Exposé de Mlle Jacob : Des hommes et des dieux
Synopsis :
Des hommes et des dieux est un film de Xavier Beauvois, paru le 8 septembre 2010 au cinéma. Il reçu le prix du jury du festival de Cannes 2010 et le césar du meilleur film. Des hommes et des dieux raconte l’histoire vraie d’une communauté de moines cisterciens rassemblés dans le monastère de Tibhirine perdu dans les montagnes algériennes. Le monastère se situe dans un village algérien où les moines chrétiens et frères musulmans vivent en harmonie. D’ailleurs, la phrase « Les oiseaux c’est nous, la branche c’est vous. Si vous partez, on ne saura pas où se poser » dites par un villageois illustre bien cette idée. Tout le village vit dans le respect de la religion, de la communauté et de la fraternité où les moines sont aussi docteurs, confidents et dépanneurs. Cependant, cette harmonie est rapidement brisée par l’arrivée des frères de la montagne (les terroristes) qui sèment la terreur dans tous le pays et déclenche une guerre civile. Ils arrivent rapidement aux portes du monastère. Leur but est de faire pression sur la France en prenant en otage les moines car celle-ci détient de nombreux islamistes en prison. D'abord plongés dans le chaos par la peur qu'a engendrée chez chacun la perspective de sa propre mort, et qui a d'abord fait chanceler la cohésion du groupe, ces sept hommes ont finalement pris collectivement la décision de ne pas plier devant la violence. Refusant de piétiner l'idéal de fraternité auquel ils ont voué leur vie, ils ont choisi de rester dans le monastère plutôt que de rentrer en France comme on les poussait à le faire. Ils reprennent donc leur train de vie avec une expression stoïque et bienveillante qui laisse pourtant entrevoir une terreur sourde et un doute qui s’immisce entre la tentation de fuir et le désir de préserver cette harmonie entre leur communauté et même entre eux et les villageois.
Dans le film, nous pouvons comprendre que la foi a une place importante chez les moines. Ils prient énormément et c’est de cette foi qu’ils puisent la force de rester envers et contre tout. Des hommes et des dieux ne se contente pas de décrire, mais cherche à appréhender, dans le respect du mystère de la foi, les motivations profondes de ces hommes de paix, de plus en plus exposés, conscients de la menace et incités à partir, refusant de prendre partie entre les « frères de la montagne » (les terroristes) et les « frères de la plaine » (les militaires), soucieux de rester proches du village avec lequel des liens forts s'étaient créés.
Le film suit avec un réalisme rigoureux l'engagement de ces hommes ayant voué leur vie à Dieu mais surtout aux autres, la vie monastique qui continue au rythme des tâches quotidiennes, travaux manuels et temps de prière. Les scènes très fortes de réunions de chapitre, où chaque moine, à sa manière, livre son désarroi ou sa conviction, font surgir sans grands discours toute la complexité humaine, religieuse et morale de ce qui fut accompli.
Nous nous demanderons donc en quoi la religion a-t-elle une place importante chez l’homme ?
Le mot religion est dérivé du latin « religio » (ce qui attache ou retient, lien moral, inquiétude de conscience, scrupule). Cependant, Cicéron le dit venir de « religere » (relire, revoir avec soin, rassembler) dans le sens de « considérer soigneusement les choses qui concernent le culte des dieux ».
La religion est l’ensemble des croyances, sentiments, dogmes et pratiques qui définissent les rapports de l’être humain avec le sacré ou la divinité. Une religion particulière est définie par les éléments spécifiques à une communauté de croyants : dogmes, livres sacré, rites, cultes, sacrements… La plupart des religions se sont développées à partir d’une révélation s’appuyant sur l’histoire exemplaire d’un peuple, d’un prophète ou d’un sage qui a enseigné un idéal de vie.
Pascal, Blaise, 737
Ainsi je tends les bras à mon Libérateur qui, ayant été prédit durant 4000 ans, est venu souffrir et mourir pour moi sur la terre dans les temps et dans toutes les circonstances qui ont été prédites; et, par sa grâce, j'attends la mort en paix, dans l'espérance de lui être éternellement uni; et je vis cependant avec joie, soit dans les biens qu'il lui plaît de me donner, soit dans les maux qu'il m'envoie pour mon bien, et qu'il m'a appris à souffrir par son exemple.
La pensée résume bien le thème du film et de cette réflexion puisqu’il traite des sujets que je vais aborder. En effet, les moines savent qu’ils vont mourir dans des circonstances horribles mais arrivent à passer outre car ils savent que c’est la volonté de Dieu et l’acceptent.
Dans ce film, les scènes de prières sont nombreuses et montrent ainsi le cheminement spirituel de ces moines mais aussi la conviction inébranlable de leur croyance. (Photos de prières sur diapo).
Dans un premier temps, nous parlerons de la communauté et comment celle-ci s’est elle développée au sein du monastère.
Nous remarquons dans le film que la plupart des prières se font en collectivité et non seul. C’est ici la preuve de la cohésion entre ces moines.
La communauté est le caractère de ce qui est commun à plusieurs personnes ou choses. Au sens général, une communauté désigne un groupe social constitué de personnes partageant les mêmes caractéristiques, le même mode de vie, la même culture, la même langue, les mêmes intérêts…
Dans le monastère, nous avons ici un exemple de communauté. C’est la foi qui a formé cette cohésion entre eux. Ils vivent simplement : ils cultivent la terre, prodiguent des soins et tout ceci dans le respect de l’islam. Ils vivent en harmonie et le film le montre avec le partage d’un plateau de frites, la lecture à voix haute de l’Equipe, les conseils de frère Luc à une fille du village à propos de l’amour.
L’image la plus illustrative de la communauté est lorsqu’ils prennent ensemble la décision de partir ou de rester. Ils restent soudés, écoutent l’argument de chacun et en prennent compte. D’ailleurs c’est l’un des frères qui dit « c’est le principe même de la communauté ». (SCENE DU FILM 1h21).
