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Franck Ruzé, 0 %

Publié le 15 Juillet 2012, 18:22pm

Catégories : #ROMANS

Un nanard teinté en rose à l’instar de certaines pilules destinées à faire passer le goût amer de l’entourloupe à la conceptualité.

 

 

Il doit y avoir un malentendu. Après le curieux La libellule de ses huit ans de Martin Page, les éditions du Dilettante, jusqu’ici réputées pour la qualité et la finesse (sinon l’engagement) de leurs choix éditoriaux, nous déçoivent une nouvelle fois avec ce 0 %. Cette fois-ci pourtant, la couverture de l’atelier Civard est superbe, et elle donne envie de lire le livre (les mauvaises langues diront-elles d’ailleurs que la seule qualité de l’ouvrage est de bénéficier précisément d’une couv alléchante ? Hélas oui...) Dieu sait qu’on se laisse prendre à la teinte rose acidulée, couleur Barbie liposucée, qui nimbe l’objet du délit littéraire telle une promesse de gourmandise intellectuelle. Mais c’est un leurre car rien dans ce roman ne tient vraiment la route.

 

 

Certes la futile Priscille nous amuse, nous énerve (c’est pareil) pendant les 20 premières pages : notre héroïne-mannequin-bi-anorexique se veut le fidèle reflet de ces jeunes femmes superficielles, friquées, vides et connes (c’est pareil) de l’air du temps qui passent leurs journées à boire de l’eau salée tiède pour se faire gerber, à lire les messages de leurs gouinasses de copines, à s’épiler comme si le sort du monde - ce qu’il en reste, entendez peu de choses - en dépendait. Tout ça nous est livré façon tendance-j’ai-vachement-réléchi-au-problème par Franck Ruzé (qui porte mal son nom, reconnaissons-le) à coups de séquences clips genre avance ou rembobinage rapides de magnétoscope (ou camescope, why not ?) Le Dilettante se la joue branchouille, tant mieux. Un délire lié à la recherche de la minceur à tout prix (y compris celle du cortex) et du poids tellement idéal qu’il correspond à celui du squelette, on veut bien au départ. Mais pas pour se voir refiler un nanard teinté en rose à l’instar de certaines pilules destinées à faire passer le goût amer de l’entourloupe à la conceptualité.

 

 

Parce qu’un livre vide n’est pas la même chose qu’un livre sur le vide. Bref, cette descente dans les abîmes de la féminité où règne le primat du mannequinat et du look manque sa cible à trop vouloir édulcorer son sujet et à spliter sans cesse le coeur (ou l’absence de coeur) de ce qui était censé faire problème. Exit la réflexion sur le couple pathologie/normalité qu’on attendait un chouïa tout de même. Ne reste que 120 courtes pages, même pas à l’eau de rose, qui n’ont plu, tenez-vous bien, qu’à Fabrice Gaignault, dans le Marie-Claire d’avril : oui, oui, Marie-Claire, ce magazine a priori féminin qui semble par là cautionner une bien curieuse (je veux dire : plate, insipide, détestable, surfaite) représentation de la femme moderne (plutôt : du concentré d’ectoplasme sirupeux qui en tient lieu, le Mannequin). Quand on entend toutes les protestations du moment quant aux retraites à venir, on se dit qu’il est des critiques ayant pignon sur rue qui feraient bien de la prendre, leur retraite. En ce qui me concerne, même à la Poste où j’ai attendu jusqu’à 45 mn pour retirer les ouvrages qu’on m’envoyait en service de presse, ce 0 % m’est tombé des mains. "Matière grasse contre matière grise", pour reprendre un titre de Mc*Solaar, ce 0 (%) pointé nous conduit à adresser un carton rose à Dominique Gauthier et à son équipe du Dilettante.

   
 

frederic grolleau

Franck Ruzé, 0 %, Le Dilettante, 2003, 128 p. - 13,00 €.

 
     
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