă©diteurs ont rĂ©agi pour signaler « des informations fausses sur le site. Nous les avons remerciĂ©s en leur faisant observer qu’il s’agissait de leurs propres informations ! Il a fallu du temps pour que Dilicom cesse d’être une chose opaque, rĂ©servĂ©e aux professionnels de la profession, pour devenir un vrai outil de communication et de vente. Maintenant les Ă©diteurs se manifestent plus positivement en nous renvoyant en cas d’erreurs constatĂ©es les fichiers impliquĂ©s avec les modifications concernant leurs sources Â». Cette transformation s’est effectuĂ©e en 6 mois, ce qui est très encourageant pour le libraire en ligne car le système français fonctionnait depuis une dizaine d’annĂ©es avec des informations peu fiables : prix modifiĂ©s, dates de parution dĂ©calĂ©es, couvertures et collections changĂ©es, etc. « Or on voit aujourd’hui que les informations se fiabilisent Ă  tous niveaux. il y a des Ă©diteurs comme le Seuil qui nous fournissent leur programme au mois de mars pour les parutions de juin. Comme en Angleterre ou aux USA une très grande professionnalisation du mĂ©tier du livre dans ce secteur est en voie de dĂ©veloppement Â», se rĂ©jouit F. Saugier. Ce qu’il tend Ă  considĂ©rer comme un certain respect de la chaĂ®ne : donner Ă  l’avance des renseignements fiables aux lecteurs comme aux libraires est Ă  ses yeux « un enjeu-clef pour l’édition, qui sera encore plus abouti dans 6 mois. Â»

L’explication objective : le relais Ă©diteur - distributeur - Dilicom - Amazon

Lorsque nous faisons remarquer Ă  M.Winock qu’en septembre 2000, au moment de ce « couac Â», Amazon Ă©tait encore en plein rodage et qu’il pourrait s’agir ici d’un dysfonctionnement informatique comme on en rencontre frĂ©quemment sur le web, l’essayiste rĂ©torque que « cela est plausible Â». Mais n’enlève rien au fait que l’histoire rapportĂ©e par Revel dans son « Journal de l’annĂ©e 2000 Â» est vraie et a bien eu lieu. D’aucuns ne pourront s’empĂŞcher de songer en apartĂ© que la position caustique et violente de Jean-François Revel Ă  l’égard d’Amazon est Ă  mettre au compte d’une volontĂ© (consciente ou non) de diaboliser la bĂŞte internet.

C’est pourtant du cĂ´tĂ© de la transmission informatique des informations que la fuite semble s’originer, comme nous l’expliqueXavierdeBartillat, revenant sur le fonctionnement global de la mise en marchĂ© d’un ouvrage en France. Les relations entre un Ă©diteur, un distributeur et un libraire (classique ou en ligne) suivent en effet une processivitĂ© informatique assez lourde. Comme dans toute entreprise, chaque contrat Ă©ditorial signĂ© fait l’objet d’une codification automatique en fonction du nom de l’auteur, du titre proposĂ©, de la date de remise de manuscrit prĂ©vue, du dĂ©lai de parution envisagĂ©, du nombre de signes, des droits d’auteur, de l’à-valoir... : autant d’élĂ©ments enregistrĂ©s dans une base informatique administrative interne. Les informations commerciales sont elles-mĂŞmes prĂ©levĂ©es dans ce conglomĂ©rat.

Ces flux d’informations se font par échange d’interfaçage entre deux logiciels. Plon transmet ses données administratives (y compris les informations sur ses auteurs) à une entreprise interne au groupe Vivendi Universal Publishing Services, la Sogedif , société de prestation de services qui lui tient lieu de coffre fort et fait suivre ensuite ces informations aux distributeurs. A Dilicom comme à Amazone.