Dans cette scène, nous voyons bien qu’ils se concertent pour s’avoir s’ils doivent partir ou non, à la différence que tous partiront ou tous resteront. Il existe une véritable cohésion entre eux qui ne prend pas forme que dans les temps calmes mais aussi dans les moments difficiles. C’est dans la foi et dans la prière qu’ils trouvent la force de rester. En effet, Les nombreuses scènes de prières qui ponctuent le film mettent en évidence que dans la difficulté, ils prient tous ensemble. Le fait qu’ils prient ensemble montre bien que c’est la religion qui les maintient unis ainsi que dans le monastère alors qu’ils n’aspirent qu’à fuir.
Nous verrons donc comment la foi leur permet de continuer à vivre sachant leur fin proche.
Ce psaume est cité au tout début du film et illustre ce propos :
J’ai dit : Vous êtes des dieux,
Des fils du Très Haut, vous tous.
Pourtant, vous mourrez comme des hommes ;
Comme des princes, tous, vous tomberez.
Psaume 82, 6-7
Grâce à la religion, ils assument le fait de mourir prochainement. Les moines acceptent la mort. Pour eux, la mort n’est rien puisqu’ils savent qu’il y a un au-delà. C’est d’ailleurs ce que dit Jean Marc dans Message de la Très Sainte Trinité : « l’acceptation des croix dans votre vie est une noble vertu, qui permet à l’homme de faire de rapides progrès sur ce chemin difficile de la sainteté. Voir en tout ce qui vous arrive la volonté de Dieu, s’abandonner totalement entre ses mains et lui faire confiance… ». Dans la scène que nous allons voir ceci est la preuve même de toute la confiance qu’on placé ces moines en Dieu. (SCENE DU FILM 1h40).
Le fait d’avoir accepter leur mort leur permet de savourer pleinement leur vie.
En effet, on peut voir dans cette scène qu’ils sourient. Ils acceptent leur destin grâce à la foi mais aussi grâce au fait d’être tous ensemble en train de boire du vin et de savourer ce moment d’acceptation de la part de tous. D’ailleurs, dans l’une des scènes de prière, les moines décident de prier après avoir entendu les hélicoptères arriver dans le village. Ils remettent donc à Dieu, par leurs prières, leur destin et donc l’acceptation de leur mort qu’ils savent proche. Ils essayent, par leur chant de couvrir le bruit de l’hélicoptère.(SCENE DU FILM 1h29). En même temps, pourquoi craindre la mort ? Notre vie ne peut avoir de sens si la mort n’y a pas sa place, parce que la mort fait partie intégrante de la vie. C’est d’ailleurs ce que dit Epicure dans la lettre à Ménécée mais avec un point de vue inverse : « Familiarise-toi avec l'idée que la mort n'est rien pour nous, puisque tout bien et tout mal résident dans la sensation, et que la mort est l'éradication de nos sensations. Dès lors, la juste prise de conscience que la mort ne nous est rien autorise à jouir du caractère mortel de la vie : non pas en lui conférant une durée infinie, mais en l'amputant du désir d'immortalité. Il s'ensuit qu'il n'y a rien d'effrayant dans le fait de vivre, pour qui est radicalement conscient qu'il n'existe rien d'effrayant non plus dans le fait de ne pas vivre. Stupide est donc celui qui dit avoir peur de la mort non parce qu'il souffrira en mourant, mais parce qu'il souffre à l'idée qu'elle approche. Ce dont l'existence ne gêne point, c'est vraiment pour rien qu'on souffre de l'attendre !
Le plus effrayant des maux, la mort ne nous est rien, disais-je : quand nous sommes, la mort n'est pas là, et quand la mort est là, c'est nous qui ne sommes pas ! Elle ne concerne donc ni les vivants ni les trépassés, étant donné que pour les uns, elle n'est point, et que les autres ne sont plus. Beaucoup de gens pourtant fuient la mort, soit en tant que plus grand des malheurs, soit en tant que point final des choses de la vie. ».
C’est bien cette philosophie qui leur permet de continuer à mener leur vie en sachant que la mort est proche. C’est dans une parfaite sérénité que les moines reprennent leurs tâches. D’ailleurs, Montaigne dit : « philosopher c’est apprendre à mourir ».
Nous allons maintenant nous attarder sur une scène qui fait transition entre l’idée de l’acceptation de la mort et celle de liberté. (SCENE DU FILM 1h13).
Le dernier point sera donc comment éprouver la liberté ?
-En latin, liber signifie libre, sans chaînes, sans entraves, et s'oppose à servus, l'esclave.
La liberté n’est pas dans l’absence de contrainte mais dans l’utilisation raisonnée de ces contraintes.
Les stoïciens se sont pourtant efforcés de penser la liberté indépendamment de toute condition extérieure. Le sage, parce qu’il réussi précisément à se détacher de tout ce qui n’est pas en son pouvoir, ne dépend que de lui-même et ne connait ni la souffrance ni la contrainte. La liberté est alors conçue comme l’état idéal de l’être humain, qui atteint la sérénité par la maitrise des passions et par l’intelligence de la nature. Un tel détachement implique sans doute une force d’âme peu ordinaire. Quoiqu’il en soit, la conception stoïcienne oriente la réflexion dans une direction théorique nouvelle et féconde. Désormais, et pour toute la philosophie classique, la liberté signifie l’indépendance intérieure et la capacité morale de se déterminer en suivant les seuls conseils de la raison et de l’intelligence non dévoyée par la passion. Mais s’en tenir là reviendrait à considérer que la liberté n’est finalement que l’autre nom de la raison : auquel cas, on ne comprendrait plus très bien en quoi elle se distingue de la nécessité.
Dans cette scène, il y a cette phrase forte de Frère Luc « laissez passer l’homme libre ».
Frère Luc dit qu’il ne craint pas les terroristes ni la mort, il dit qu’il est libre. Et en effet, il est libre car il se détache des fardeaux qu’étaient la peur et l’angoisse afin de vivre normalement jusqu’à sa mort. En acceptant sa mort prochaine, il s’enlève un poids qui l’empêchait de finir sa vie joyeusement et non en passant son temps à se lamenter sur sa mort inéluctable.
