Une fresque sanglante où des démons cherchent à biffer le visage d’un enfant faisant office de miroir de vérité.
"Comment apporter la lumière lorsqu’on est noyé par les ténèbres ?" À plus d’un degré, ce questionnement métaphysique d’un des personnages du roman de Jean-Christophe Grangé pourrait s’appliquer à la plupart des protagonistes qui luttent ici au coeur du mal et de la violence.
Qu’il s’agisse du commissaire Pierre Niémans, pourchassé par ses cauchemars psychoïdes ou du jeune lieutenant Karim Abdouf, les dignes représentants de la loi qui traquent un meurtrier aux actes abominables ne sont jamais au clair avec eux-mêmes. À l’instar du serial killer ou assimilé qui semble s’acharner à suivre le fil rouge d’une vengeance implacable, nos deux héros paraissent d’autant plus compétents dans leur tâche qu’ils ressemblent étrangement, dans une part de leur inconscient, à celui qu’il traque...
Il en faudrait pourtant des héros, des purs et durs, pour comprendre la raison des agissements du criminel sadique qui a torturé à mort le bibliothécaire de l’université de Guernon Rémy Caillois, lui a arraché ses globes oculaires avant de l’encastrer en position fœtale dans une falaise à plus de quinze mètres du sol. Il en faudrait des justiciers incorruptibles, à même d’expliquer pourquoi dans le même week-end une école primaire est cambriolée puis un cimetière profané dans le petit bourg de Sarzac, une région où les trains ne s’arrêtaient plus. Une région où les villes fantômes surgissaient, au détour d’une route, comme des fleurs de pierre. Un pays de caverne, où même le tourisme était destiné aux troglodytes.
Mais ni Niémans ni Abdouf ne sont des rédempteurs à l’ancienne mode. Voilà pourquoi tout ce qui les sépare va les réunir dans une haletante traque où les victimes successives d’un tueur implacable sont théâtralement exposées selon une machiavélique stratégie de reflets minéraux.
Ne démentant jamais le patient labeur de ses limiers pour qui le crime se donne, au cours d’une récollection méthodique des moindres détails, comme une structure atomique, le romancier délivre une fresque sanglante où des démons sans nom cherchent par tous les moyens à biffer le visage d’un enfant faisant office de miroir de vérité. Où les coups pleuvent de tous côtés, et les macabres découvertes s’accumulent, jusque dans l’antre immémorial d’un glacier. Où s’agglomèrent pour le pire, entre montagne et vallée, vampires assoiffés, rites d’exorcisme, activités occultes et délire fascisant... Radicale remise en cause de la normalité des hommes, Les rivières pourpres laissent au fond de la gorge du lecteur le goût amer de la suspicion. Obscurcit autant que faire se peut des notions comme "tranquillité", "havre de paix", et "confraternité".
Un roman à vous givrer le sang et qui, au vu des liaisons dangereuses qui s’y nouent, bénéficie, comme le dit si bien Baudelaire de l’oeuvre de Laclos, "de la brûlure de la glace". Jusque sur quelle paroi réfléchissante en diable la lumière n’irait-elle pas se nicher ?
frederic grolleau Jean-Christophe Grangé, Les rivières pourpres , Le Livre de Poche, 2001, 416 p. - 6,10 €. Première édition : Albin Michel "spécial suspense", septembre 2000, 404 p. - 19,80 €.
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