Un autoportrait à partir de la fascination exercée par 9 femmes légendaires.
L’homme qui pensait à la dernière femme
Quand j’ai entendu parler du livre La dernière femme de Jean-Paul Enthoven, j’ai immédiatement pensé au titre éponyme d’un film de Marco Ferreri en 1976, mettant aux prises un chômeur, Gérard Depardieu, quitté par sa femme et devant élever seul son enfant, aidé par une puéricultrice - la très belle Ornella Muti dont c’était là le premier rôle - qui se refuse à lui par la suite, ce qui amène le malheureux héros à une légendaire castration en direct. "Je ne comprends pas les femmes", disait le cinéaste du Néoréalisme italien, à la sortie de son film... alors même que son œuvre passait pourtant par un hommage à la féminité afin de mettre en exergue le malaise de l’homme contemporain.
De ce point de vue, il n’est pas exclu que le parallèle puisse être maintenu entre le film de Ferreri et le bel essai d’Enthoven, qui nous livre - sur le modèle des Enfants de Saturne où le portrait d’une dizaine d’hommes (écrivains, dandys et autres mélancoliques) permettait déjà d’accéder aux bribes murmurées de son for intérieur - le portait de neuf femmes de légende pour servir de délicat contrepoint à son autoportrait. Par petites touches discrètes ici et là.
Dans les deux cas on a bien affaire à une exploration de la féminité, une volonté de définition identitaire, dont le guide, un regard masculin, ne peut que se heurter à certaines limites. Mais là où le cinéaste, trente ans plus tôt (voilà qui ne rajeunit personne), avouait une impuissance certaine dans sa démarche - ses propos, diffusés dans Les Cahiers du Cinéma (n°268-69) exposaient ces limites auxquelles le regard masculin se heurtait, en termes d’approche et conception de la femme à l’écran. "J’ai un vocabulaire masculin. J’ai été formé, éduqué dans une culture masculine. J’ai fait un discours masculin." ajoutait-il. "Je pensais faire un film sur une femme, c’est pour ça aussi que ça s’appelle La Dernière Femme. Qu’est-ce que peut-être la dernière femme ? J’ai pensé avec ma logique masculine et je suis arrivé à faire un film sur : qu’est-ce que pense l’homme de la dernière femme ?" - Enthoven parvient, via les femmes célèbres sur lesquelles il s’appuie, à produire une confession (une profession de foi ?) fort littéraire qui semble sincère... et a le mérite d’éviter les affrres de toute castration, symbolique ou psychanalytique. En passant, elle aussi, par l’Italie, les flashes de Venise, la magie de Rome et la contemplation du temps qui fuit ou ruine, c’est selon, toutes choses.
Une éducation davantage mentale que sentimentale somme toute qui touche non seulement parce cette arbitraire galerie de portraits est fascinante (Louise de Vilmorin, Laure, Nancy Cunard, Louise Brooks, Marie Bonaparte, Zelda Fitzgerald, Françoise Dorléac, Françoise Sagan et Flaminia), mais encore parce que l’écriture qui la dépeint est d’une rare maîtrise, qui fait songer plus d’une fois au ton (non sans esprit) des moralistes du XVIIe siècle. Chacune de ces icônes, sans doute, incarne l’eidos ou la quiddité du modèle féminin mis à la question à travers elle par l’auteur, lequel conceptualise ainsi ce qui les distingue toutes et les rend universelles. On songe en particulier à la présentation de Françoise Dorléac, perçue comme première Vanité dans l’histoire picturale. Autant de muses romantiques ramenées à une manière d’épure qui est leur vérité intemporelle.
Avec un art qui louvoie, nonchalant, entre essai et roman habité de vrais personnages, Jean-Paul Enthoven, dont on avait apprécié Aurore, traverse le miroir de la séduction et de la différence des sexes pour rendre compte, dévidant avec force mélancolie le cinéma intérieur de sa psyché, du danger inhérent à la beauté et la célébrité mêlées. L’auteur, alors, est-il un amoureux transi, éternel soumis, ou un madré du cœur travaillant en secret, par le truchement de la brève passion le nouant à "la dernière femme" du récit, elle bien vivante mais inconnue, à la répétition de ce qui fut ?
frederic grolleau
Jean-Paul Enthoven, La Dernière Femme , Grasset, 2006, 220 p. - 16,00 €. | ||
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