L’homme est captif de sa fin dans le sens où il n’a pas le choix, c’est une constante. L’homme mourra forcément, à un moment où un autre donc autant l’accepter afin de ne pas gâcher sa vie à essayer de ne pas mourir. Le fait que Frère Luc ait accepté sa mort et ne s’en angoisse pas lui permet de savourer sa vie. Il accepte son sort avec sérénité.
De son côté, Frère Christian (le chef de la communauté) a choisi la liberté plutôt que l’asservissement. En effet, ce dernier a refusé de mettre leur médecin à la disposition des terroristes et de leur donner les médicaments destinés aux villageois. Il sait donc, en qualité d’homme libre, qu’en refusant il signe l’arrêt de mort de tous les moines du monastère. Il a agit en parfait connaissance de causes et pourtant il a choisi de mourir plutôt que de servir la cause des frères de la montagne.
A l’inverse, Frère Christophe cherche en Dieu la force de se libérer de ses peurs. Il n’arrive pas à accepter sa mort prochaine et se réfugie donc dans la prière. Grâce à sa foi inébranlable, il arrive à surpasser sa peur et à réintégrer la communauté et l’état de presque quiétude qu’était le sien avec l’arrivée des terroristes. Chaque moine, grâce à sa foi en Dieu, à réussi à accepter sa mort prochaine.
En conclusion, des hommes et des dieux est un film ayant une portée philosophique basée sur la religion et la foi de l’homme. Ce film montre le cheminement spirituel de ces hommes. En effet, la religion a une place importante chez l’homme car elle donne une raison de vivre à l’homme mais aussi une raison de mourir. Ces moines, qui ont contre leur gré, servis de monnaie d’échange, ont accepté leur sort sans se plaindre. La religion permet à l’homme de remettre de l’ordre dans ses priorités et d’accepter son destin.
DEFINITIONS
La religion :
Le mot religion est dérivé du latin « religio » (ce qui attache ou retient, lien moral, inquiétude de conscience, scrupule). Cependant, Cicéron le dit venir de « religere » (relire, revoir avec soin, rassembler) dans le sens de « considérer soigneusement les choses qui concernent le culte des dieux ».
La religion est l’ensemble des croyances, sentiments, dogmes et pratiques qui définissent les rapports de l’être humain avec le sacré ou la divinité. Une religion particulière est définie par les éléments spécifiques à une communauté de croyants : dogmes, livres sacré, rites, cultes, sacrements… La plupart des religions se sont développées à partir d’une révélation s’appuyant sur l’histoire exemplaire d’un peuple, d’un prophète ou d’un sage qui a enseigné un idéal de vie.
La communauté :
La communauté est le caractère de ce qui est commun à plusieurs personnes ou choses. Au sens général, une communauté désigne un groupe social constitué de personnes partageant les mêmes caractéristiques, le même mode de vie, la même culture, la même langue, les mêmes intérêts…
La liberté :
-En latin, liber signifie libre, sans chaînes, sans entraves, et s'oppose à servus, l'esclave.
La liberté n’est pas dans l’absence de contrainte mais dans l’utilisation raisonnée de ces contraintes.
Les stoïciens se sont pourtant efforcés de penser la liberté indépendamment de toute condition extérieure. Le sage, parce qu’il réussi précisément à se détacher de tout ce qui n’est pas en son pouvoir, ne dépend que de lui-même et ne connait ni la souffrance ni la contrainte. La liberté est alors conçue comme l’état idéal de l’être humain, qui atteint ka sérénité par la maitrise des passions et par l’intelligence de la nature. Un tel détachement implique sans doute une force d’âme peu ordinaire. Quoiqu’il en soit, la conception stoïcienne oriente la réflexion dans une direction théorique nouvelle et féconde. Désormais, et pour toute la philosophie classique, la liberté signifie l’indépendance intérieure et la capacité morale de se déterminer en suivant les seuls conseils de la raison et de l’intelligence non dévoyée par la passion. Mais s’en tenir là reviendrait à considérer que la liberté n’est finalement que l’autre nom de la raison : auquel cas, on ne comprendrait plus très bien en quoi elle se distingue de la nécessité.
TEXTES
EPICURE
Lettre à Ménécée
Epicure à Ménécée,
Même jeune, on ne doit pas hésiter à philosopher. Ni, même au seuil de la vieillesse, se fatiguer de l’exercice philosophique. Il n’est jamais trop tôt, qui que l’on soit, ni trop tard pour l’assainissement de l’âme. Tel, qui dit que l’heure de philosopher n’est pas venue ou qu’elle est déjà passée, ressemble à qui dirait que pour le bonheur, l’heure n’est pas venue ou qu’elle n’est plus. Sont donc appelés à philosopher le jeune comme le vieux. Le second pour que, vieillissant, il reste jeune en biens par esprit de gratitude à l’égard du passé. Le premier pour que jeune, il soit aussi un ancien par son sang-froid à l’égard de l’avenir. En définitive, on doit donc se préoccuper de ce qui crée le bonheur, s’il est vrai qu’avec lui nous possédons tout, et que sans lui nous faisons tout pour l’obtenir.
Ces conceptions, dont je t’ai constamment entretenu, garde-les en tête. Ne les perds pas de vue quand tu agis, en connaissant clairement qu’elles sont les principes de base du bien vivre.
D’abord, tenant le dieu pour un vivant immortel et bienheureux, selon la notion du dieu communément pressentie, ne lui attribue rien d’étranger à son immortalité ni rien d’incompatible avec sa béatitude. Crédite-le, en revanche, de tout ce qui est susceptible de lui conserver, avec l’immortalité, cette béatitude. Car les dieux existent : évidente est la connaissance que nous avons d’eux. Mais tels que la foule les imagine communément, ils n’existent pas : les gens ne prennent pas garde à la cohérence de ce qu’ils imaginent. N’est pas impie qui refuse des dieux populaires, mais qui, sur les dieux, projette les superstitions populaires. Les explications des gens à propos des dieux ne sont pas des notions établies à travers nos sens, mais des suppositions sans fondement. De là l’idée que les plus grands dommages sont amenés par les dieux ainsi que les bienfaits. En fait, c’est en totale affinité avec ses propres vertus que l’on accueille ceux qui sont semblables à soi-même, considérant comme étranger tout ce qui n’est pas tel que soi.
