Rural ! décrit la vie au quotidien d’une ferme appliquant la méthode bio.
Une nouvelle approche du rapport à la nature que croise la dévastatrice construction de l’autoroute A 87 coupant littéralement en deux l’exploitation. Après un an passé dans cette ferme, Etienne Davodeau ne veut pourtant pas poser à l’écolo réac : « C’est plus le portrait d’agriculteurs différents de ceux que nous propose J.Pierre Pernaud dans son 13 Heures (vous savez , le genre rougeaud mais" tellement pittoresque") que la défense du bio qui m’intéressait au départ. Au fil de mon travail j’ai découvert comment cette approche de l’agriculture était en train d’inventer quelque chose d’assez nouveau dans notre rapport à la petite boule bleue qui nous héberge tous. »
Il faut que l’homme réfléchisse à sa relation avec la terre. Du moins « tant qu’on n’a pas mis au point le voyage de masse à bon marché vers Proxima du Centaure » ironise Etienne Davodeau. Raconter en bande dessinée le réel est un projet de longue date mais « Dans ce cas , le passage à l’acte n’était pas tributaire seulement de la fertilité de mon imagination. Pour ce type de livre, il faut trouver le sujet hors de soi. » C’est pourquoi l’histoire ne concerne pas seulement les gens du cru mais recouvre une dimension universelle. « Une histoire locale qui met en lumière des choses qui nous concernent tous. C’est la confrontation entre 2 approches peu compatibles de l’environnement et plus généralement de notre rapport au monde ; souligne l’auteur. Cette histoire se passe à Chanzeaux, en France, mais chacun peut l’imaginer chez soi partout dans le monde. Il faudrait bien alors prendre parti. »
Le souci de réalisme (vêlage, insémination artificielle et autres séquences non édulcorées) fonctionne donc moins comme volonté de vulgarisation que comme réfutation de l’idéalisme pastoral : « La campagne n’est pas seulement un endroit bucolique . Il y a de la merde et c’est aussi un milieu dur. C’est un rappel pour - entre autres - les citadins qui composent la majorité des écolos et qui idéalisent peut-être un peu tout ça. ». Ce livre ne prétend pas à l’objectivité et se revendique au contraire comme une « tentative subjective de (re)donner la parole à ceux qu’on a seulement fait semblant d’écouter ». Au delà de l’histoire vraie qu’il relate,"Rural !" raconte un combat de l’éthique et du rentable à court terme et aborde un sujet peu courant en bande dessinée : « Quand ce sujet m’est tombé dessus, j’ai vu tout de suite que sa dimension politique était prépondérante. C’était aussi un des enjeux du projet : Parler de"ça" sans emmerder le lecteur ». Mais, admet Davodeau, « Le fait que tout ait une traduction très concrète sur le terrain sera pour beaucoup dans l’éventuelle réussite de cette dimension du livre.
L’idée est aussi et surtout de contribuer à sortir cette bonne vieille bande dessinée du rôle qu’on lui assigne depuis des années : La fiction ». Ainsi la BD telle que la défend l’auteur doit-elle satisfaire à la fois « les lecteurs de Largo Winch et ceux de "L’Association". Le fait que les premiers soient plus nombreux que les seconds ne me scandalise pas. Par contre le fossé qui semble s’être creusé entre ces deux groupes me semble préoccupant. » En traitant ce sujet, le scénariste-dessinateur affirme qu’il s’est seulement efforcé de lui « donner un autre éclairage ». « Y’a pas beaucoup de watts mais c’est ma p’tite ampoule à moi ! » , s’exclame-t-il. « Le mythe positiviste du progrès commence effectivement à avoir des ratés . Et entre d’un côté le chantier d’une autoroute et de l’autre des paysans qui se posent des questions sur leur rapport à la terre et qui cherchent à inventer une pratique innovante de leur métier, lance Etienne Davodeau en guise de conclusion, on peut se demander où se situe la vraie "modernité" et le "progrès" véritable. »
Propos recueillis par Frédéric Grolleau en juin 2001.
Etienne Davodeau, José Bové (préface), Rural ! Chronique d’une collision politique, Delcourt, 144 p. - 10, 95 € | ||
Commenter cet article