Etre sujet, est-ce être autonome ?
Proposition de traitement par Marc Arnal, TS3, Saint-Cyr 2011-2012.
L’autonomie - autos nomos étymologiquement, c’est-à-dire « se fixer ses propres règles, ses propres lois, ses propres normes – s’entend généralement et communément en son sens premier. Ne dit-on pas ainsi de l’ermite vivant seul et ayant décidé par lui-même de s’isoler qu’il dispose d’une autonomie ?
Pourtant, et de manière paradoxale, il semble impossible d’être autonome sans une forme de sujétion – ne serait-ce qu’à soi-même – où le sujet respecte les commandements de quelque chose lui étant supérieur – Dieu, pour filer la métaphore de l’ermite. En effet n’affirme-t-on pas d’un élève irrégulier dans son travail et ne soumettant pas à la contrainte de l’apprentissage – contrainte, en tant qu’exigence extérieure à lui-même, ici celle de ses professeurs – qu’il manque d’autonomie ? A travers ces deux exemples, le paradoxe apparaît et s’impose de manière forte : l’autonomie suppose à la fois une forme de sujétion et une forme de liberté, a priori contradictoire.
Dans ces conditions, une quelconque autonomie est-elle concevable ? Etre un sujet est-il suffisant pour dépasser le paradoxe et ainsi être autonome ? « Etre sujet, est-ce être autonome » ?
Encore fau-il s’entendre sur le sens accordé au sujet – venant de subjectum, « ce qui est sous jacent ». S’agit-il du sujet au sens thématique du terme, c’est-à-dire un sujet en tant qu’objet (le sujet d’un devoir surveillé par exemple) ? Est-ce le sujet au sens grammatical, le sujet du verbe ? Est-ce le sujet politique vivant en société ? Est-ce le sujet en tant que substance – substare au sens étymologique, c’est-à-dire « ce qui demeure en dessous » ? Ou est-ce enfin le sujet libre et conscient ? Ce sujet est-il permanent ou est-il en permanence réinventé ? Est-il un principe ou est-il dépassable ? Existe-t-il toujours ou seulement parfois ?
De même, qu’entendre par autonome ? S’agit-il du sens étymologique du terme, ou plus encore une indépendance absolue ? Par rapport à qui s’exerce cette autonomie ? Vis-à-vis de nous-mêmes ? Vis-à-vis d’autrui ? Vis-à-vis du monde ? Une autonomie est-elle
Au moins possible ? Est-elle nécessaire à l’accomplissement du sujet ?
Pour répondre à ces questions, nous suivrons une démarche en trois temps. Nous nous interrogerons d’abord sur l’essence et la substance du sujet pour déterminer si la subjectivité de celui-ci lui accorde une autonomie. Nous nous questionnerons ensuite pour savoir si l’autonomie n’est pas un pouvoir d’action pour le sujet libre, où si elle est illusoire face aux déterminations dont le sujet fait l’objet. Nous verrons enfin s’il est possible au sujet d’avoir une quelconque autonomie en tant qu’il est confronté à l’altérité, et si ce n’est pas en définitive par la résolution de sa propre altérité que le sujet va pouvoir acquérir une autonomie.
Au fond, le sujet est-il complètement libre et conscient en ne suivant que sa propre loi, ou faut-il abandonner l’idée d’un sujet transparent à lui-même pour un sujet subissant des
pouvoirs extérieurs qui brident toute autonomie, voire la rende impossible ?
*
* *
L’on s’accorde généralement sur le fait qu’être sujet, c’est en un premier sans être conscient, c'est-à-dire avoir la faculté de retour sur soi-même. Le sujet est alors pris pour objet de pensée puisqu’il se pense pensant. Mais être sujet, est-ce seulement être cette substance pensante ? Se sentir pensant est-il une condition suffisante pour être un sujet, et par extension un sujet autonome ? L’autonomie dans ce cas est elle un renfermement sur soi, sur sa substance pensante, comme dans une « forteresse imprenable » (Descartes) ? C’est dans son Discours de la méthode de 1637 que Descartes affirme dans la cinquième partie de l’œuvre que l’homme « doit se rendre comme maître et possesseur de la nature ». L’autonomie, en tant que liberté d’action et en tant que déploiement auto-suffisant de force de la subjectivité, serait alors non seulement le propre de l’homme – ce qui l’autorise du reste à agir, co-agere, sur le monde – mais serait aussi nécessaire pour lui afin que le retour sur lui-même qui le caractérise s’effectue. C’est ce qu’on a appelé le solipsisme cartésien, où l’homme, en tant que substance qui se substantifie a le droit de modifier tout ce qui l’entoure – y compris la réalité. Mais cette autonomie est-elle bien effective ? Le sujet puisqu’il est à la fois acteur de sa pensée et spectateur de celle-ci (en se pensant pensant) peut-il vraiment être lui-même de manière unique ? Le « je » qui pense est-il le même que le « je » pensé ? Descartes répond à cette objection par la subjectivité. L’homme, s’il est objet de ses pensées – ou sujet de celle-ci dans le sens thématique du terme sujet – reste sujet puisque ce retour sur soi se fait grâce à sa subjectivité – du latin subjectivus, « ce qui se rapporte au sujet » - et reste donc autonome : non seulement il se fixe à lui-même ses propres loi mais il les fixe à la réalité, à la nature toute entière. Dès lors, le sujet peut dire « je ». Maître hégémonique de lui-même, qu’est ce qui l’en empêcherait ? Le soupçon pourrait pourtant être lourd : l’unité du « je » proclamée par Descartes, cette transparence absolue à soi-même peut-elle être autonome et suffisante à elle-même ? En d’autre terme, le « je », en tant qu’il a besoin de la grammaire, dispose-t-il d’une autonomie ?