Accoutume-toi à penser que pour nous la mort n’est rien, puisque tout bien et tout mal résident dans la sensation, et que la mort est l’éradication de nos sensations. Dès lors, la juste prise de conscience que la mort ne nous est rien autorise à jouir du caractère mortel de la vie : non pas en lui conférant une durée infinie, mais en l’amputant du désir d’immortalité.
Il s’ensuit qu’il n’y a rien d’effrayant dans le fait de vivre, pour qui est authentiquement conscient qu’il n’existe rien d’effrayant non plus dans le fait de ne pas vivre. Stupide est donc celui qui dit avoir peur de la mort non parce qu’il souffrira en mourant, mais parce qu’il souffre à l’idée qu’elle approche. Ce dont l’existence ne gêne point, c’est vraiment pour rien qu’on souffre de l’attendre ! Le plus effrayant des maux, la mort ne nous est rien, disais-je : quand nous sommes, la mort n’est pas là, et quand la mort est là, c’est nous qui ne sommes plus ! Elle ne concerne donc ni les vivants ni les trépassés, étant donné que pour les uns, elle n’est point, et que les autres ne sont plus. Beaucoup de gens pourtant fuient la mort, soit en tant que plus grands des malheurs, soit en tant que point final des choses de la vie.
Le sage, lui ne craint pas le fait de n’être pas en vie : vivre ne lui convulse pas l’estomac, sans qu’il estime être mauvais de ne pas vivre. De même qu’il ne choisit jamais la nourriture la plus plantureuse, mais la plus goûteuse, ainsi n’est-ce point le temps le plus long, mais le plus fruité qu’il butine ? Celui qui incite d’un côté le jeune à bien vivre, de l’autre le vieillard à bien mourir est un niais, non tant parce que la vie a de l’agrément, mais surtout parce que bien vivre et bien mourir constituent un seul et même exercice. Plus stupide encore celui qui dit beau de n’être pas né, ou « sitôt né, de franchir les portes de l’Hadès ».
S’il est persuadé de ce qu’il dit, que ne quitte-t-il la vie sur-le-champ ? Il en a l’immédiate possibilité, pour peu qu’il le veuille vraiment. S’il veut seulement jouer les provocateurs, sa désinvolture en la matière est déplacée.
Souvenons-nous d’ailleurs que l’avenir, ni ne nous appartient, ni ne nous échappe absolument, afin de ne pas tout à fait l’attendre comme devant exister, et de n’en point désespérer comme devant certainement ne pas exister.
Il est également à considérer que certains d’entre les désirs sont naturels, d’autres vains, et que si certains des désirs naturels sont nécessaires, d’autres ne sont seulement que naturels. Parmi les désirs nécessaires, certains sont nécessaires au bonheur, d’autres à la tranquillité durable du corps, d’autres à la vie même. Or, une réflexion irréprochable à ce propos sait rapporter tout choix et tout rejet à la santé du corps et à la sérénité de l’âme, puisque tel est le but de la vie bienheureuse. C’est sous son influence que nous faisons toute chose, dans la perspective d’éviter la souffrance et l’angoisse. Quand une bonne fois cette influence a établi sur nous son empire, toute tempête de l’âme se dissipe, le vivant n’ayant plus à courir comme après l’objet d’un manque, ni à rechercher cet autre par quoi le bien, de l’âme et du corps serait comblé. C’est alors que nous avons besoin de plaisir : quand le plaisir nous torture par sa non-présence. Autrement, nous ne sommes plus sous la dépendance du plaisir.
Voilà pourquoi nous disons que le plaisir est le principe et le but de la vie bienheureuse. C’est lui que nous avons reconnu comme bien premier et congénital. C’est de lui que nous recevons le signal de tout choix et rejet. C’est à lui que nous aboutissons comme règle, en jugeant tout bien d’après son impact sur notre sensibilité.
Justement parce qu’il est le bien premier et né avec notre nature, nous ne bondissons pas sur n’importe quel plaisir : il existe beaucoup de plaisirs auxquels nous ne nous arrêtons pas, lorsqu’ils impliquent pour nous une avalanche de difficultés. Nous considérons bien des douleurs comme préférables à des plaisirs, dès lors qu’un plaisir pour nous plus grand doit suivre des souffrances longtemps endurées. Ainsi tout plaisir, par nature, a le bien pour intime parent, sans pour autant devoir être cueilli. Symétriquement, toute espèce de douleur est un mal, sans que toutes les douleurs soient à fuir obligatoirement. C’est à travers la confrontation et l’analyse des avantages et désavantages qu’il convient de se décider à ce propos. A certains moments, nous réagissons au bien selon les cas comme à un mal, ou inversement au mal comme à un bien.
Ainsi, nous considérons l’autosuffisance comme un grand bien : non pour satisfaire à une obsession gratuite de frugalité, mais pour que le minimum, au cas où la profusion ferait défaut, nous satisfasse. Car nous sommes intimement convaincus qu’on trouve d’autant plus d’agréments à l’abondance qu’on y est moins attaché, et que si tout ce qui est naturel est plutôt facile à se procurer, ne l’est pas tout ce qui est vain. Les nourritures savoureusement simples vous régalent aussi bien qu’un ordinaire fastueux, sitôt éradiquée toute la douleur du manque : pain et eau dispensent un plaisir extrême, dès lors qu’en manque on les porte à sa bouche. L’accoutumance à des régimes simples et sans faste est un facteur de santé, pousse l’être humain au dynamisme dans les activités nécessaires à la vie, nous rend plus aptes à apprécier, à l’occasion, les repas luxueux et, face au sort, nous immunise contre l’inquiétude.