Ainsi, le groupe Interforum (distributeur de Videndi Universal Publishing) reçoit aussi bien les titres parus que ceux Ă  paraĂ®tre dans les prochains mois en fonction des offices. A une Ă©poque, reconnaĂ®t ouvertement Bartillat, « Interforum avait accès Ă  l’ensemble des titres Ă  paraĂ®tre non pour les 6 mois de rigueur Ă  venir mais dans un, deux ou trois ans : sans que nous ayons prĂŞtĂ© suffisamment attention Ă  ce fait, le nom de l’auteur et le titre de son ouvrage Ă  venir « transpiraient Â» dans la base de donnĂ©es d’Interforum en dĂ©pit de leur confidentialitĂ© Â» . Depuis une « clef Â» a Ă©tĂ© installĂ©e pour que les informations sortant de la base de Plon/Perrin (et prĂ©sentant le nom de l’auteur ainsi que le titre provisoire du livre) ne soient que ceux qui vont ĂŞtre publiĂ©s dans les six mois, dĂ©lai de temps minimal pour les Ă©diteurs puisqu’il s’agit d’ouvrages prĂ©parĂ©s pour une prospection, puis une mise en place et une sortie effective. Ces six mois renvoient Ă  un processus de mise en marchĂ© qui s’applique aux livres sur le point d’être commercialisĂ©s : processus qui va de la codification commerciale, de la rĂ©daction d’un argumentaire en passant par une rĂ©union interne (pour fixer des objectifs avec les chefs de rĂ©seau) jusqu’à la prĂ©sentation aux reprĂ©sentants puis Ă  la prospection effectuĂ©e par les reprĂ©sentants, la livraison Ă  Malesherbes (pour Vivendi) et enfin la mise effective en libraires. Cela peut prendre de 4 Ă  6 mois, et explique que certains des titres soient parfois dĂ©programmĂ©s ou repoussĂ©s. Mais Ă©galement avancĂ©s dans le cadre exceptionnel d’évènements particuliers. « L’erreur Revel a eu lieu parce que cette fois-ci les philtres n’avaient pas Ă©tĂ© posĂ©s de manière assez rigoureuse. Notre installation mise en place avec l’arrivĂ©e des libraires en ligne avait besoin d’un temps d’adaptation pour fonctionner correctement. C’est dĂ©sormais chose faite Â», laisse posĂ©ment tomber Luc Bellier.

Dans la foulĂ©e, Xavier de Bartillat dĂ©taille le processus de transmission des informations concernant auteurs et ouvrages : « Notre base de donnĂ©es contenant nos titres gĂ©rĂ©e par Interforum - qui s’occupe de l’ensemble de la distribution de nos titres, dans le secteur traditionnel des libraires ou on line (Fnac, Alapage, Bol, Amazon etc) - est transmise Ă  une autre base, Dilicom, qui dĂ©verse sa propre base chez Amazon. Nous ne transmettons pas nos informations directement Ă  Amazon ou Bol. La Fnac ou Amazon ont besoin souvent de prix Ă  annoncer auprès des internautes mais nous n’indiquons de notre cĂ´tĂ© qu’un prix indicatif (relativement Ă  l’argus) car nous ignorons comment l’ouvrage va Ă©voluer : le prix n’est donc fixĂ© que lorsque nous disposons de la fiche du prix de revient unitaire du livre (le devis Ă©tablissant l’addition des frais fixes et des frais variables) et de la quantitĂ© de tirage prĂ©vue. C’est-Ă -dire dix jours avant la livraison effective de l’ouvrage. Soit 3 semaines avant la sortie en librairie du livre Â». Amazone devrait donc selon le directeur de Plon/Perrin ĂŞtre plus prudent dans sa formulation et indiquer pour chaque ouvrage en cours : « prix indicatif Â» et « titre provisoire Â».