Encore faudrait-il pour cela que ce « je », s’il est une substance pensante, se fixe ses propres règles, à commencer par ses propres règles grammaticales. Et cette substance pensante, selon Nietzsche est loin de cette autonomie : « Quelque chose pense, mais que cette chose soit justement l’antique et le fameux «je » […] voilà une simple hypothèse, en tous cas pas une certitude immédiate. »(Par delà bien et mal). Ainsi ne serions-nous pas une substance pensante maîtresse d'elle-même par la subjectivité, mais une pure fiction grammaticale instaurée par l'habitude du « je » qui résulte du cogito cartésien. Cette remise en cause du sujet pensant est justifiée par notre appartenance à un flux vital duquel la grammaire ne saurait dégager des unités de sens. Toutes nos règles, toute notre existence serait alors conditionnées par ce flux. Une autonomie qui fixerait ses propres règles serait alors trompeuse et illusoire. On peut toutefois rétorquer à Nietzsche que la grammaire pourrait tout aussi bien être une création du sujet précisément pour renforcer son autonomie. En effet, Nietzsche n'affirme-t-il pas dans la Volonté de puissance que « c'est nous qui avons inventé […] le sujet » ? Si elle est une fiction – étymologiquement fictus, du latin fingere (feindre) – la grammaire n'en demeure pas moins une construction humaine : c'est bien le sujet, ici, qui en définissant les mots comme il l'entend et en tournant les phrases comme il le veut faire preuve d'autonomie. L'existence – ex-sistere, c'est-à-dire « sortir de soi » - du langage serait alors due à « nous », et notre sujétion à la grammaire pourrait ainsi être volontaire. Toutefois, cela ne confirme pas la vision cartésienne d'une conscience hégémonique car la grammaire pourrait nous échapper et opère de ce fait un déplacement de sens. La conscience de soi peut-elle alors être hégémonique ? Ne sommes nous pas sous l'emprise d'une subjectivation qui nous coupe d'un rapport au monde véritable ? N'est-ce pas un déplacement de sens que de se croire autonome et « maître et possesseur de la nature » dans le vaste monde qui nous entoure ?
Répondre par la négative à ces questions revient à remettre en case – encore plus fortement et efficacement que Nietzsche – le solipsisme cartésien. C'est ce que fait Heidegger dans sa Lettre sur l'humanisme où il soutient que « la subjectivation fait de l'objet un pur étant ». A l'homme devenu dieu du philosophe français – et ironie du sort chrétien – répond la revendication d'un homme présent au monde, d'un homme Simple cheminant au cœur d'une nature presque vivante chez le philosophe allemand. A l'anthropomorphie des choses du monde empirique répond encore cette inlassable présence au monde. L'autonomie du sujet s'en trouverait réduite puisque le « je » ne serait plus seul avec lui-même, mais l'autonomie ne serait pas non plus impossible si le sujet se fixe comme propre règle – à supposer qu'il puisse s'en fixer – de n'être rien de plus qu'une simple pierre ou qu’un simple rocher. Heidegger reprend en ce sens l'hypokeimenon grec – c'est-à-dire le sous jacent qu'il appelle subjectité – en invoquant comme principe une substance qui subsiste inchangée malgré les changements accidentels qui l'affecte. Mais cette égalité de substance entre le sujet et les choses du monde empirique – les choses sensibles et perceptibles – ne remet-elle pas en cause la liberté de l'homme ? En effet, un rocher ne se pense pas, il n'est pas conscient. Qu'est-ce qui fait alors, si ce n'est la subjectivité, la liberté et le propre de l'homme ? Surtout, qu'est ce qui fait son sentiment d'autonomie ? Aristote, bien avant Heidegger répond par la téléologie – du grec telos : le but – à savoir qu'un sujet humain et un rocher n'ont pas la même finalité. Dans ces conditions, le sujet ne se définit-il pas par ses actes et leur visée ? Ne se distingue-t-il pas des objets par sa capacité à se réinventer soi-même en permanence ? Son autonomie n'est-elle pas tout simplement une liberté d'action ? L'autonomie consiste-t-elle pour un sujet à être libre et conscient de ses actes ?