Quand nous parlons du plaisir comme d’un but essentiel, nous ne parlons pas des plaisirs du noceur irrécupérable ou de celui qui a la jouissance pour résidence permanente - comme se l’imaginent certaines personnes peu au courant et réticentes à nos propos, ou victimes d’une fausse interprétation - mais d’en arriver au stade où l’on ne souffre pas du corps et ou l’on n’est pas perturbé de l’âme. Car ni les beuveries, ni les festins continuels, ni les jeunes garçons ou les femmes dont on jouit, ni la délectation des poissons et de tout ce que peut porter une table fastueuse ne sont à la source de la vie heureuse : c’est ce qui fait la différence avec le raisonnement sobre, lucide, recherchant minutieusement les motifs sur lesquels fonder tout choix et tout rejet, et chassant les croyances à la faveur desquelles la plus grande confusion s’empare de l’âme.
Au principe de tout cela, comme plus grand bien : la prudence. Or donc, la prudence, d’où sont issues toutes les autres vertus, se révèle en définitive plus précieuse que la philosophie : elle nous enseigne qu’on ne saurait vivre agréablement sans prudence , sans honnêteté et sans justice, ni avec ces trois vertus vivre sans plaisir. Les vertus en effet participent de la même nature que vivre avec plaisir, et vivre avec plaisir en est indissociable.
D’après toi, quel homme surpasse en force celui qui sur les dieux nourrit des convictions conformes à leurs lois ? Qui face à la mort est désormais sans crainte ? Qui a percé à jour le but de la nature, en discernant à la fois comme il est aisé d’obtenir et d’atteindre le "summum" des biens, et comme celui des maux est bref en durée ou en intensité ; s’amusant de ce que certains mettent en scène comme la maîtresse de tous les événements – les uns advenant certes par nécessité, mais d’autres par hasard, d’autres encore par notre initiative –, parce qu’il voit bien que la nécessité n’a de comptes à rendre à personne, que le hasard est versatile, mais que ce qui vient par notre initiative est sans maître, et que c’est chose naturelle si le blâme et son contraire la suivent de près (en ce sens, mieux vaudrait consentir à souscrire au mythe concernant les dieux, que de s’asservir aux lois du destin des physiciens naturalistes : la première option laisse entrevoir un espoir, par des prières, de fléchir les dieux en les honorant, tandis que l’autre affiche une nécessité inflexible). Qui témoigne, disais-je, de plus de force que l’homme qui ne prend le hasard ni pour un dieu, comme le fait la masse des gens (un dieu ne fait rien de désordonné), ni pour une cause fluctuante (il ne présume pas que le bien ou le mal, artisans de la vie bienheureuse, sont distribués aux hommes par le hasard, mais pense que, pourtant, c’est le hasard qui nourrit les principes de grands biens ou de grands maux) ; l’homme convaincu qu’il est meilleur d’être dépourvu de chance particulière tout en raisonnant bien que d’être chanceux en déraisonnant ; l’idéal étant évidemment, en ce qui concerne nos actions, que ce qu’on a jugé « bien » soit entériné par le hasard.
A ces questions, et à toutes celles qui s’y rattachent, réfléchis jour et nuit pour toi-même et pour qui est semblable à toi, et jamais tu ne seras troublé ni dans la veille ni dans tes rêves, mais tu vivras comme un dieu parmi les humains. Car il n’a rien de commun avec un animal mortel, l’homme vivant parmi des biens immortels."
MONTAIGNE - Essais - Livre I
CHAPITRE XIX
« Que Philosopher, c'est apprendre à mourir. »
CICERON dit que Philosopher ce n'est autre chose que s'aprester à la mort. C'est d'autant que l'estude et la contemplation retirent aucunement nostre ame hors de nous, et l'embesongnent à part du corps, qui est quelque apprentissage et ressemblance de la mort : Ou bien, c'est que toute la sagesse et discours du monde se resoult en fin à ce point, de nous apprendre a ne craindre point a mourir. De vray, ou la raison se mocque, ou elle ne doit viser qu'à nostre contentement, et tout son travail tendre en somme à nous faire bien vivre, et à nostre aise, comme dict la Saincte Escriture. Toutes les opinions du monde en sont là, que le plaisir est nostre but, quoy qu'elles en prennent divers moyens ; autrement on les chasseroit d'arrivée. Car qui escouteroit celuy, qui pour sa fin establiroit nostre peine et mesaise ?
Les dissentions des sectes Philosophiques en ce cas, sont verbales. Transcurramus solertissimas nugas. Il y a plus d'opiniastreté et de picoterie, qu'il n'appartient à une si saincte profession. Mais quelque personnage que l'homme entrepreigne, il jouë tousjours le sien parmy. Quoy qu'ils dient, en la vertu mesme, le dernier but de nostre visee, c'est la volupté. Il me plaist de battre leurs oreilles de ce mot, qui leur est si fort à contrecoeur : Et s'il signifie quelque supreme plaisir, et excessif contentement, il est mieux deu à l'assistance de la vertu, qu'à nulle autre assistance. Cette volupté pour estre plus gaillarde, nerveuse, robuste, virile, n'en est que plus serieusement voluptueuse. Et luy devions donner le nom du plaisir, plus favorable, plus doux et naturel : non celuy de la vigueur, duquel nous l'avons denommee. Cette autre volupté plus basse, si elle meritoit ce beau nom : ce devoit estre en concurrence, non par privilege. Je la trouve moins pure d'incommoditez et de traverses, que n'est la vertu. Outre que son goust est plus momentanee, fluide et caduque, elle a ses veilles, ses jeusnes, et ses travaux, et la sueur et le sang. Et en outre particulierement, ses passions trenchantes de tant de sortes ; et a son costé une satiete si lourde, qu'elle equipolle à penitence. Nous avons grand tort d'estimer que ses incommoditez luy servent d'aiguillon et de condiment à sa douceur, comme en nature le contraire se vivifie par son contraire : et de dire, quand nous venons à la vertu, que pareilles suittes et difficultez l'accablent, la rendent austere et inacessible. Là où beaucoup plus proprement qu'à la volupté, elles anoblissent, aiguisent, et rehaussent le plaisir divin et parfaict, qu'elle nous moienne. Celuy la est certes bien indigne de son accointance, qui contrepoise son coust, à son fruit : et n'en cognoist ny les graces ny l'usage. Ceux qui nous vont instruisant, que sa queste est scabreuse et laborieuse, sa jouïssance agreable : que nous disent-ils par là, sinon qu'elle est tousjours desagreable ? Car quel moien humain arriva jamais à sa jouïssance ? Les plus parfaits se sont bien contentez d'y aspirer, et de l'approcher, sans la posseder. Mais ils se trompent ; veu que de tous les plaisirs que nous cognoissons, la poursuite mesme en est plaisante. L'entreprise se sent de la qualité de la chose qu'elle regarde : car c'est une bonne portion de l'effect, et consubstancielle. L'heur et la beatitude qui reluit en la vertu, remplit toutes ses appartenances et avenues, jusques à la premiere entree et extreme barriere. Or des principaux bienfaicts de la vertu, c'est le mespris de la mort, moyen qui fournit nostre vie d'une molle tranquillité, et nous en donne le goust pur et amiable : sans qui toute autre volupté est esteinte.
