Un film d’horreur subversif qui se prend au sérieux en ne nous encombrant pas de cadavres sanguinolents outre mesure
L’histoire
Hypnothérapeute ayant quitté les États-Unis suite au décès d’un de ses patients, le docteur Michael Strother (Goran Visnjic, échappé de la série Urgences) dispose d’un don médiumnique qui l’amène, lors de ses consultations, à percevoir des images issues de l’esprit de ses patients. Aidant via l’hypnose une jeune femme, l’inspecteur Losey, à arrêter de fumer, son esprit reçoit de plein fouet l’image d’une jeune fille flottant dans l’eau. Losey lui révèle qu’elle enquête sur la récente disparition d’une enfant, Heather, qu’on soupçonne d’avoir été enlevée par un serial killer sévissant dans Londres.
Convaincue qu’il est l’homme de la situation, Clara Losey impose au docteur Strother de la seconder dans sa traque du tueur ritualiste qui commet ses forfaits au nom du secret de l’immortalité. Aidés par l’excentrique Elliot, érudit en matière de satanisme et de magie noire, les deux héros tentent de décrypter les ésotériques tatouages laissés par le tueur sur le bras de Heather... quand le serial killer barbare se retourne contre eux.
Sang pour sang efficace
Sans être nécessairement amateur du genre polar gothique et hémoglobineux, il suffit de rappeler qu’Hypnotic a été présenté en compétition officielle au Festival Fantastic’Arts de Gérardmer 2003 et au Festival du Film de Paris 2004, qu’il a reçu le Méliès d’Argent du Meilleur film fantastique européen en 2003 avant d’être auréolé du grand prix, du prix d’interprétation masculine du 19e Festival du film de Paris et du prix City Radio de la bande originale, pour se dire qu’on a là affaire à un phénomène.
Et de fait ce film, adpaté du Doctor sleep de l’auteur américain Madison Smartt Bell, a plus d’un tour dans son sac : sans verser dans les effets spéciaux à la The Cell, le réalisateur - dont c’est le deuxième long métrage après Forever - signe ici une intrigue efficace, entre habileté et malaise, où le spectateur s’enfonce peu à peu, happé par un scénario conventionnel de prime abord (qui fait penser, entre autres à Hypnose, de David Koepp, ou à Anatomie, de Stefan Ruzowitzky) avant de verser dans une veine fantastique un brin déjantée qui fait son petit effet.
Filmé avec une sobriété qui détonne pour le genre, l’haletant Hypnotic surprend par l’atmosphère inquiétante qu’instaure avec maestria Nick Willing, s’amusant ici à planter le décor d’une sorte de Seven très dark spirit. Plutôt que de donner dans la représentation gore de satanistes massacrant leurs victimes pour prolonger leur propre existence, l’accent est mis sur l’ambiguïté de tous les personnages : on ne sait jamais à quel moment l’un d’eux pourrait se révéler autre qu’il n’est. En jouant sur le doublet innocent/coupable, Willing appuie là où l’identité fait mal : cette zone d’ombre propre par exemple à l’hypnothérapeute dont le passé vient rapidement brouiller les pistes et fausser le je(u) de départ. Est-il si différent du tueur en série, l’extralucide capable de faire ce qu’il veut de ses patients ?
L’horreur sublimée
Évidemment il y a les séquences attendues qui font peur, et la torture moyenageuse du pauvre Elliott par un rat est assez insupportable en soi, mais le reste est davantage suggéré que montré et il suffit d’une porte qui claque, d’une ampoule qui saute ou de la visite par deux gamins du sous-sol d’une abbaye pour que la tension monte d’un cran... et que la paranoïa quasi vampirique se diffuse.
Une ambiance éprouvante, étrange, lourde, qui s’instille lentement et où la bande son occupe une place prépondérante et dont on regrette qu’elle soit restituée en Dolby Stéréo (pour les deux mixages, anglais et français) : les canaux surround auraient pourtant gagnés à être sollicités pour conférer davantage de relief à l’ensemble (les voies arrière demeurent négligées dans la V.O même si celle-ci est tout de même plus tonique), ce qui est paradoxalement réservé aux seuls menus en Dolby Digital 5.1.
Difficile d’ailleurs de dire si Hypnotic est une série B maîtrisée, un clin d’œil parodique à la série B d’épouvante (le réalisateur s’amuse-t-il, avec sa mise en scène impersonnelle, des choses horribles ? pense-t-il que les choses sont horribles ?) ou encore un film d’horreur subversif qui se prend au sérieux en ne nous encombrant pas de cadavres sanguinolents outre mesure ou de poursuites à grand renfort de scènes d’action spectaculaires : on est ici au degré zéro du quotidien, une vie de tous les jours qui bascule grâce aux flashes récurrents qui traversent l’esprit du docteur Strother et lui rendent le sommeil impossible.
Le transfert soigné du DVD va ainsi dans le sens du travail du réalisateur et de son chef opérateur : la compression, précise dans les moindres détails, offre une définition relativement pointue. À côté des teintes fort naturelles et des couleurs bien campées les contrastes sont de tenue et octroient au noir profond des scènes nocturnes une digne intensité. Tout tient il est vrai dans cette mince frontière intangible qui sépare la banalité du quotidien de l’horreur d’un univers parallèle peuplé d’adorateurs sataniques...
Quoique conventionnel dans la forme, Hypnotic est un film entre polar, fantastique et épouvante dont le traitement assez fin qui mêle ironie et scepticisme, et joue sur nos peurs les plus ataviques, mérite que la sortie en DVD lui attire un nouveau public (on regrette en ce sens que Pahté Fox Europa n’ait pas crédité cet opus de bonus dignes d’un collector). Il est à noter d’ailleurs que le film souligne nombre d’oppositions culturelles entre les sociétés américaine et anglaise, proposant d’emblée un point de vue décalé qui met bien en lumière les beaux aperçus de Londres à qui le surnaturel un chouia délétère (symboles celtiques, croix, et signes cabalistiques à l’appui) va comme un gant.
Avec en prime un coup de théâtre final qui en surprendra plus d’un. Allez, vous reprendrez bien un verre de sang ?
frederic grolleau Hypnotic (titre Original : Doctor Sleep) Réalisateur : Nick Willing Avec : Goran Visnjic, Shirley Henderson, Miranda Otto, Paddy Considine, Claire Rushbrook, Fiona Shaw Durée : 98 minutes Suppléments : Bandes annonces. Date de parution : 26 janvier 2005 Éditeur : Fox Pathé Europa Prix : 22, 00 €.
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