*
* *
En effet, si le sujet est présent au monde, il peut user de sa liberté pour atteindre sa finalité. Il peut, sans tomber dans le solipsisme cartésien, exercer son autonomie qui en serait une d'action. Encore faut-il considérer que cette liberté d'action ne soit pas conditionnée par des facteurs externes au sujet. La liberté de l'homme ne tant que sujet peut-elle être inconditionnée ? Sartre répond à cette redoutable question dans une formule célèbre : « l'existence précède l'essence ». Ainsi, le sujet n'aurait aucune essence permanente et définitive mais ne serait que l'ensemble de ses actes, tous contingents. Le sujet serait alors son projet, et ne devrait son existence qu'à la réalisation de son projet. Pour Sartre, le sujet n'est rien d'autre que sa vie. L'autonomie est alors une construction complexe : d'une part rien n'est fixé puisque tout ce que fait le sujet est contingent, donc les règles le sont elles aussi. D'autre part, on pourrait voir là une forme d'autonomie très grande du sujet : rien ne peut l'influencer et il a une liberté absolue à telle point qu'elle devient pour lui angoissante : « l'homme est condamné à être libre » (L'Etre et le néant). Par là, le sujet dispose d'une autonomie elle-même autonome à l'infini, puisqu'il est indépendant de tout et en permanence en construction. Ainsi la liberté d'action amènerait l'homme à une autonomie encore supérieure à l'autonomie au sens étymologique : le sujet agit d'abord de façon autonome pour redéfinir une nouvelle autonomie elle-même redéfinit à l'infini au fur et à mesure que le sujet accomplit son projet. Cette vision sartrienne est certes contestable. Comment prétendre ne pas être influencé par quoi que ce soit lorsqu'on a vu que l'existence d'un moi inaliénable et fixe était déjà contestable ? Notre liberté d'action et par la même notre autonomie n'est-elle pas conditionnée ?
C'est ce que soutient Freud dans une Difficulté de la psychanalyse où il avance ceci : « Qu'une chose se passe dans ton âme ou que tu en sois de plus averti, voilà qui n'est pas la même chose. » Pour Freud, le moi serait pris en tenait par le ça et le surmoi. La vie psychique qui détermine nos actes ne saurait être indépendante d'un inconscient où domine les pulsions et le principe de plaisir. Ces désirs viseraient à entrer dabs le principe de réalité à travers les différents actes manqués que chacun de nous a déjà expérimentés dans la vie quotidienne : le lapsus en est un excellent exemple. Certains de ces désirs influenceraient donc ce que nous faisons, et nous serions donc assujettis par moments à un inconscient qui nous ferait perdre toute autonomie. La plupart d'entre eux seraient cependant refoulés par une censure. C'est là que la remise en cause de notre autonomie en tant que sujet entreprise par Freud est contestable. En effet, pour reprendre la question redoutable posé par Sartre dans l'Etre et le néant, « comment [cette censure] discernerait-elle les impulsions refoulables sans avoir conscience de les discerner ? ». En effet, n'est-ce pas projeter une intentionnalité signifiante sur l'inconscient que de mettre en place cette censure ? Celle-ci, éminemment morale, redonnerait au sujet son autonomie puisqu'il contrôlerait ce qui le contrôle, en se fixant ses propres normes morales, à travers le tri des impulsions refoulables.
Freud répond à cette objection par la présence du surmoi. Ce pôle de notre vie psychique est, pour le psychanalyste, le lieu où sont intériorisées toutes les normes sociales, les mœurs, qui ne sont donc pas nos normes, nos lois ou nos règles, mais celle de l'époque et de la société dans laquelle nous vivons. Freud fait ainsi le deuil d'une conscience « sui generis » formée de façon autonome et qui conférerait au sujet une autonomie. Ainsi, d'après Freud, l'autonomie est une illusion : je subis toujours un déterminisme qui la bride. On peut ressentir un sentiment d'autonomie momentané lorsque l'on va à l'encontre des règles intériorisées, mais à la question « être sujet, est-ce être autonome ? » qui suppose une permanence de l'autonomie, la réponse donnée par Freud est claire. Ce déterminisme, ces règles ont été intériorisées par la vie du sujet au sein d'une société, ou de manière indirecte par l'éducation. Dans tous les cas, notre liberté et notre autonomie, limitée par l'inconscient, sont fortement conditionnées par une altérité, c'est-à-dire par le recours à autrui. Autrui est-il donc celui qui empêche toute autonomie ? Est-il seulement possible d'être autonome en présence d'un autre ? N'est-il pas au contraire un moyen d'accéder à une forme d'autonomie ? Le sujet peut-il être autonome en tant qu'il coexiste avec une altérité ?