Voyla pourquoy toutes les regles se rencontrent et conviennent à cet article. Et combien qu'elles nous conduisent aussi toutes d'un commun accord à mespriser la douleur, la pauvreté, et autres accidens, à quoy la vie humaine est subjecte, ce n'est pas d'un pareil soing : tant par ce que ces accidens ne sont pas de telle necessité, la pluspart des hommes passent leur vie sans gouster de la pauvreté, et tels encore sans sentiment de douleur et de maladie, comme Xenophilus le Musicien, qui vescut cent et six ans d'une entiere santé : qu'aussi d'autant qu'au pis aller, la mort peut mettre fin, quand il nous plaira, et coupper broche à tous autres inconvenients. Mais quant à la mort, elle est inevitable.
Omnes eodem cogimur, omnium
Versatur urna, serius ocius
Sors exitura, et nos in æter-
Num exitium impositura cymbæ.
Et par consequent, si elle nous faict peur, c'est un subject continuel de tourment, et qui ne se peut aucunement soulager. Il n'est lieu d'où elle ne nous vienne. Nous pouvons tourner sans cesse la teste çà et là, comme en pays suspect : quæ quasi saxum Tantalo semper impendet. Nos parlemens renvoyent souvent executer les criminels au lieu où lecrime est commis : durant le chemin, promenez les par de belles maisons, faictes leur tant de bonne chere, qu'il vous plaira,
non Siculæ dapes
Dulcem elaborabunt saporem,
Non avium, cytharæque cantus
Somnum reducent.
Pensez vous qu'ils s'en puissent resjouir ? et que la finale intention de leur voyage leur estant ordinairement devant les yeux, ne leur ayt alteré et affadi le goust à toutes ces commoditez ?
Audit iter, numeratque dies, spatioque viarum
Metitur vitam, torquetur peste futura.
Le but de nostre carriere c'est la mort, c'est l'object necessaire de nostre visee : si elle nous effraye, comme est-il possible d'aller un pas avant, sans fiebvre ? Le remede du vulgaire c'est de n'y penser pas. Mais de quelle brutale stupidité luy peut venir un si grossier aveuglement ? Il luy faut faire brider l'asne par la queuë,
Qui capite ipse suo instituit vestigia retro.
Ce n'est pas de merveille s'il est si souvent pris au piege. On fait peur à nos gens seulement de nommer la mort, et la pluspart s'en seignent, comme du nom du diable. Et par-ce qu'il s'en faict mention aux testamens, ne vous attendez pas qu'ils y mettent la main, que le medecin ne leur ayt donné l'extreme sentence. Et Dieu sçait lors entre la douleur et la frayeur, de quel bon jugement ils vous le patissent.
Par ce que cette syllabe frappoit trop rudement leurs oreilles, et que cette voix leur sembloit malencontreuse, les Romains avoient apris de l'amollir ou l'estendre en perifrazes. Au lieu de dire, il est mort, il a cessé de vivre, disent-ils, il a vescu. Pourveu que ce soit vie, soit elle passee, ils se consolent. Nous en avons emprunté, nostre, feu Maistre-Jehan.
A l'adventure est-ce, que comme on dict, le terme vaut l'argent. Je nasquis entre unze heures et midi le dernier jour de Febvrier, mil cinq cens trente trois : comme nous contons à cette heure, commençant l'an en Janvier. Il n'y a justement que quinze jours que j'ay franchi 39. ans, il m'en faut pour le moins encore autant. Ce pendant s'empescher du pensement de chose si esloignee, ce seroit folie. Mais quoy ? les jeunes et les vieux laissent la vie de mesme condition. Nul n'en sort autrement que si tout presentement il y entroit, joinct qu'il n'est homme si décrepite tant qu'il voit Mathusalem devant, qui ne pense avoir encore vingt ans dans le corps. D'avantage, pauvre fol que tu es, qui t'a estably les termes de ta vie ? Tu te fondes sur les contes des Medecins. Regarde plustost l'effect et l'experience. Par le commun train des choses, tu vis pieça par faveur extraordinaire. Tu as passé les termes accoustumez de vivre : Et qu'il soit ainsi, conte de tes cognoissans, combien il en est mort avant ton aage, plus qu'il n'en y a qui l'ayent atteint : Et de ceux mesme qui ont annobli leur vie par renommee, fais en registre, et j'entreray en gageure d'en trouver plus qui sont morts, avant, qu'apres trente cinq ans. Il est plein de raison, et de pieté, de prendre exemple de l'humanité mesme de Jesus-Christ. Or il finit sa vie à trente et trois ans. Le plus grand homme, simplement homme, Alexandre, mourut aussi à ce terme.
Combien a la mort de façons de surprise ?
Quid quisque vitet, nunquam homini satis
Cautum est in horas.
