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Jean-Michel Truong, Eternity express

Publié le 15 Juillet 2012, 13:07pm

Catégories : #ROMANS

Un thriller entre Runaway train et Soleil vert !

 

Train de vie pour l’enfer

 

Plaisir toujours reconduit et jamais démenti (pour l’instant !) que de retrouver, avec à chaque fois un livre fracassant, Jean-Michel Truong. D’autant qu’avec Eternity express, l’auteur nous invite ensuivre en caméra subjective un héros moins propre sur lui que ceux de ses précédents ouvrages. S’il y avait bien en effet des êtres intègres et des traîtres à la cause (humaine) dans Reproduction interdite et Le Successeur de pierre, il semble que ce roman-ci fasse une place plus large au scepticisme sinon au désespoir pur et simple quant à l’avenir de la population humaine sur notre bonne vieille Terre.

 

Ces cris d’alarme impeccablement documentés qui font le sel de ses romans, on a l’habitude les lire avec une felix culpa sous la plume de Truong. Encore cet Eternity express, moins épais que les précédents, est-il plus radical, plus extrême à sa manière. Les épigones de l’auteur ne manqueront pas d’y voir une synthèse de son sens de l’anticipation et de ses thèses d’essayiste (Totalement inhumaine) Car, question du clonage, logique de la survie de l’esprit, éternel combat de la forme et de la matière, hantise de la corruption, délire de l’imagination et zest de spiritualité chinoise, c’est bien de tout cela qu’il s’agit dans ce livre. L’histoire, a-t-on envie d’écrire, en est des plus simples. De cette simplicité qui dans bien des cas, notre Histoire l’atteste à maint égard, confine à la tragédie. Un train emmène depuis Paris vers la Chine, à destination de Cliffort Estates, les papyboomers de la " Bubble-generation " de l’après-guerre que L’Europe n’est plus en mesure de prendre en charge.

 

A cause d’une démographie galopante et de la folie dot-com des venture-capitalists qui a mis à bas l’économie occidentale, l’Union européenne s’est en effet vue contrainte au début des années 2000 à voter la "loi de délocalisation du troisième âge", laquelle emmène derechef nos anciens dans le pays d’accueil chargé de leur garantir à des prix abordables les meilleurs traitements possibles. Utopie entre toutes ou panacée palliative au business plan implacable, la ville chinoise de Clifford Estates est le terminus d’un voyage imposé à des parents-surplus par leurs propres enfants, et dont le menu quotidien nous est présenté par les yeux de Jonathan Bronstein, docteur ayant anticipé avant tous la manne céleste des thérapies anti-viellissement et exploité au possible la hantise de la mort chez ses concitoyens. Au coeur de ce thriller entre Runaway train et Soleil vert, le scandale de l’Eternity rush, start-up ayant émergé en pleine folie de la net économie et qui promettait à chacun " l’élixir de jouvence " à même de déjouer les griffes de la mort... énième " pompe à fric " dont Truong démonte avec un plaisir évident les rouages, pour autant qu’il ne fait jamais qu’extrapoler ici sur les terres du roman ce qu’il a avancé de manière pragmatique dans son dernier essai.

 

Comme on s’en doute, et c’est tout l’intérêt de cet opus que de résider moins dans un intenable suspense crescendo que dans son décryptage à rebours, ce voyage - sans retour - est un chemin (ferré) de croix mais aux calvaires soigneusement dissimulés. De fait, on a l’impression que l’écriture de Truong se fait de plus en plus cinématographique au fil des romans et il qu’il y a un peu de l’ombre, moite et glauque, du train de l’ Europa de Lars von Trier dans cet Express, que rythment par contraste les fulgurances nostalgiques (au sens propre) de la Prose du Transsibérien d’un Blaise Cendrars. Et l’auteur de gratter là où ça fait mal : la supposée " tradition chrétienne et humaniste de l’Europe ", le pouvoir macroéconomique de la médecine high tech.

 

Quand expropriation avalisée et déportation banalisée riment avec l’ultime stratégie des "derniers humanistes d’une ère inhumaine", vous êtes embarqués dans un train pour l’enfer qui rappelle la triste propension des hommes , invariablement, à répéter ce qui les détruit. C’est là un secret de Polichinelle ? Alors ça tombe bien car avec Eternity express, on connaît désormais le nom de la ville-Potemkine où ce dernier habite.

   
 

Jean-Michel Truong, Eternity express, Albin Michel, 2003, 300p - 19,50 €.

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