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Jonathan Coe, James Stewart, une biographie de l’Amérique

Publié le 16 Juillet 2012, 11:23am

Catégories : #ESSAIS

Héros de prédilection chez Capra et Hitchock, Lubitsch et Cukor, incontournable cow-boy flegmatique chez Ford et Mann, Stewart fut le Monsieur Décence d’Hollywood

 

 

Le titre peut surprendre, qui met sur le même plan un acteur, fut-il célèbre et doué, et un pays entier, mais c’est que Jimmy Stewart (1908-1997) incarne pour beaucoup la quintessence de l’idéal américain. C’est en tout cas l’angle d’attaque choisi par Jonathan Coe, plus connu pour ses romans (Testament à l’anglaise, La maison du sommeil, Bienvenue au Club) et dont on apprend ici qu’il fut d’abord critique de cinéma, qu’il se consacra à plusieurs monographies - dont celle-ci publiée à l’origine en 1994 - avant de s’adonner au seul art romanesque. Cette réédition par les Editions Cahiers du Cinéma permet donc tout à la fois de revenir sur la fabuleuse carrière de Stewart et d’avoir accès à une part de l’imaginaire de Coe, nourri par le 7e art pendant longtemps.

 

 

Si l’avant-propos où Marie-Anne Guerin questionne Jonathan Coe sur ses rapports avec le cinéma n’offre pas grand chose à se mettre sous la dent, en revanche la lecture des pages consacrées par Coe aux films les plus marquants de l’acteur de l’Age d’or du cinéma hollywoodien proposent de nombreuses pistes de réflexion, notamment sur les " valeurs " américaines cristallisées par/sur l’écran. Même s’il s’agit ici plus d’une filmographie que d’une biographie nous ouvrant à la vie privée de Stewart à proprement parler, Coe connaît mille et un détails pour rendre moins lisse qu’on s’y attendait ce portrait de celui qui incarna, selon certains critiques l’acteur le plus complet, le plus crédible et le plus aimé en Amérique. Ainsi de Mr Smith au Sénat, La Vie est belle, The Shop Around the Corner, IndiscrétionsVertigo, L’Homme qui tua Liberty Valance, Winchester 73, L’homme de la plaine à Fenêtre sur cour, apprend-on comment Stewart, bientôt le prototype fait homme de idéaliste et du naïf, toujours prêt défendre la liberté, devint par hasard acteur, au théâtre - dans la troupe des University Players aux côtés d’autres futures gloires du cinéma US : Margaret Sullavan et Henry Fonda - puis au cinéma, quand il se destinait plutôt à l’architecture sur le campus de Princeton.

 

 

Déjà le beau gosse patriote portait sur lui un mélange d’élégance et de séduction innées qui n’étaient pas fonction que de ses costumes croisés ou de son chapeau mou années 40. Héros de prédilection, timide et discret, chez Capra et Hitchock, mais aussi Lubitsch et Cukor, incontournable cow-boy flegmatique chez John Ford et Anthony Mann, Stewart, par ailleurs combattant valeureux pendant la seconde guerre mondiale et célibataire endurci, portera jusqu’au bout cette image d’intégrité républicaine incorruptible. Lui qu’on appela " Monsieur Décence d’Hollywood "... Sa carrière (73 films) tout en méandres au sein de l’industrie du cinéma des grands studios fut pourtant plus tortueuse qu’on l’eût cru (elle doit beaucoup d’ailleurs à certain lapin Harvey flanquant l’alcoolique théâtral dont il prend les traits en 1952), et Coe rend compte avec une remarquable économie des tensions qui animèrent James Stewart, surtout dans la période après-guerre, afin de retrouver puis consolider sa place au soleil cinématographique.

 

 

Reste que certaines critiques à l’emporte-pièce surprennent sous la plume de Coe, notamment l’impasse interprétative dans laquelle le romancier anglais jette résolument et sans vergogne La corde (1948) alors qu’il s’agit d’un des films les plus remarquables de Sir Hitch. On comprend mal ici pourquoi Coe juge ce film " dérisoire " et " sans teneur " alors que Stewart tient au contraire dans The Rope avec Ruppert Cadell - professeur dont les théories extrêmes poussent deux de ses anciens élèves à assassiner l’un de leurs camarades au nom de l’élitisme d’une prétendue " race supérieure " -, un des rôles les plus intéressants et subversifs de sa carrière selon nous. Il n’importe. C’est bien en filigrane une " biographie de l’Amérique ", une Amérique où le faible a encore des droits devant le fort, le pauvre devant le riche, que délivre cette visitation des grands films de James Stewart, qui incite à rien moins qu’à se plonger derechef dans les nombreux chefs-d’oeuvres auxquels cet échalas aux jambes interminables prêta, comme personne d’autre, sa silhouette de solitaire sur le qui-vive.

   
 

frederic grolleau 

 

Jonathan Coe, James Stewart, une biographie de l’Amérique, Cahiers du Cinéma, Collection littéraire, 2004, 192 p. - 20,00 €.

 
     

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