Je laisse à part les fiebvres et les pleuresies. Qui eust jamais pensé qu'un Duc de Bretaigne deust estre estouffé de la presse, comme fut celuy là à l'entree du Pape Clement mon voisin, à Lyon ? N'as tu pas veu tuer un de nos Roys en se jouant ? et un de ses ancestres mourut il pas choqué par un pourceau ? Æschylus menassé de la cheute d'une maison, à beau se tenir à l'airte, le voyla assommé d'un toict de tortue, qui eschappa des pattes d'un Aigle en l'air : l'autre mourut d'un grain de raisin : un Empereur de l'egratigneure d'un peigne en se testonnant : Æmylius Lepidus pour avoir heurté du pied contre le seuil de son huis : Et Aufidius pour avoir choqué en entrant contre la porte de la chambre du conseil. Et entre les cuisses des femmes Cornelius Gallus preteur, Tigillinus Capitaine du guet à Rome, Ludovic fils de Guy de Gonsague, Marquis de Mantoüe. Et d'un encore pire exemple, Speusippus Philosophe Platonicien, et l'un de nos Papes. Le pauvre Bebius, Juge, cependant qu'il donne delay de huictaine à une partie, le voyla saisi, le sien de vivre estant expiré : Et Caius Julius medecin gressant les yeux d'un patient, voyla la mort qui clost les siens. Et s'il m'y faut mesler, un mien frere le Capitaine S. Martin, aagé de vingt trois ans, qui avoit desja faict assez bonne preuve de sa valeur, jouant à la paume, reçeut un coup d'esteuf, qui l'assena un peu au dessus de l'oreille droitte, sans aucune apparence de contusion, ny de blessure : il ne s'en assit, ny reposa : mais cinq ou six heures apres il mourut d'une Apoplexie que ce coup luy causa. Ces exemples si frequents et si ordinaires nous passans devant les yeux, comme est-il possible qu'on se puisse deffaire du pensement de la mort, et qu'à chasque instant il ne nous semble qu'elle nous tienne au collet ?
Qu'importe-il, me direz vous, comment que ce soit, pourveu qu'on ne s'en donne point de peine ? Je suis de cet advis : et en quelque maniere qu'on se puisse mettre à l'abri des coups, fust ce soubs la peau d'un veau, je ne suis pas homme qui y reculast : car il me suffit de passer à mon aise, et le meilleur jeu que je me puisse donner, je le prens, si peu glorieux au reste et exemplaire que vous voudrez.
prætulerim delirus inérsque videri,
Dum mea delectent mala me, vel denique fallant,
Quam sapere et ringi.
Mais c'est folie d'y penser arriver par là. Ils vont, ils viennent, ils trottent, ils dansent, de mort nulles nouvelles. Tout cela est beau : mais aussi quand elle arrive, ou à eux ou à leurs femmes, enfans et amis, les surprenant en dessoude et au descouvert, quels tourmens, quels cris, quelle rage et quel desespoir les accable ? Vistes vous jamais rien si rabaissé, si changé, si confus ? Il y faut prouvoir de meilleure heure : Et cette nonchalance bestiale, quand elle pourroit loger en la teste d'un homme d'entendement (ce que je trouve entierement impossible) nous vend trop cher ses denrees. Si c'estoit ennemy qui se peust eviter, je conseillerois d'emprunter les armes de la coüardise : mais puis qu'il ne se peut ; puis qu'il vous attrappe fuyant et poltron aussi bien qu'honeste homme,
Nempe et fugacem persequitur virum,
Nec parcit imbellis juventæ
Poplitibus, timidoque tergo.
Et que nulle trampe de cuirasse vous couvre,
Ille licet ferro cautus se condat in ære,
Mors tamen inclusum protrahet inde caput.
aprenons à le soustenir de pied ferme, et à le combatre : Et pour commencer à luy oster son plus grand advantage contre nous, prenons voye toute contraire à la commune. Ostons luy l'estrangeté, pratiquons le, accoustumons le, n'ayons rien si souvent en la teste que la mort : à tous instans representons la à nostre imagination et en tous visages. Au broncher d'un cheval, à la cheute d'une tuille, à la moindre piqueure d'espeingle, remachons soudain, Et bien quand ce seroit la mort mesme ? et là dessus, roidissons nous, et nous efforçons. Parmy les festes et la joye, ayons tousjours ce refrein de la souvenance de nostre condition, et ne nous laissons pas si fort emporter au plaisir, que par fois il ne nous repasse en la memoire, en combien de sortes cette nostre allegresse est en butte à la mort, et de combien de prinses elle la menasse. Ainsi faisoient les Egyptiens, qui au milieu de leurs festins et parmy leur meilleure chere, faisoient apporter l'Anatomie seche d'un homme, pour servir d'avertissement aux conviez.
Omnem crede diem tibi diluxisse supremum,
Grata superveniet, quæ non sperabitur hora.
Il est incertain où la mort nous attende, attendons la par tout. La premeditation de la mort, est premeditation de la liberté. Qui a apris à mourir, il a desapris à servir. Il n'y a rien de mal en la vie, pour celuy qui a bien comprins, que la privation de la vie n'est pas mal. Le sçavoir mourir nous afranchit de toute subjection et contraincte. Paulus Æmylius respondit à celuy, que ce miserable Roy de Macedoine son prisonnier luy envoyoit, pour le prier de ne le mener pas en son triomphe, Qu'il en face la requeste à soy mesme.
A la verité en toutes choses si nature ne preste un peu, il est mal-aysé que l'art et l'industrie aillent guiere avant. Je suis de moy-mesme non melancholique, mais songecreux : il n'est rien dequoy je me soye des tousjours plus entretenu que des imaginations de la mort ; voire en la saison la plus licentieuse de mon aage,
Jucundum cum ætas florida ver ageret.
Parmy les dames et les jeux, tel me pensoit empesché à digerer à part moy quelque jalousie, ou l'incertitude de quelque esperance, cependant que je m'entretenois de je ne sçay qui surpris les jours precedens d'une fievre chaude, et de sa fin au partir d'une feste pareille, et la teste pleine d'oisiveté, d'amour et de bon temps, comme moy : et qu'autant m'en pendoit à l'oreille.