*
* *
Le fait que le sujet vive en société rend impossible la définition de l'autonomie en tant qu'indépendance absolue que l'on abandonnera désormais. Dans ces conditions, autrui ne peut-il pas constituer une aide sur laquelle peut s'appuyer le sujet pour devenir autonome ? Sartre dans l'Etre et le Néant affirme qu' « autrui est le médiateur indispensable entre moi et moi-même ». Ainsi, pour faire le lien entre les deux « je » qui cohabitent en moi, l'autre est nécessaire. Sartre prend l'exemple du voyeur. Observant une jeune femme par le trou de la serrure, il est captivé par ce spectacle et est en quelque sorte hors de lui-même : sa conscience ne lui indique pas que ce qu'il fait est répréhensible moralement. Si un autre homme arrive, le premier prendra immédiatement conscience du caractère immoral de son action. L'autre permet donc d'établir des ponts pour mettre en place une véritable unité en nous-mêmes, condition nécessaire pour atteindre l'autonomie. Mais si elle est nécessaire, est-elle pour autant suffisante ? Le moi et le moi-même sont-ils réconciliables ? C'est là que les choses se compliquent : en effet, dans la perspective sartrienne – et du reste, dans celle de Descartes où nous sommes à la fois acteur et spectateur - nous nous confrontons à notre propre altérité. Si l'identité n'est pas fixe et qu'elle change sans arrêt, nous sommes face à notre propre altérité temporelle. Le moi de l'instant n'est ni le moi du passé, ni le moi du futur. Ce n'est donc pas par l'altérité – au sens où on l'entend traditionnellement – qui ne fait que nous réconcilier à un instant précis qui résout le problème de l'autonomie, mais c'est plutôt notre propre altérité. Si « Je est un autre »comme le proclame Rimbaud, comment envisager une quelconque autonomie ? Si celle-ci n'est pas empêché par l'altérité, comment rester autonome dans sa propre altérité.
La solution semble être de passer par un intermédiaire qui ne soit ni moi-même, ni les autres. La réponse tient alors dans l'assujettissement face à quelque chose de supérieur. Est-ce face à la morale ? Est-ce face à la justice et au pouvoir de la cité ? Est-ce face à Dieu ? Voilà en tout cas trois modalités de réconcilier le moi et le moi-même en s'assujettissant à quelque chose de transcendant. Ces réconciliations supposent une permanence. En effet, la morale n'est-elle pas universelle et atemporelle ? Les lois de la cité ne perdurent-elles pas dans une exigence de justice ? Et Dieu n'est-il pas l'absolu ? La soumission à un pouvoir – par exemple celui de la cité – est d'après Michel Foucault dans son Cours au collège de France « ce qui fabrique un sujet ». C'est onc un sujet accompli qu'évoque ici Foucault. Un sujet réconcilié avec lui-même et autonome pouvant atteindre, par l'intermédiaire du pouvoir auquel il s'assujettit totalement et volontairement une autonomie. De même, la morale, selon Kant est « inhérente à l'être » (Critique de la Raison Pratique) : elle aussi est un point de repère, une constante qui peut donner une cohérence et par là même une autonomie au sujet. Enfin, Dieu est celui auquel je me rapporte, celui par lequel tout passe, celui qui était appelé jadis la « Grande Altérité », sans doute parce qu'il est, contrairement à nous-mêmes et aux autres capable de nous donner une autonomie complète impossible sinon. En définitive, si les intermédiaires transcendantaux permettent de s'accomplir complètement, leur réduction, c'est-à-dire de simples lois qu'on se donnerait à nous-mêmes pourrait nous faire atteindre une cohérence et une autonome certes limitée et relative mais bel est présente. Ainsi Rousseau affirme-t-il dans Du contrat social qu’«obéissance à la loi qu'on s'est proscrite est liberté ». En s'assujettissant à des lois, à des normes, à des règles que j'accepte et que je me suis données, je suis donc relativement autonome puisque je détermine bien moi-même ce que je dois faire. Pour le devenir complètement, il faudrait épouser les formes de la justice, de la morale ou de Dieu bien trop parfaite pour l'imperfection de l'homme.
