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Emmanuel Vincenot et Emmanuel Prelle, Anticyclopédie universelle : Tout sur tout et son contraire

Publié le 17 Juillet 2012, 11:22am

Catégories : #ESSAIS

Un enchevêtrement made in Absurdie qui permet à un joyeux second degré de balayer toutes les poussières muséales de l’épistémologie classique.

 

Tout n’explique pas tout, et inversement

 

La petite baleine porte-clef(s) qui orne l’opuscule devrait mettre la puce à l’oreille à plus d’un érudit : parodie assumée de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, cette caustique Anticyclopédie universelle est un joli objet subversif qui s’adresse au non-lecteur patenté qui sommeille en chacun de nous. Ah, toutes ces questions qu’on a bien eu tort de ne point se poser !
Dans la lignée des Miscellanées de Mr. Schott mais avec la drôlerie en sus, les auteurs qui ont appliqué naguère la formule à l’univers du cinéma (on retrouve ici dans la rubrique Arts & Spectacles quelques critiques de films qui font mouche) s’engouffrent joyeusement dans un enchevêtrement de A à Z made in Absurdie de notions historiques, scientifiques, spirituelles, philosophiques et artistiques qui permet à un joyeux second degré de balayer toutes les poussières muséales de l’épistémologie classique.

 

Le portrait de l’homme préhistorique face au gorak qui ouvre les premières pages donne d’emblée le ton, ce que confirme plus loin l’implication notoire du KGB dans Pif Gadget ! Sans parler d’un épatant "Mon voyage chez Mao" par Philippe Sollers... Difficile dans ces conditions de jauger la pertinence des thèmes abordés, faute de passer pour un schnock au moins vétuste.
Fidèles au principe réversible de la pétition de principe, les habiles auteurs - flagorneurs en diable de ces consommateurs-nés que sont les trentenaires fans inconditionnels des "années 1980" et amateurs de Rahan et autres Goldorak - empêchent par leur préambule qu’on les critique en les prenant au sérieux, eux qui revendiquent l’esprit de non-sérieux... lequel n’est pas sans esprit !

 

De fait, Chaque livre est une aventure, un pari, un défi. L’Anticyclopédie va-t-elle plutôt séduire l’élite intellectuelle parisienne ou, au contraire (comme nous l’espérons pour des raisons financières), racoler le grand public, grossier et inculte ? Sera-t-elle intronisée au panthéon des Lettres, ou bien transformée en litière à cochon ? Quant à nous, les auteurs, ferons-nous des orgies avec de superbes top-modèles suédoises, ou resterons-nous avec nos petites amies respectives ?
L’on ne sait pas trop du coup, lorsqu’une erreur coupable se glisse d’aventure entre ces pages, si elle est volontaire ou inconsciente, tant on est pris au piège de ce marivaudage cognitif. Quid dans ces conditions de la confusion entre l’abeille Willy et le criquet Flip, au sujet du dessin animé Maya l’abeille, référence ô combien culturelle s’il en est ? Au royaume de la légèreté satirique, l’ironie est reine.

 

On regrettera simplement que certaines notions ne soient pas davantage approfondies car l’Anticyclopédie, au demeurant bien servie par moult illustrations, occupe une autre fonction quand, délaissant la caricature de la traditionnelle connaissance mise en cercle (en-kyklos en grec), elle se transmue en l’abécédaire, aussi déjanté que fantastique, d’un monde parallèle au nôtre, ainsi convertie en le phantasme tantalien d’un chercheur obnubilé par les arcanes épistémiques de toutes choses, à l’instar du mathématicien bien barré du Pi de Darren Aronofsky. Un "dictionnaire déraisonné des sciences, des arts et des mœurs" qui se parcourt plus qu’il ne se lit (au sens littéral en tout cas), mais fort savoureux le plus souvent et auquel on laissera donc le mot de la fin :

 

Pif-gadget
Journal marxiste-léniniste, Pif proposait chaque semaine à ses jeunes lecteurs de quoi alimenter la lutte des classes (petits de CE1 contre grands de CM2). Une fois sur deux, le gadget de la semaine semlait avoir été inventé par un ingénieur du KGB pour former la jeunesse française aux techniques de guérilla urbaine. Imprimerie portable, armes sophistiquées, moyens de transmission indétectables : les écoliers de six à onze ans amassaient en toute innocence un véritable arsenal au fond de leur coffre à jouets. Dieu sait comment ils s’en serviraient en cas de victoire de la guache. C’était sans compter avec les forces de la réaction (parents,instituteurs), qui réussirent en quelques années à confisquer ou à donner aux cousins environs 92% des gadgets. Grâce à eux, la France est heureusement restée dans un monde libre.

   
 

frederic grolleau

 

Emmanuel Vincenot et Emmanuel Prelle, Anticyclopédie universelle : Tout sur tout et son contraire, Mille Et Une Nuits, 2008, 126 p. - 15,00 €.

 
     

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