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Entretien avec vincent ravalec

Publié le 15 Juillet 2012, 18:03pm

Catégories : #ROMANS

Des Chipibos du Pérou au bwiti Gabonais, Ravalec suit les chemins du chamanisme, bien décidé à se faire initier dans chaque tradition. Les questions que se posait ce lecteur de Gurdjieff et de Castaneda y trouvent des réponses beaucoup plus vastes qui l’incitent à rendre compte de la complexité de la conscience

 

 

Enfant, il rêvait d’être un artiste, mais ses doigts se refusaient à exprimer ses visions intérieures... Impatient, le jeune Ravalec quitte le système scolaire dès quatorze ans et se frotte aux déboires de la vie active : apprenti menuisier, vendeur de bandes dessinées, assistant réalisateur, régisseur de cinéma et autres petits boulots apporteront leur matière à ses premiers manuscrits et lui insuffleront le culot nécessaire pour se tailler une place dans le paysage littéraire français. Depuis le début des années 90, l’écrivain parisien régale ses lecteurs d’innombrables nouvelles et romans révélateurs des rocambolesques dérives de la société en milieu urbain. Pour cela, il dispose d’un talent indéniable : la capacité de sublimer par un humour nerveux les pires galères en aventures initiatiques. Le succès est au rendez-vous : Prix de Flore en 94, lectorat fidèle en constante progression qui propulse ses romans dans le cercle des best-sellers nationaux.

 

Au tournant de l’an 2000, Vincent Ravalec entame un nouveau cycle d’écriture, caractéristique d’un regard plus universel sur l’existence. Lui qui n’avait jamais dépassé les abords du périphérique part poursuivre autour du monde les mythes de son adolescence. Des Chipibos du Pérou au bwiti Gabonais, Ravalec suit les chemins du chamanisme, bien décidé à se faire initier dans chaque tradition. Les questions que se posait ce lecteur de Gurdjieff et de Castaneda y trouvent des réponses beaucoup plus vastes qui l’incitent à rendre compte de la complexité de la conscience. Il introduit cette perspective élargie comme thème central de son projet du JEU : la possibilité d’accès à la connaissance par le biais de l’art.

 

 

Frédéric Grolleau : Tu fais paraître en même temps Les nouvelles du monde entier, tome 1 au Seuil, Wendy 2 ou les secrets de Polichinelle chez Flammarion, le poème graphique Une orange roulant sur le sol d’un parking et s’illuminant de toutes les couleurs de l’univers au Diable Vauvert. A cela s’ajoutent deux textes centrés sur le chamanisme : Bois sacré, initiation à l’Iboga (encore au Diable) et Ngenza aux Presses de la Renaissance. Cela fait beaucoup de livres en deux mois d’intervalle et, tandis que nombre d’individus s’insurgent contre la masse de livres qui sort chaque mois, tu indiques dans un petit mot destiné à la presse que tu préfère concentrer ton tir d’artillerie pour être sûr de ne pas être oublié...

 

Vincent Ravalec : Ca ne procède pas vraiment de cette logique, même si je l’explique ainsi après coup. Il se trouve que j’aime écrire et que l’écriture me sert de support expérimental par rapport à des expérience existentielles que je mène par ailleurs. Or ces expériences se sont avérées au fil du temps de plus en plus complexes. La forme littéraire m’a ainsi permis de les intégrer et les faire partager, mais cela requérait de multiples facettes. Ce qui explique que je ne fasse pas paraître ici cinq romans : il s’agit d’un roman, d’un recueil de nouvelles, un recueil de poésie graphique, un livre ethnologique sur une tradition de guérison africaine (accompagné d’un livre de photos sur cette même expérience, vue plus subjectivement par moi) qui renvoient à chacune de ces facettes.

 

En ce qui me concerne, je considère qu’il vaut mieux écrire des livres (sans qu’il y ait obligation ensuite pour les gens de les acheter ou de les lire !) que fabriquer des armes, je ne me pose donc pas la question de la quantité des oeuvres...

 

 

Au regard de cet univers qui est le tien, de l’initiation, de l’éveil à une sensorialité autre, à des univers dissemblables, comment travailles-tu pour articuler tous ces prisme-là : cela suppose de l’écriture automatique, des cahiers secrets ?

 

Dès que j’ai commencé à écrire, j’ai intégré l’écriture dans mon processus mental. J’écris quasiment en même temps que je vis. Au moment où je commence à écrire le livre s’est déjà cristallisé dans mon esprit. Pendant 10 ans j’ai écrit non stop toute la journée, maintenant j’écris moins, mais l’expérience aidant, j’arrive à davantage condenser mes sujets. La plupart de tes textes se déclinent autour du Jeu, de quoi s’agit-il ? Et comment les passerelles entre les divers éditeurs se mettent-elles en place ? D’un point de vue artistique, il a fallu que je me crée un outil qui soit suffisamment vaste par rapport à ce que j’avais envie de vivre et suffisamment souple pour pouvoir se moduler. Je me suis dit que j’allais faire un cycle évolutif et arborescent (en relation avec site Internet-miroir) de 12 livres car ça correspondait aux 12 mois terrestres et en même temps au calendrier solaire de l’univers. Comme j’étais isolé dans les expériences que je menais, focalisé sur ce que je voulais découvrir, j’avais envie d’être en contact avec du monde et de voir ainsi comment d’autres gens avaient perçu leurs propres expériences à ce propos !