*
* *
En définitive, être sujet – dans tous les sens du terme – permet une relative autonomie. En effet, une véritable autonomie nous mènerait au solipsisme de l'hégémonique substance pensante auquel on opposera la conception d'un sujet hypokeiminon et l'interrogation grammaticale. Elle supposerait également une liberté d'action complète, contradictoire avec les déterminations comme celle de l'inconscient, dont nous pouvons être l’objet. Elle supposerait enfin une coïncidence de soi à soi que seul le mariage avec d'inaccessibles forces transcendantes pourrait permettre. Toutefois, l'absence d'autonomie de sujet n'est pas non plus envisageable car le sujet peut s'assujettir grâce à sa liberté relative à une loi qu'il se fixe ? Quoique relative, il dispose d’une autonomie effective qu'on ne peut lui enlever.
------------
LAGATHU
Morgane
TS1
Etre sujet, est-ce être autonome ?
Chaque Homme se différencie d’un objet – « ce qui est jeté devant » – par le fait d’être un sujet. Sujet provient du latin « subjectum » ce qui signifie « ce qui est jeté en dessous ». On assimile le fait d’être sujet avec le fait de posséder une conscience. La conscience, selon Alain dans ses Définitions philosophiques est « le savoir revenant sur lui-même et qui prend pour centre la personne humaine elle-même qui se met en demeure de décider et de se juger ». L’Homme est doté de la capacité de décider et donc de faire des choix. Le choix est un droit qui fait appel à notre raison. Certaines opportunités sont en effet judicieuses à choisir. Or, la raison suppose que le sujet doit être en mesure de juger ce qui est bon ou mal pour lui. Elle lui permet ainsi de créer ses propres lois qui lui permettront de choisir. Créer ses propres lois est le fait d’être autonome.
Ainsi, peut-on dire qu’ « être sujet, c’est être autonome » ?
Qu’entend-on par être sujet ? Quels types de sujets peuvent accéder à l’autonomie ?
Qu’est-ce qu’alors l’autonomie ? Doit-on être libre pour être autonome ? L’autonomie existe-t- elle réellement ?
En étant totalement libre, le sujet serait-il autonome ? Son sens moral le lui permet-il ?
Ayant distingué les sujets pouvant accéder à l’autonomie, nous saisiront les sens – l’essence – de ce terme pour étudier son (in)conditionnement et son rapport avec la liberté.
Enfin, nous chercherons les critiques que l’on peut adresser à l’autonomie.
Pour finir, à supposer que nous pourrions être autonomes, doit-on l’être ou bien doit-on ignorer notre raison et ne vivre que selon les règles de société ?
Nous trouvons au nom sujet cinq sens différents. En premier lieu, nous distinguons le sujet grammatical où un sujet ou objet est attaché à un verbe. Par exemple dans la phrase « ma bouteille d’eau est sur la table » la bouteille d’eau est sujet. Cette douce illusion donnée par le langage est dénoncée par Nietzsche lorsqu’il dit dans le chapitre 16 paragraphe 7 de La Volonté de Puissance écrit en 1895 « On suppose des choses et leurs activités et nous voilà bien loin de la certitude immédiate ». Or, « être sujet » peut-il se rapporter à un sujet grammatical ou devons-nous trouver d’autres sens au mot sujet ? « Etre sujet n’est-ce pas avant tout « être » et donc penser selon la célèbre parole de Descartes « Cogito ergo sum » ? Il nous paraît évident qu’étudier le sujet en tant qu’objet - par exemple le sujet d’un devoir – ou le sujet au sens grammatical n’a pas de sens ici car pour « être autonome » il faut d’abord posséder une conscience.
« Sujet » peut également faire référence à un être dominé qui serait « jeté en dessous » de son dominateur. Selon Pierre Corneille, un sujet doit obéir à un pouvoir qu’il aurait choisi. Dans son œuvre Agesilas paru en 1666 celui-ci différencie la Perse et la Grèce par le fait que la Grèce possède « des sujets » contrairement à la Perse. Il dit en effet « En Perse il n’y a point de sujet […] la Grèce a de plus saintes fois, elle a des peuples et des rois qui gouvernent avec Justice ». « Etre sujet » ne serait-ce pas plutôt dans le sens politique assujetti à un autre ? Selon Michel Foucault, dans son Cours au Collège de France, le sujet politique est en effet créé par des relations d’assujettissement effectives. Une personne dominée peut-elle être autonome ? Etre dominé c’est avoir un maitre – du latin dominus – i.e être soumis à son autorité et à ses lois. Il faut lui obéir sous peine d’être réprimandé. Etre dominé par un autre est donc être dépossédé de toute liberté, de toute autonomie. D’après l’article 1 de La Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits ». Les sujets – au sens de sujets du roi – deviennent alors des citoyens. Dans le livre 2 chapitre 2 de L’Esprit des lois paru en 1758, Montesquieu stipule que « Le peuple, dans la démocratie est, à certains égards le monarque, à certains autres, il est le sujet. ». Rousseau distingue également le fait d’être citoyen du fait d’être sujet dans le chapitre 8 du livre 1 du Contrat social publié en 1762 en disant que « le sujet est celui qui obéit alors que le citoyen est celui qui légifère ». Nous pouvons donc établir une différenciation certaine entre le sujet et le citoyen. Ce dernier est en effet celui qui établit et discute les lois alors que le sujet les applique. Le citoyen possède des droits – jus en latin - mais également des devoirs ce qui fait de lui « à certains égards […] le sujet ». « Jus » signifie également justice. Il est donc nécessaire de considérer qu’il est juste d’avoir des droits.
