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Fabrice Colin, Sayonara baby - principes essentiels de l’abandon de vie

Publié le 16 Juillet 2012, 18:18pm

Catégories : #ROMANS

Un spielbergien 1941, mais sérieux. C’est-à-dire complétement fou.

 

Amateurs de repères stables, passez votre chemin. Apôtres des récits déjantés et des prismes lynchiens, campez sur place. Car Sayonara baby est tout sauf un roman tiédasse où il suffit de suivre la ligne blanche des interlignes pour parvenir à bon port.

 

Le récit s’articule autour des trajectoires de deux personnages qui, au-delà des normes habituelles de la perception, n’en forment peut-être qu’un. D’une part, un samouraï amnésique qui va de Charybde en Scylla dans la vallée de la mort, réchappant de l’armée américaine pour tomber dans les rets d’un curieux groupuscule hétéroclite mené par le docteur Lazare, qui prétend lui rendre ses souvenirs et le désentraver des "câbles" qui le retiennent à la machine lui dictant ses comportements d’aliéné. Notre samouraï s’interroge, copule frénétiquement avec la bimboesque Estel et se montre bien en peine de déterminer si oui ou non on est à Monterey en 1967 et si une guerre sans merci oppose bien les Etats-Unis au Japon...

 

D’autre part, Kenneth, métis asiatico-américain qui se coltine son paternel alcoolique clamant à qui veut l’entendre que son fils est né du viol de sa femme par un soldat japonais fait prisonnier en 44, et qui se fait passer à tabac par une bande de racistes lui interdisant de continuer à séduire la belle Stella, serveuse au Lennie’s. En quête de ses origines, victime de céphalées qui le poussent à vomir à intervalles réguliers, le jeune homme quitte ses études de médecine pour travailler dans un aquarium où il donne à manger aux requins en lisant, sur les recommandations de son employeur, le livre de sagesse japonais, le Hagakure. Cela tout en culbutant sa sœur, dont le fiancé part pour le Vietnam, et en recherchant à nouer contact avec sa grand-mère, terrée dans une réserve de Navajos...

 

Vous trouvez que ce scénario est abscons et foutraque en diable ? C’est exactement cela, et c’est aussi l’intérêt de ce roman où l’auteur affiche une information minutieuse et un style des plus agréables. Si Sayonara baby séduira sans problème les fans de SF et de récits hallucinatoires, à mi-chemin de Las Vegas Parano, de Matrix et de Lost Highway, il n’en reste pas moins que l’averse des phénomènes paranormaux et des délires qui submergent le samouraï dans toute la première partie finit par lasser à force. C’est la limite, et le défi, d’un roman qui prend en charge la matière même des hallucinations à tout va afin de souligner leur avènement inchoatif et incontrôlable pour la conscience du sujet qui en est affecté. Il est certain alors que la deuxième partie du texte va donner sa pleine mesure à cette apparente folie qui ouvre l’opus, le prix à payer pour le lecteur étant de se voir sévèrement chahuté dans son attachement à la logique du texte narratif.

 

Mais le jeu en vaut la chandelle ; car de l’"interzone" de départ au "kamikaze" de la fin, sur fond d’une Amérique purement fictionnelle (surfusion des tropes et " clichés " baudrillardiens sur lesquels s’est appuyé le romancier), c’est donc au spectacle d’une conscience (a)perceptive éclatée entre la réalité et le champ des possibles (infra ou méta-réels) que nous invite Fabrice Colin, avec comme fil rouge le facétieux revival d’un uchronique conflit entre les U.S.A et le Japon. Sayonara baby est à lire en ce sens comme un spielbergien 1941, mais sérieux. C’est-à-dire complétement fou. A chacun de fixer si les deux parties du texte se recoupent ou non, si le samouraï et Kenso sont une seule et même personne, ou un croisement contingent de deux stases temporelles arbitraires. Le travail du romancier [...], rappelait ainsi le docteur Lazare, qui est aussi écrivain à ses heures, consiste à fixer sur papier une matière toujours en mouvement. Certains donnent à cette matière le nom quelque peu galvaudé de réalité. Foin de tout bon réalisme, donc.

 

Il n’y a qu’un pas de la mémoire éclatée aux shrapnelliens éclats de mémoire, et c’est bien au lecteur désormais, s’il parvient à esquiver les requins fauteurs de troubles (quoi de pire que des "grands blancs" dans un texte littéraire ?) qu’il incombe désormais de "débander" - sémantiquement ? - la momie du Verbe ici entravée (le samouraï a le visage couvert de bandelettes...) Soit de réinjecter un semblant d’ordre et de sens dans cette mosaïque de fantasmes venant parasiter la réalité. A moins que ce ne soit l’inverse.

 

Requins blancs. Femmes violées. Mines antipersonnel. Tel est le nouveau mantra des prophètes psycho. Tout est là.

   
 

frederic grolleau

 

Fabrice Colin, Sayonara baby - principes essentiels de l’abandon de vie, l’Atalante, 2004, 313 p. - 13,40 €

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