Quand la caution du 9-11 sert à faire passer toutes les couleuvres, y compris le dénigrement de soi.
Fenêtre sur cour ...intérieure
Il est malin, Frédéric Beigbeder. Non pas parce qu’il se joue du (ou parce qu’il joue avec le) Mal, mais parce qu’il sait avec force pertinence que la caution du 9-11, bien exploitée, peut servir à faire passer toutes les couleuvres qu’on veut, y compris le (pseudo ou sincère ?) dénigrement de soi. Comme il n’est pas exclu que la littérature puisse être comparée à un serpent de mer, encore convient-il de s’entendre - et de s’étendre- sur le sens de cette "exploitation".
Car désormais Beigbeder est aussi éditeur, c’est dire s’il est censé connaître - et comment mieux les connaître qu’en les appliquant dans ses propres écrits ? - les ficelles qui font qu’un bouquin, est lu, acheté, connu (qu’importe l’ordre). De ce point de vue l’idée de mettre en parallèle (chaque court paragraphe correspond à une minute entre 8h30 et 10h29) son désarroi existentiel entre Paris (la tour Montparnasse)-New York et celui d’un "cousin" généalogique, aussi lointain que fictif, prisonnier avec ses deux garçons dans une des deux tours du World Trade Center avant son écroulement est très efficace.
A fortiori si le point de vue en question est celui qu’offre le restaurant au sommet de la tour nord nommé le Windows on the world, source chez l’auteur de longs développements périphériques - à ne pas confondre avec insignifiants. Les méchantes langues diront peut-être que Beigbeder a désormais les moyens, à la différence de maint auteur, de faire éditer ses idées, quelles soient bonnes ou mauvaises : sans doute, mais ce n’est pas sur ce critère que nous le juge(r)ons. Les âmes perfides (parfois ce sont les mêmes) souligneront qu’il est un peu facile de tirer sur le filon post mortem pour y grever son histoire personnelle. Certes.
En vérité, on y pense en ouvrant le livre, mais l’auteur y a pensé aussi et maintient la cohérence de son propos en s’appuyant, en toutes lettres, sur l’argument de la pétition de principe. Ce qui donne pour schématiser quelque chose du genre : si je vous dis tous les cinq paragraphes que je suis une merde, que je le sais, que je me soigne mais n’y puis rien, et si je vous dis que j’ai conscience que ce roman se sert de "la tragédie comme d’une béquille littéraire", que voulez-vous m’opposer de plus ? Pourquoi donc, sinon par vice , m’accabler de ce dont je me charge moi-même ?
Bien maîtrisé (et le bougre n’est point maladroit), cela permet même d’intégrer ses ouvrages précédents, ici 99 francs, dans une architectonique littéraire constituée d’auto-référencements, où il revient à chacun de séparer le bon grain de l’ivraie. Une des informations principales de ce livre est d’ailleurs la suivante : qu’on le sache, Frédéric Beigbeder est maintenant un Système, au sens fort du terme. Sa vie, malheureuse, meurtrie, est celle d’un électron libre (une sorte de vilain petit canard à la Rouart mais en plus jeune) ; son oeuvre, celle d’un esprit qui jette des chaînes par-dessus des éléments qu’on croit à tort épars. Beigbeder joue à la poststar plutôt qu’à la popstar et ça lui va bien : il est malin surtout parce qu’il est co-hérent.
Cela étant dit, l’essentiel est ailleurs : dans la documentation très précise sur l’effondrement des tours du WTC dont part, selon toutes les acceptions du mot, le romancier pour rendre par le menu le calvaire de son héros, Carthew Yorston, et des personnages qui gravitent - façon de parler - à ses côtés. Dieu sait, ou tout autre entité, qu’on apprend beaucoup dans ces pages sur les réactions des new-yorkais, à l’intérieur ou à l’extérieur des tours, au moment des faits. Rarement chute d’un édifice aura été aussi édifiante, surtout si l’on évoque l’accès au toit de l’immeuble bloqué par le Security staff quand les individus qui étaient coincés là auraient pu en sortir pour être hélitreuillés au lieu de finir soit cramés soit en parachutistes sans parachute.
La leçon du livre, son inquiétude, revient à ceci : il n’y a plus aujoud’hui de "para" à la chute de la mondialisation... (nous laissons aux coquins la contrepéterie sur le parachute). De même, les réflexions de l’auteur sur une certaine esthétique de la désolation ("l’être humain peut-il fondre ?" telle est la redoutable question) méritent d’être prises au sérieux. Mais l’essentiel - insistons sur le mot puisqu’ici c’est l’essence, le kérosène qui détruit l’être - réside également, au-delà du prétexte romanesque, dans les pages que consacre Beigbeder à la paternité et à l’engagement, thème qu’on trouvait déjà en filigrane dans l’opus précédent.
Car enfin, ce récit, ce périple, cette course conte la montre somme toute, de Beigbeder auteur-narrateur/personne-personnage nostalgique des seventies n’est jamais qu’une demande en mariage faite à celle qu’il laisse à Paris le temps d’un détour (avec décalage horaire) par les States avant de revenir lui demander sa main. L’on se dit alors qu’il faut être fou ou audacieux - les deux à la fois pour celui qui a fait paraître naguère un Rester normal dont le titre lui allait si mal - pour mettre sur le même plan l’attentat terroriste du 11 septembre 2001 (lui-même en parallèle avec le génocide d’Auschwitz) et les émois d’un cœur brisé cherchant ici à faire ce qui est devenu impossible là-bas : recoller les morceaux.
Windows on the world est en ce sens un faire-part à la fois de décès et de mariage. Ils doivent être contents chez Grasset et Flammarion : Il est malin, Frédéric Beigbeder*
*note à ceux qui verraient dans cette boucle un quelconque hommage entriste : l’auteur écrit dans le dernier tiers de son roman qu’il est mégalomane au point de collectionner tous les articles des journaux à son sujet (ce que nous voulons bien croire). Y’a rien à craindre ni à espérer, il consulte même pas Internet ! - sauf pour obtenir des dates outre-Atlantique en vue de quelque(s) partie(s) fine(s), si l’on a bien lu le reste du corpus...
frederic grolleau Frédéric Beigeber, Windows on the world , Gallimard Folio, 2005, 367 p. - 6,20 €. Première édition : Grasset, 203, 374 p. - 18,00 €.
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