« Sujet » est aussi le nom qui met en évidence la substance – substare en latin ; upokeimenon en grec. La substance est ce qui subsiste inchangé, ce qui demeure en soi malgré les changements physiques que l’on appelle accidents. Elle est l’essence de chaque être – son âme –, ce qui est insaisissable au contact de l’être considéré. Quand Descartes écarte de la cire tout ce qui lui est inessentiel et qu’il proclame « elle est quelque chose d’étendu, de flexible et de muable » ne devrions-nous pas plutôt penser que les expériences réalisées - afin d’arracher à la cire ses prédicats – ont dénaturé sa substance ? Si nous tentons de faire de même avec un être humain, n’obtiendrions-nous pas la mort de celui-ci plutôt que la définition de la substance de cet être ? Pour Aristote, la substance qualifie chaque chose alors que pour Descartes il existe une substance souveraine. Selon lui, l’Homme doit être « maître et possesseur de la nature » dans Le Discours de la méthode (chapitre 5). Leibniz dans La Théodicée marque la rupture totale avec Aristote. Est qualifié de substance seul les membres de l’espèce humain. Ainsi pour se référer à Heidegger, la subjectité – le fait qu’il y ait un Etre suprême – est remplacée par la subjectivité : l’Homme prend comme par un coup d’Etat le droit d’être sujet et s’accorde un pouvoir de domination sur toute chose. Il est un étant. Or selon Nietzsche, dans La Volonté de Puissance, le fait de se subjectiver n’est qu’un caprice, un égocentrisme extrême de l’Homme. Qu’est-ce qui pourrait en effet différencier le sujet de l’objet ? Qu’est-ce qui m’atteste que mon chien n’a aucune capacité de réflexivité ? Nous attribuons à la substance humaine le fait d’avoir une conscience. Qu’est-ce alors que la conscience ? La conscience est la capacité à se penser soi-même – cum-scire, penser avec en latin – et donc à avoir une capacité de réflexivité. Il existe trois niveaux de la conscience. Premièrement la conscience végétative – immédiate – qui est propre aux êtres-vivants. C’est l’instinct de survie appelé aussi cerveau reptilien chez l’Homme. Deuxièmement, la conscience réfléchie, possédée par l’Homme, est définie par notre capacité à observer le monde, à établir des lois physiques et de ce fait à « penser » le monde. Le stade ultime de la conscience est la conscience morale. Celle-ci n’est pas possédée par tous, elle est relative aux définitions du Bien et du Mal et est nécessaire pour être autonome. Un tueur en série n’a pas de conscience morale et par conséquent ne peut être autonome : il n’obéît à aucune lois. Par cette forme de conscience, nous nous devons de répondre de nos actes devant autrui – d’être responsables. Sommes-nous donc « condamnés à être libres » comme le dit Sartre ? Cette citation suppose que l’Homme peut faire ce qu’il veut et donc pouvoir accéder à une autonomie s’il le désire. En effet, il peut réguler sa vie avec certaines lois ou au contraire vivre sans lois. Dans ce cas, il devra néanmoins répondre de son mode de vie devant l’altérité.
Par conséquent, nous pouvons déjà objecter à notre problématique qu’un sujet grammatical, un sujet en tant qu’objet et un sujet politique – soumis – ne peuvent en aucun cas être autonomes car l’autonomie suppose d’être libre et donc de ne dépendre que de soi à l’image du modèle de l’absolu. Comment définir alors l’autonomie ? Est-elle une forme d’absolutisme ?
