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Eric Liberge, Monsieur Mardi-Gras Descendres

Publié le 16 Juillet 2012, 11:18am

Catégories : #BD

Un cartographe décédé se retrouve au pays des larmes et de l’ennui. Liberge réussit à mettre de l’humour dans le monde des morts...

 

 

Surtout, ne vous fiez pas à la couverture de ce titre. Certes, un squelette pensif jouant à Rodin dans un désert sous une lumière de plomb, un soleil blafard perdu au milieu d’un ciel noir, à de quoi surprendre. Mais il faut dire que l’histoire du malheureux héros, Victor Tourterelle, a de quoi désoler. Géographe de son état ayant passé l’arme à gauche à la fin du XXème siècle parce qu’il a glissé sur une petite voiture de son fils, entre le mardi-gras et le mercredi des cendres, l’infortuné qui n’est plus que squelette vient d’échouer sur une planète crayeuse désertique.

 

 

Seul en proie à des questions métaphysiques, il ne comprend pas grand chose de ce qui lui arrive, jusqu’à ce qu’un facteur aussi mal loti que lui apparaisse soudain, lui oblitère la base du crâne en lui donnant son nouveau nom - Mardi-Gras Descendres ! - et l’emmène avec lui jusqu’à l’enfer putride et désenchanté qui tient lieu de ville locale, et dont le décor évoque plutôt une architecture du début du XXe siècle. Si le début n’est déjà pas commun, la suite est du grand grand Art. Car l’univers des damnés que rencontre Mardi-Gras Descendres est revu par l’auteur de la manière la plus pessimiste, la plus négative mais aussi la plus stimulante qui soit. Liberge imagine et illustre en effet un " pays des larmes et de l’ennui " qui représente le pire purgatoire qu’on puisse rencontrer. Un lieu de désillusion et de tromperie où les squelettes ambulants doivent numéroter leurs os, trop fragiles et convoités, ingurgiter force boissons à base de détergents, étant entendu qu’ils sont tous prisonniers de ce lieu pour symboliser la lie de l’humanité.

 

 

Seule lueur d’espoir dans ce capharnaüm morbide, que baigne un climat astral façon Nosferatu de Druillet, les quelques grains de café contenus par l’âme du frais défunt qui alimentent toutes les exactions de ceux qui sont désireux de faire main basse sur ce précieux nectar, trésor noir (comme l’âme ?) réservé aux dieux ici-bas. Bien évidemment, Mardi-Gras Descendres qui débarque, littéralement, fait l’idiot de service malgré lui et sa naïveté ne va pas manquer de lui faire tomber l’ersatz de ciel gris de cette noire contrée sur son cervelet déjà en partie découpé à la scie par un malotru... Heureusement pour notre cartographe-macchabée-anarchiste - dont le talent pourrait s’avérer utile à certains afin de dresser les plans de ce bouge infini , ce qui n’a jamais été tenté jusqu’ici parce que interdit - La Corniche, société secrète qui s’oppose à l’ordre établi sous le commandement suprême du Septuagésime, veille sur lui.

 

 

 

 

Non seulement le dessin de Liberge est magnifique, rendant avec un réalisme sourd ce monde sombre et absurde, dans lequel le cartographe-squelette questionne son destin, mais le scénario est de grande qualité, convoquant aussi bien réparties humoristiques et jeux de mots qu’une poétique drapée dans un linceul tout kafkaïen. Entre intrigue politique post-mortem et aporie métaphysique, Liberge réussit le tour de force de mêler l’humour et le monde des morts, de prêter âme et vie à de simples squelettes tous identiques les uns aux autres, ainsi qu’à conférer une épaisseur démente à la cité, sans avenir aucun a priori, qui les engloutit tous.

 

A mi-chemin des Cités Obscures, de La frontière invisible de Schuiten et Peeters et des aventures de Julius Corentin Acquefacques chez Marc-Antoine Mathieu, des illustrations de Gustave Doré et de celles de William Blake, ce tome 1 de "Bienvenue" s’impose comme une série culte. Les trois premiers tomes ayant été publiés chez Pointe noire (Monsieur Mardi-Gras Descendres a remporté le prix René Goscinny en 99), Dupuis en a racheté les droits pour leur offrir une nouvelle vie, avec un dénouement inédit à venir : lumineuse idée !

   
 

frederic grolleau

Eric Liberge, Monsieur Mardi-Gras Descendres - Tome 1 : "Bienvenue", Dupuis, Collection "Empreinte(s)", 2004, 60 p. N& B, couleurs - 12,95 €.

 
     

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