 

De manière plus prosaïque il se trouve que tous les éditeurs que je connais sont des gens de qualité, qu’ils ne me considèrent pas comme une personne vénale et que je fais des efforts pour intégrer leurs impératifs de rentabilité économique à eux, ce qui explique que le Jeu puisse se ramifier entre divers éditeurs. On essaie tous ensemble de naviguer de la manière la plus judicieuse possible dans le système qui se présente à nous. De toute façon le livre de poésie n’a pas pour vocation, tant il est particulier, de devenir un best seller mondial ; on sait que les recueils de nouvelles ne cartonnent pas toujours au box-office. J’espère en revanche que Wendy aura une belle carrière littéraire, non pas parque j’ambitionne de devenir riche et célèbre mais parce que j’ai essayé d’y mettre beaucoup de moi-même par rapport à des choses que j’avais perçues.

 

 

Est-ce que tu te définis aujourd’hui, au nom de toutes tes expériences, comme une sorte d’initiateur ? de pédagogue de cet univers-ci ?

 

C’est une position assez délicate ; j’ai lu adolescent nombre de livres ésotériques (la collection « L’aventure mystérieuse » chez J’ai Lu) qui m’avaient interpellé mais dont le contenu me paraissait tarabiscoté. Et je suis allé sur place, avec les souvenirs que j’en avais, voir si c’était vrai ou pas. J’ai pris mon balluchon et fait mon Tintin... Par exemple je me suis rendu à Nasqa afin de vérifier de mes propres yeux si oui ou non des extra-terrestres y avaient atterri ! J’ai fait beaucoup d’expériences, qui étaient tellement fortes par rapport au décodage habituel qu’on en fait avec notre « mental », que les retranscrire ensuite ne pouvait conduire qu’à du tarabiscoté et du fumeux...

 

Tout ce que j’avais lu était donc à la fois vrai et faux. Et je suis dans cette situation : j’ai réagencé ce que j’ai vécu avec mon propre mental - qui n’est pas forcément fait pour vivre toutes ces expériences) mais je n’échappe pas au bizarre ! Je prends donc le côté initiateur avec des pincettes, car je pense que chacun a sa propre vérité et sa propre manière d’intégrer l’expérience. Je suis donc très dubitatif sur ma capacité à transmettre cela. Les livres sont certes utiles mais il ne faut pas trop s’y référer selon moi car la vraie référence, c’est à l’intérieur de vous que vous allez la comprendre. Je ne prétends être initiateur qu’au sens où j’ai vu que la vérité existait et que je vous conseille d’aller voir par vous-même comment vous allez l’intégrer.

 

 

Comment qualifies-tu cette expérience autour de laquelle tu tournes depuis de nombreuses années ?

 

En voyageant j’ai pu mesurer l’épaisseur de ma candeur. J’avais une vision naïve de ce qu’était la connaissance, je croyais que je me dirigeais vers une sorte d’illumination mystique. Mais il y a de nombreuses traditions qui se sont chacune forgé des outils spécifiques au fil de l’histoire parce que le monde n’est pas le même selon les endroits de la planète. Le fondement du chamanisme au départ a reposé sur les analogies opérées par l’esprit humain avec la nature. Le concept de nature variant selon les lieux l’esprit s’est forgé des outils qui n’ont pas débouché sur les mêmes visions du monde - mais sont j’ai découvert au fur et à mesure de mes voyages qu’elles sont toutes vraies en même temps ! Face à cette multiconceptualité de l’univers on a plutôt tendance à se focaliser sur une explication alors qu’il s’agit au contraire de parvenir à intégrer ce phénomène de complexité.

 

 

Une révélation qui passe par la consommation de substances, telles l’ayahuesca ou l’iboga, censées accélérer cette ouverture de la connaissance ?

 

Partout où j’ai voyagé j’ai rencontré des chamans, des sorciers, des magiciens. J’ai lu dans Tintin et Corto Maltese que ces gens-là savent pourquoi on est là. Je leur ai posé la question, ils m’ont accueilli, m’ont prié de m’asseoir et m’ont demandé si j’allais être capable de supporter ce qu’ils allaient m’expliquer. J’ai fait des expériences avec ou sans psychotropes. Très franchement je n’ai pas de « goût » pour les psychotropes, ça fait 15 ans que je ne bois pas une goutte d’alcool, que je ne fume pas de tabac et que je fais de la course à pied et de la méditation. Je suis un garçon sain et je me suis dit que j’allais me faire exploser le ciboulot. Et j’ai été en effet initié à l’ayahuesca et à l’iboga. Ce sont de dures initiations qui ne sont pas évidentes à vivre psychiquement parlant. Une fois qu’on les a vécues c’est un atout mais je ne conseillerais à personne de le faire car je ne pense pas que ce soit là un miracle universel ! Ce sont des outils qu’il faut savoir utiliser à bon escient dans un cadre particulier.

 

 

Propos recueillis par Frédéric Grolleau, intro par Stig Legrand

 

 

 

Remerciements à l’espace Autrement (77 fbrg saint-antoine 75011 Paris) qui nous a acueillis dans son chaleureux salon de thé pour cet entretien

     
 


-  Nouvelles du monde entier, Seuil, 256 p - 18,00 €.
-  Wendy 2 ou les Secrets de Polichinelle, Flammarion, 399 p. - 20,00 €.
-  Bois sacré (avec Agnès Paicheler, Mallendi), Au Diable Vauvert, 336 p. - 21,00 €.
-  Ngenza, cérémonie de la connaissance, Presses de la Renaissance, 94 p. - 29,00 €.

 
     
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