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Hollywood, le Pentagone et Washington - Les trois acteurs d’une stratégie globale

Publié le 15 Juillet 2012, 11:35am

Catégories : #ESSAIS

Il est tentant de résumer l’ambitieux projet de Valantin en disant : tout est dans le titre...

 

 

 

Il est tentant de résumer l’ambitieux projet de Valantin en disant : tout est dans le titre, bien que cela ne renseigne guère le lecteur désireux d’en savoir plus quant à ce curieux programme. Mais ce que l’on veut dire par là, au risque du truisme, c’est que l’ouvrage de ce "docteur en études stratégiques et sociologie de la défense" et "spécialiste de la stratégie américaine" - notez-le bien : Jean-Michel Valantin n’est pas (qu’un) critique de cinéma - présente d’emblée une thèse des plus audacieuses : de tout temps cinématographique, il y a eu, il y a (encore) et il y aura une entente entre l’industrie hollywoodienne et les pouvoirs, politiques comme militaires. Entente ne signifie pas compromission ou soumission certes, l’objet de l’essai étant néanmoins de montrer en quoi la ligne politique défendue par Washington (et les nombreuses et complexes cellules de défense de l’Etat américain : Maison-Blanche, Pentagone, CIA, FBI...) s’est constamment trouvé illustrée, voire défendue, par le septième art, lequel a développé des trésors d’inventivité pour flatter les trois grands corps de l’armée : l’Army, la Navy et l’Air Force.

 

Au cœur du livre et de ce cyclone médiatique - la rencontre sur l’écran des enjeux du pouvoir politique et de sa représentation audiovisuelle par/pour l’opinion publique - Valantin propose une impressionnante analyse de films divers, allant des comédies romantiques des années 40 aux films SF à gros budgets en passant par les incontournables westerns et les blockbusters de l’entertainment. Autant de monceaux et de morceaux de bravoure exposés aux masses constituant, par un étrange effet d’addition et de sédimentation, des preuves à charge dans l’instruction de ce procès : "le cinéma de sécurité nationale". Par là, l’auteur invente plus qu’un concept, il met au jour un sens caché à même d’éclairer rétroactivement nombre de films jugés jusqu’alors sans signification ou importance profondes. Non pas tant afin d’alimenter une énième thèse du complot X-filien ou de l’éternelle 5e colonne oeuvrant dans le secret à manipuler l’opinion de la société américaine (quoique...) mais pour dégager ce qu’on peut appeler un grille de lecture pluridisciplinaire, au carrefour de la sociologie, de la philosophie et de la politologie.

 

Thèse des plus intéressantes, ces films illustreraient un courant idéologique puisant aux "origines historiques, politiques et mythologiques des Etats-Unis" marqués par un fort messianisme, soit des références à la "Frontière", au mythe de la "Cité sur la colline" et à celui de la "Destinée manifeste". Par ailleurs, ce serait parce la nation s’est forgée autour de la menace, extérieure (l’URSS à partir de 1947, Saddam Hussein à partir de 1990, les réseaux terroristes clandestins pour le XXIe siècle, avec des ramifications jusqu’à l’événement du 11 septembre et à la guerre d’Irak) comme intérieure (le danger du nucléaire, celui de la corruption mortifère du pouvoir), que le cinéma se serait mis en devoir de reprendre à son compte les présupposés du pouvoir militaire/politique et d’incarner tous les fantasme de la sécurité nationale. Cela étant, l’inconvénient du livre, où Valantin fait flèche de tout bois, réside dans le fait que les films convoqués ne sont guère approfondis, de même que ne sont jamais vraiment détaillés, seulement brossés à grands traits, les processus par lesquels se matérialiserait sur la pellicule "l’influence" (toujours à la limite de la propagande) de Washington et du Pentagone sur Hollywood.

 

En ce sens, le propos de Valantin, axé sur les peurs et les angoisses de l’imaginaire collectif (et donc axé sur l’absconse notion de "psychologie collective") est susceptible de se voir appliquer la critique que faisait Karl Popper en son temps de la psychanalyse, discipline herméneutique justifiant ses assertions par seule pétition de principe puisque cela même qui semble la nuire est toujours réintégrable dans son champ. De fait , les contre-exemples ne manquent pas dans le cinéma américain de réalisateurs tels que Kubrick, Altman ou Stone qui se sont refusés à suivre les schémas tactiques proposés par les cellules stratégiques de la défense du pays - ce qui est une autre manière de dire que ceux-ci demeurent prédominants sur ceux-là... Ce qu’atteste par exemple la crise évidente traversée par le "complexe militaro-cinématographique" avec la guerre du Vietnam. Quoi qu’il en soit, Hollywood, le Pentagone et Washington, creuset des contradictions et des accords entre les trois parties aux prises, donne à penser, ce qui n’est pas une moindre qualité. Loin d’un anti-américanisme primaire, Valantin offre ici une approche très originale de l’influence du cinéma sur la société, et réciproquement ; il inaugure ainsi une sorte d’idéal-type qui devrait faire florès dans le monde éditorial pour les années à venir.

   
 

Jean-Michel Valantin, Hollywood, le Pentagone et Washington - Les trois acteurs d’une stratégie globale, Autrement - Frontières, 2003, 207 p. - 14,95 €.

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