Autonome provient du grec autos et nomos – autos signifiant soi-même et nomos signifiant loi. Ainsi être autonome c’est se donner ses propres lois. L’autonomie fait donc appel à une capacité morale qui ferait de l’Homme un être sage pouvant connaître les limites de ses droits et reconnaissant ses devoirs. Dans la pièce de théâtre Antigone de Sophocle Créon et Antigone agissent en tant que personnages autonomes. En effet, Antigone désobéit au roi Créon pour enterrer son frère ayant trahi la cité et étant mort aux côtés de l’ennemi. Elle respecte ainsi ses devoirs envers les Dieux au risque de recevoir un châtiment. Elle fait donc appel à la moralité divine. Créon est autonome par principe – c’est le roi – et obéit à ses devoirs envers la cité : il donne à la mort aux traîtres (le frère d’Antigone et Antigone elle-même). Ici, nous ne sommes pas dans le contexte d’une moralité divine mais d’une moralité relative à la protection de la cité. Il existe donc des autonomies différentes, chaque être étant doté de convictions différentes. Comment peut-on devenir autonome ? L’autonomie n’est pas, à l’inverse de la conscience, inhérente à soi-même – on parlerait alors d’une autonomie idéale. Elle est forgée par les règles de vie en société. Nous savons que notre liberté « s’arrête là où commence celle des autres », nous sommes libres sans l’être réellement. Notre liberté est restreinte. Nul ne peut disposer d’un autre sans son consentement et cet accord suppose une entente particulière. De cette façon, tout sujet au sens philosophique de la substance dominante se révèle autonome car chacun se forme son propre mode de vie, ses priorités. Un bon élève malade ne se permettrait pas de rentrer chez soi au vu d’examens importants alors qu’un autre, plus négligent envers les cours, irait sans scrupule s’endormir chez lui. Pourtant, ils sont tous deux autonomes – étant ici libres de leurs actes – et ont tous deux raisons dans leur manière d’agir. Comment peut-on alors demeurer autonome, pourquoi ne pas cesser de l’être ?
Etre autonome suppose une liberté, nous sommes donc tous autonomes grâce à notre conscience. Cependant, sommes-nous vraiment autonomes ? Notre liberté n’est-elle pas qu’une simple illusion ? Qu’est-ce qu’alors la liberté ? La liberté – de liber en latin – nous offre idéalement la possibilité de faire absolument tout ce que l’on désire, c’est le modèle d’une vie parfaite. Mais la liberté ne serait-ce pas alors une régression à l’animalité et à la disparition de tout devoir ? Etre libre serait alors être, à longue échéance, dépourvu de droits car tout autre pourrait abuser de ses droits en supprimant ceux d’un autre voire en lui retirant la vie. Si la liberté est donc la possession de tous droits, elle est alors relative à l’animalité. Ce que nous entendons humainement parlant par liberté c’est donc de posséder droits et devoirs combinés afin de se donner une vie meilleure et plus longue. Nous possédons tous cette liberté fausse et illusoire qui tente de nous faire croire que nous pouvons faire ce que l’on veut même si nos droits sont en quelque sorte conditionnés et décidés par la loi. J’ai le droit de préférer une marque par rapport à d’autres mais je n’ai pas le droit de tuer une personne même si je le voudrais. Ainsi, un sujet ne peut être autonome que par rapport à une réalité qu’il peut choisir. C’est le domaine de la raison. Dans Souviens-toi l’été dernier , un homme, renversé par une voiture et jeté à la mer par des jeunes gens qui le pensaient mort, se venge en les tuant un par un. Il n’est pas dans le domaine de la raison au sens juridique car, sur Terre, la vengeance doit être rendue par la Justice. Il aurait été plus raisonnable d’aller porter plainte. Cet homme n’est donc pas autonome bien qu’il agisse selon son désir de vengeance. L’autonomie n’étant relative qu’à ce qui est inconditionné, il n’agit pas en tant que personnage autonome. Il faut en effet vivre selon les règles de la société avant de pouvoir vivre selon un mode de vie plus restrictif et plus moral afin d’accéder à l’autonomie. Ainsi, pour être autonome, il faut donc avoir des droits et pouvoir choisir entre deux possibilités légales – c’est-à-dire qui sont acceptées par la Loi.
Néanmoins l’autonomie étant en corrélation avec la raison, est plus autonome l’Homme qui choisit entre deux possibilité légitimes – c’est-à-dire qui sont définies comme bénéfiques du point de vue de la morale – du Bien et du Mal. L’Homme autonome refuse le Mal au nom de Dieu ou au nom de la société. Il faut donc avoir une conscience morale pour être autonome du point de vue d’une autonomie quasi idéale alors que le plus bas degré de l’autonomie n’a besoin que d’une conscience réfléchie. L’autonomie existe-t-elle réellement ou n’est-elle, comme la liberté, qu’une illusion ?
