Qui s’aime bien châtie bien, en voici la démonstration !
Tout le monde y a eu droit en mai 2008 : l’inévitable commémoration tire-larmes de rigueur des "évènements" de mai 68. Chaque société s’invente les mythes qu’elle peut. Quarante ans plus tard la tentation était grande d’ausculter ce mélange de drame et de nostalgie récupéré par la bien-pensance. De ce point de vue le choix d’Hervé Hamon, qu’on connaît plus comme écrivain maritime que comme celui du bitume (enfin, pour être précis, de l’asphalte gouvernemental qui viendra justement recouvrir les pavés parisiens et signifier la fin de la contestation sociale) - il n’en chaloupe pas moins avec élégance en ces pages - est clair : loin de son essai en deux volumes co-écrit en 1987-88 avec Patrick Rotman, Génération, privilégier le ton décalé et humouristique du roman-feuilleton fictif sur le ton sentencieux des analystes de tout poil et autres sémiologues en mal de symptôme civilisationnel. Un adage se plaît bien à souligner qu’impossible n’est pas français, que diantre !
Nous voici donc aux côtés de la famille Duvergnon ballottée par ces jours de mai aussi fastes que festifs (déceptifs, diront les grincheux) avec en tête des protagonistes une maman, Mélina, qui prend la mouche et décide de s’affirmer en dehors des tâches ménagères, envoyant ses serpillères et stérilets par-dessus les moulins gaullistes tandis que Bernard, son mari cheminot syndicaliste, est accaparé par toutes les assemblées générales qui poussent comme champignons hallucinogènes en foire estudiantine.
Pour vous épargner une liste fastidiueuse qui sentirait bon son mandarin des lettres, sachez qu’il y a aussi dans la danse un fils médecin, un autre maoiste futur ex-normalien, une jeunette jouant déjà la chienne de garde et, à la base de cette pyramide, les deux frères de Bernard : un curé en passe de se marier et un fan de De Gaulle (quelle époque effervescente, mon dieu !) Les uns s’emballent, les autres s’énervent ; tous visent à affirmer leur liberté avec les moyens du bord - on n’est pas loin d’un certain paquebot infoutu de naviguer.... Qui s’aime bien châtie bien, non ? Ce roman, quoique mâtiné d’un zest de péché, en est l’ "impeccable" démonstration.
Avec maestria Hamon distribue les cartes de la classe moyenne, de la culpabilité des "héritiers" pré-bourdieusiens et des traditions qui volent soudain en éclats sous le poids des bouleversements politiques d’alors. Certes, les séquences attendues sont aussi au rendez-vous mais l’auteur panache harmonieusement les nombreux renvois documentaires aux publicités, marques et divers descriptifs inévitables. (Croyiez-vous par exemple que les gardes mobiles qui parvenaient à intercepter les jeunes gens aux cheveux longs dans les rues s’autorisaient à les tondre sur place au nom des idéaux de la République ?) Ce qui fait qu’on a bien affaire ici à un roman sociologique plein d’allant, même si le lecteur un brin averti - ou qui croit l’être - éprouvera quelque difficulté à déterminer s’il est là en présence d’une inspiration à la Dumas plutôt qu’à la Balzac...
Reste que, si l’on veut être lucide une minute, une fois ce plaisant roman refermé, la solidarité des barricades semble depuis avoir fait long feu. Il n’y a plus guère d’enthousiaste éthéré pour se revendiquer "juif allemand" comme tous les autres. L’adolechiance des rebelles d’hier est devenue l’ennui des séniles d’aujourd’hui.
La vie fout Lacan.
Trinch !
frederic grolleau
Hervé Hamon, Demandons l’impossible, Panama, 2008, 432 p. - 20,00 € | ||
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