Une telle mention pour les ouvrages Ă  paraĂ®tre sur le site du libraire en ligne amĂ©ricain est qualifiĂ©e par F. Saugier de « solution possible Â». Ă€ condition de prendre conscience que « la balle est du cĂ´tĂ© moins du libraire en ligne que des Ă©diteurs Â». Certains indiquent effectivement que tel titre est provisoire. « Par exemple, se remĂ©more le responsable Ă©ditorial, « American Death Trip Â» de James Ellroy est restĂ© sur notre site pendant 3 semaines sous l’appellation « titre provisoire Â». Nous avons alors appelĂ© l’éditeur pour savoir ce qu’il en Ă©tait, il nous a indiquĂ© que les maquettes et les couvertures Ă©taient prĂŞtes sous ce nom et nous l’avons alors officialisĂ©. Mais nous n’avons pas les moyens sur les 4000 titres que nous affichons chaque mois de vĂ©rifier des informations que les Ă©diteurs nous envoient les premiers. Soit donc ils transmettent des informations justes (oĂą comprenant les mises en garde que vous mentionnez), soit l’information est affichĂ©e telle quelle sur Amazon. Et si elle est fausse, cela donne un gros travail Ă  notre service clients qui gère ce type de situations Â».

Mais a partir du moment oĂą il s’agit d’une information dĂ©livrĂ©e par Amazon, si l’éditeur dĂ©cide de changer son prix au dernier moment, et si ce prix est infĂ©rieur Ă  celui initialement proposĂ©, Amazon s’engage Ă  ne faire payer au client que ce dernier prix. Et, dans l’autre sens, si le client achète un livre donnĂ© Ă  un prix plus bas sur le site que celui attribuĂ© en dĂ©finitive par l’éditeur, « nous considĂ©rons que c’est notre responsabilitĂ© et il le paiera le prix indiquĂ© sur Amazon Â». C’est le service Catalogue du gĂ©ant amĂ©ricain qui s’occupe en consĂ©quence du travail de vĂ©rification des concordances entre les prix initiaux et ceux d’arrivĂ©e, comme entre les dates de dĂ©but et celles effectives de parution. Il nettoie, corrige et enrichit en permanence la base de donnĂ©es. Les membres de ce service - « nous ne communiquons pas sur leur nombre Â», prĂ©vient F.Saugier - travaillent Ă  partir de sources d’éditeurs. Une relation directe Ă©diteurs-catalogue en train de s’enrichir et faisant qu’Amazon peut intĂ©grer très rapidement un correctif fourni par l’éditeur. « Faute de quoi sinon, comme dans le cas Winock- Revel, l’erreur peut demeurer inaperçue assez longtemps. Sauf si nos propres clients nous la signalent, ce qui arrive ! Â» Amazon prĂ©fère donc explicitement afficher l’information telle que reçue sur sa base de donnĂ©es de la part de l’éditeur via Dilicom plutĂ´t que de temporiser en cas de doute et de ne rien mettre en ligne du tout. « En un sens, s’exclame Elisa O’Neill, nous n’avons pas le choix sinon nous n’avançons pas. Un système de double vĂ©rification n’est valable que si vous multipliez les sources. Or nous ne disposons dans ce contexte que de la source unique de l’éditeur, auquel tout nous ramène. Nos clients Ă©tant aussi ceux de l’éditeur, nous partons du principe que l’information qu’il nous transmet est telle qu’il la souhaite Â». Difficile d’être plus clair.