L’autonomie met en avant le problème de la transparence à soi-même. En effet, un Homme n’est autonome que s’il est le maître de soi-même c’est-à dire qu’il est « Un Empire dans un Empire » selon les thèses de Descartes ou « un pilote dans son navire » pour convoquer une image socratique. Or, la transparence à soi-même avait déjà été mis à mal par les dires de Hume qui dénonçait le fait que nous ne sommes que le réceptacle de flux de données par nos sens selon les thèses empiriques mais également qu’il existe en nous ce que Freud appelle – bien après Hume – pulsions. L’Homme est, pour Freud, empli de pulsions inconscientes. Pour lui « le Moi n’est pas le maître dans sa propre demeure car « ça » pense en moi » et ainsi nous ne serions pas libres de nos actes car nos pulsions – Eros et Thanatos – tentent de nous entraîner hors de notre volonté première. Comme l’a dit Bernard Henri Lévy dans le journal Libération du 8 octobre 2007 : « On écrit avec son intelligence et son inconscient ». Cela montre que, par la sublimation – qui est le déplacement des insatisfactions pulsionnelles dans le domaine artistique – l’Homme exprime son inconscient. Or, l’inconscient pose un problème épistémologique – relatif aux démonstrations scientifiques – comme le dénoncent Claude Bernard et Karl Popper. En effet, si « L’inconscient est ce qui s’énonce à l’insu du sujet » comme le dit Vincent Descombes dans L’Inconscient malgré lui comment prouver alors qu’il existe ? Néanmoins, si l’inconscient existe, la seule façon d’être autonome est de faire du Moi – la conscience – le maître et de parvenir à dominer le « ça ». En effet, on ne peut pas être autonome si l’on n’est pas libre ; or si nous sommes dominés par nos pulsions nous ne pouvons pas prétendre accéder à la liberté et de ce fait encore moins à l’autonomie.
De plus, pour adresser à l’autonomie une ultime critique, nous sommes forcés de constater que l’Homme n’est pas une créature du Bien. L’Homme est en effet « Un loup pour l’Homme » comme le signale de nombreux auteurs comme Hobbes dans Le Léviathan. Nous pouvons par ailleurs remarquer que notre substance humaine a subi de nombreuses déchirures et blessures pour citer Frédéric Passy : « L’ogre de la guerre a le plus longtemps dévoré le plus pur de la substance de l’Humanité ». Les guerres, les génocides, montrent en effet que l’Homme est en quelque sorte voué à sa propre destruction. Or si l’Homme n’est pas raisonnable par principe, comment pourrait-il être autonome ? Nous pouvons reprendre l’exemple du Mythe de Gygès dans la République de Platon où le berger, devenu invisible grâce à l’anneau magique tue le roi et lui prend sa femme. Ainsi, si ce n’est que autrui qui nous incite et oblige à être raisonnable et respectueux des autres, l’Homme ne peut être autonome sans autrui et donc ne peut être autonome car l’autonomie est du domaine de l’inconditionné. Par conséquent, « autonome » revient à dire que l’Homme est vertueux et distingue de lui-même le Bien du Mal. Pour Kant, la vertu est impossible à atteindre : elle représente un idéal. En effet, celui qui veut être vertueux ne peut l’être car il le désire et une personne vertueuse est fière de l’être or la fierté n’est pas une vertu donc cette personne n’est pas vertueuse. L’autonomie devient alors un idéal et absolue. Sa quête est comme la quête d’une vertu, elle nous rapproche du modèle de Dieu qui, pour citer Kant, « n’est pas une substance extérieure mais une relation morale en nous » dans les Ecrits Posthumes. Qu’est-ce que la vraie morale ? Selon Pascal « la vraie morale se moque de la morale ». L’Homme est donc perdu sur Terre avec un modèle divin qu’il a lui-même créé pour se rassurer selon les thèses freudiennes. De ce fait, l’autonomie idéale n’existe pas et ne peut être atteinte par l’Homme. Elle est comme la liberté – illusion – et comme la vertu – idéale.
Aucun sujet ne peut donc être autonome, car l’autonomie inconditionnée n’existe pas. Néanmoins, l’Homme doit garder l’autonomie comme modèle et tenter de s’en rapprocher. C’est la raison d’être de la mauvaise conscience où le juge intérieur est une « puissance qui veille en nous sur les lois » selon Kant. La conscience nous inculque les lois de notre société et le respect de ses lois est ce que l’on appelle autonomie qui se différencie alors de l’autonomie idéale et inconditionnée.
Nous nous devons donc d’écouter notre raison, de tenter de se créer d’autres lois – plus nobles que celles dictées par notre société afin d’être une sorte de « plante céleste » pour évoquer Platon. Nous devons pour cela ignorer les pulsions de notre inconscient qui est un « mauvais ange, diabolique conseiller » selon Alain.
Ainsi, le sujet en tant que substance et le sujet en tant que sujet politique dans la démocratie peuvent être autonomes. Néanmoins, cette autonomie se différencie d’une autonomie idéale car l’Homme n’est pas qu’une créature du Bien mais également une créature reptilienne. Nous devons cependant garder l’autonomie idéale comme modèle suprême de l’Humanité afin de tenter de rendre l’Homme bon envers son prochain et de permettre la vie en société. Nous pourrions de plus nous demander si la religion n’est pas un moyen de rendre l’Homme autonome et responsable en le faisant obéir à une morale formée par l’Homme mais non dictée par la vie en société c'est-à-dire non écrite dans la Loi.
Commenter cet article