La traque de l’assassin conforte Rebus, le héros, dans son impression d’habiter une contrée de l’Ancien Testament, livrée à la barbarie et à la vengeance.
J’aimerais savoir pourquoi les publications de Ian Rankin, qui est incontestablement le roi du polar anglais (rien que ça !), sont aussi désordonnées en France. Retracer l’ordre original de parution des livres écrits par Ian Rankin - en particulier les fameuses et savoureuses enquêtes de l’inspecteur John Rebus (treize à ce jour...) qui ont fait la notoriété de leur auteur, dans tout Edimbourg et around the world - relève en effet de ce côté de la Manche d’une véritable épreuve de force : si les investigations dudit inspecteur, de la cinquième à la dixième, sont déjà disponibles au Rocher et en Folio Policier (dont un coffret de quatre titres), les quatre premières devraient émerger dans les mois à venir au Livre de Poche, qui édite présentement the first : "L’étrangleur d’Edimbourg" (Knots and crosses, 1987). Encore épargnera-t-on ici au curieux la liste des titres écrits par Rankin sous le pseudonyme Jack Harvey, à venir au Masque.
Vous me direz : mon ami, pourquoi en faire toute une pinte ? Je vous répondrai : mon bon, parce que l’intérêt majeur de cette série repose sur le fait que son protagoniste vieillit comme son auteur au fur et à mesure des ouvrages, et qu’il importe de savourer chronologiquement les états d’âme de ce héros hors norme qui bafoue avec allégresse les standards d’antan imposés par une Agatha Christie ou un PD James. Car, voyez-vous, c’est la raison pour laquelle il faut se plonger dans ce délectable Etrangleur d’Edimbourg, John Rébus est un flic aussi alcoolique que solitaire, aussi faible que tenace, et qui bat sans cesse le pavé de la sempiternelle Edimbourg, la ville de Jekyll and Hyde, où vit Rankin. Autant dire que Rebus est une version écossaise pure souche de L’inspecteur Harry eastwoodien : il ne renonce jamais et applique pour résoudre ses enquêtes une éthique qui n’est pas celle de la collectivité, bref une éthique qui n’en est pas une.
Pour l’heure, dans cette première enquête le lecteur n’a pas encore affaire au Rebus amateur de rock et qui essaime ses investigations de références aux titres des Stones (voir L’ombre du tueur, 8ème titre qui a apporté la gloire littéraire à Rankin), mais à inspecteur adjoint de 41 ans, grand lecteur et fan de Dostoievski, qui fume comme un pompier et traque un serial killer tuant de jeunes filles en le prenant lui-même pour cible, le tout en relation avec le troublant passé de Rebus dans les commandos du Special Air Service. Fidèle à ce qui deviendra son habitude, Rebus l’ex-dépressif-paumé doute qui s’autoproclame " animal social " différent des autres, traîne dans les pubs, dénonce la hiérarchie, " le mal britannique ", rencontre la lie de l’humanité et la misère pendant que le crachin noie dans la grisaille tout le Centre-Ecosse.
Une fois est coutume, la traque de l’assassin confortera Rebus dans son impression " d’habiter une contrée de l’Ancien Testament, livrée à la barbarie et à la vengeance." Un roman à lire en priorité pour mesurer ce qui fait toute l’humanité du personnage.
frederic grolleau Ian Rankin, L’étrangleur d’Edimbourg (traduit par Frederic Grellier), Le Livre de poche (Inédit), 2004, 287 p. - 6,00 € | ||
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