Dilicom en dehors de tout soupçon

QuestionnĂ© sur l’existence possible de passerelles directes entre Interforum et Amazon (alors que la procĂ©dure usuelle veut qu’Amazon reçoive normalement des informations de Dilicom, qui les reçoit Ă  son tour d’Interforum pour le groupe Vivendi), F. Saugier nous a rĂ©pondu que cela arrivait « pour tout ce qui concerne l’enrichissement potentiel du catalogu Â»e, auquel cas il fait partie du travail du diffuseur de fournir au libraire en ligne les textes qui vont dans ce sens. ContactĂ© par tĂ©lĂ©phone, les responsables administratifs de Dilicom - nom commercial de la sociĂ©tĂ© Edilectre, service interprofessionnel destinĂ© depuis 1989 Ă  faciliter le dĂ©velopement des Echanges de DonnĂ©es InformatisĂ©es (EDI) dans le secteur commercial du livre - ont rĂ©pondu que le rĂ´le de leur structure Ă©tait uniquement celui d’un tuyau (« ce qui arrive repart tel quel Â»), une mise Ă  jour automatique des fiches ayant lieu tous les jours. L’information transmise par l’éditeur ou le distributeur, comme Interforum ou Hachette, n’est dans ces conditions pas modifiĂ©e. Il est seulement vĂ©rifiĂ© que l’ouvrage dispose d’un prix et d’un nom, sans entrer dans le dĂ©tail d’une vĂ©rification qui constituerait une vĂ©ritable folie sur l’ensemble des titres. Le but de Dilicom est que tous les libraires (traditionnels ou en ligne) puissent commander tous les livres prĂ©sents sur son site (www.dilicom.net) - oĂą tous les Ă©diteurs ne sont pas encore reprĂ©sentĂ©s. Dilicom transmet donc un catalogue de titres proposĂ©s par les Ă©diteurs et mis Ă  jour par leurs distributeurs. Il est donc possible que le libraire en ligne puisse ne pas rĂ©cupĂ©rer certaines informations si elles ne sont pas prĂ©sentes sur le site de Dilicom mais « Dilicom ne peut aucunement transmettre d’informations autres que celles qui figurent sur la base de donnĂ©es de l’éditeur. Â»

Autrement dit, au terme de notre enquĂŞte, l’erreur dĂ©noncĂ©e par M.Winock dans le prix de l’ouvrage de J.-F. Revel ne peut aucunement ĂŞtre imputĂ©e Ă  Amazon. De mĂŞme qu’il est difficile de demander au libraire amĂ©ricain implantĂ© en France de vĂ©rifier systĂ©matiquement le bien-fondĂ© des informations censĂ©ment vĂ©races fournies par les Ă©diteurs qui travaillent avec lui. A ce titre que le journal de Revel ait paru Ă  une autre date que celle initialement fixĂ©e paraĂ®t ressortir du jeu usuel des reports de publications. Quant Ă  l’annonce de la biographie de Barrès rĂ©digĂ©e par M. Winock, elle s’inscrit dans le maigre pourcentage d’erreurs - encore inĂ©vitables pour l’instant au nom de la complexitĂ© de notre système Ă©ditorial - qu’Amazon, comme n’importe quel autre libraire fonctionnant avec les informations de Dilicom, reconnaĂ®t tout en tâchant de les rĂ©duire le plus possible. Tout renvoie Ă  la source du problème et non aux courroies de transmission (Interforum, Dilicom, Amazon) qui rĂ©percutent ensuite les renseignements : les Ă©ditions Plon/Perrin ont laissĂ© filtrer Ă  l’extĂ©rieur ce qui n’aurait du ĂŞtre gĂ©rĂ© qu’en interne. Fallait-il Ă  tout prix trouver un bouc Ă©missaire pour que Revel charge aussi violemment Amazon ? On est en droit de se le demander.

C’est d’un livre, en train de s’écrire, que l’affaire est partie ; c’est Ă  ce mĂŞme livre qu’elle retourne in fine. Avec le soupçon que le discours d’un intellectuel - reconnu pour son sens critique en gĂ©nĂ©ral - sur le cours de l’histoire et des Ă©vènements vĂ©cus sans recul rĂ©flexif peut s’avĂ©rer le lieu d’un prĂ©jugĂ© et d’un parti pris. OĂą l’on reprochera au diariste de s’emporter un peu facilement contre un monstre technologique facilement ostracisable sans avoir vĂ©rifiĂ© les sources dont il se rĂ©clame. Devrait-on rĂ©duire le rĂ´le d’Amazon Ă  favoriser la mĂ©fiance envers tout principe d’autoritĂ©, ce serait dĂ©jĂ  beaucoup. Et cette fausse « affaire Â» mettant en correspondance le technique et la critique n’aurait pas eu lieu en vain.

   
 

frederic grolleau

 

Une version expurgée de cet article est parue dans le "Lire" du mois de mai, dans auteurs.net et Livres Hebdo en 2001.

 
 
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