Jam fuerit, nec post unquam revocare licebit.
Je ne ridois non plus le front de ce pensement là, que d'un autre. Il est impossible que d'arrivee nous ne sentions des piqueures de telles imaginations : mais en les maniant et repassant, au long aller, on les apprivoise sans doubte : Autrement de ma part je fusse en continuelle frayeur et frenesie : Car jamais homme ne se défia tant de sa vie, jamais homme ne feit moins d'estat de sa duree. Ny la santé, que j'ay jouy jusques à present tresvigoureuse et peu souvent interrompue, ne m'en alonge l'esperance, ny les maladies ne me l'acourcissent. A chaque minute il me semble que je m'eschappe. Et me rechante sans cesse, Tout ce qui peut estre faict un autre jour, le peut estre aujourd'huy. De vray les hazards et dangiers nous approchent peu ou rien de nostre fin : Et si nous pensons, combien il en reste, sans cet accident qui semblent nous menasser le plus, de millions d'autres sur nos testes, nous trouverons que gaillars et fievreux, en la mer et en nos maisons, en la bataille et en repos elle nous est égallement pres. Nemo altero fragilior est : nemo in crastinum sui certior.
Ce que j'ay affaire avant mourir, pour l'achever tout loisir me semble court, fust ce d'une heure. Quelcun feuilletant l'autre jour mes tablettes, trouva un memoire de quelque chose, que je vouloys estre faite apres ma mort : je luy dy, comme il estoit vray, que n'estant qu'à une lieue de ma maison, et sain et gaillard, je m'estoy hasté de l'escrire là, pour ne m'asseurer point d'arriver jusques chez moy. Comme celuy, qui continuellement me couve de mes pensees, et les couche en moy : je suis à toute heure preparé environ ce que je le puis estre : et ne m'advertira de rien de nouveau la survenance de la mort. Il faut estre tousjours botté et prest à partir, en tant que en nous est, et sur tout se garder qu'on n'aye lors affaire qu'à soy.
Quid brevi fortes jaculamur ævo
Multa ?
Car nous y aurons assez de besongne, sans autre surcrois. L'un se pleint plus que de la mort, dequoy elle luy rompt le train d'une belle victoire : l'autre qu'il luy faut desloger avant qu'avoir marié sa fille, ou contrerolé l'institution de ses enfans : l'un pleint la compagnie de sa femme, l'autre de son fils, comme commoditez principales de son estre.
Je suis pour cette heure en tel estat, Dieu mercy, que je puis desloger quand il luy plaira, sans regret de chose quelconque : Je me desnoue par tout : mes adieux sont tantost prins de chascun, sauf de moy. Jamais homme ne se prepara à quiter le monde plus purement et pleinement, et ne s'en desprint plus universellement que je m'attens de faire. Les plus mortes morts sont les plus saines.
Miser ô miser (aiunt) omnia ademit.
Una dies infesta mihi tot præmia vitæ :
et le bastisseur,
Manent (dict-il) opera interrupta, minæque
Murorum ingentes.
Il ne faut rien designer de si longue haleine, ou au moins avec telle intention de se passionner pour en voir la fin. Nous sommes nés pour agir :
Cum moriar, medium solvar et inter opus.
Je veux qu'on agisse, et qu'on allonge les offices de la vie, tant qu'on peut : et que la mort me treuve plantant mes choux, mais nonchallant d'elle, et encore plus de mon jardin imparfait. J'en vis mourir un, qui estant à l'extremité se pleignoit incessamment, dequoy sa destinee coupoit le fil de l'histoire qu'il avoit en main, sur le quinziesme ou seixiesme de nos Roys.
Illud in his rebus non addunt, nec tibi earum
Jam desiderium rerum super insidet una.
Il faut se descharger de ces humeurs vulgaires et nuisibles. Tout ainsi qu'on a planté nos cimetieres joignant les Eglises, et aux lieux les plus frequentez de la ville, pour accoustumer, disoit Lycurgus, le bas populaire, les femmes et les enfans à ne s'effaroucher point de voir un homme mort : et affin que ce continuel spectacle d'ossemens, de tombeaux, et de convois nous advertisse de nostre condition.
Quin etiam exhilarare viris convivia cæde
Mos olim, et miscere epulis spectacula dira
Certantum ferro, sæpe et super ipsa cadentum
Pocula, respersis non parco sanguine mensis.
Et comme les Egyptiens apres leurs festins, faisoient presenter aux assistans une grande image de la mort, par un qui leur crioit : Boy, et t'esjouy, car mort tu seras tel : Aussi ay-je pris en coustume, d'avoir non seulement en l'imagination, mais continuellement la mort en la bouche. Et n'est rien dequoy je m'informe si volontiers, que de la mort des hommes : quelle parole, quel visage, quelle contenance ils y ont eu : ny endroit des histoires, que je remarque si attentifvement.
Il y paroist, à la farcissure de mes exemples : et que j'ay en particuliere affection cette matiere. Si j'estoy faiseur de livres, je feroy un registre commenté des morts diverses, qui apprendroit les hommes à mourir, leur apprendroit à vivre.
Dicearchus en feit un de pareil titre, mais d'autre et moins utile fin.
On me dira, que l'effect surmonte de si loing la pensee, qu'il n'y a si belle escrime, qui ne se perde, quand on en vient là : laissez les dire ; le premediter donne sans doubte grand avantage : Et puis n'est-ce rien, d'aller au moins jusques là sans alteration et sans fiévre ? Il y a plus : nature mesme nous preste la main, et nous donne courage. Si c'est une mort courte et violente, nous n'avons pas loisir de la craindre : si elle est autre, je m'apperçois qu'à mesure que je m'engage dans la maladie, j'entre naturellement en quelque desdain de la vie. Je trouve que j'ay bien plus affaire à digerer cette resolution de mourir, quand je suis en santé, que je n'ay quand je suis en fiévre : d'autant que je ne tiens plus si fort aux commoditez de la vie, à raison que je commance à en perdre l'usage et le plaisir, j'en voy la mort d'une veuë beaucoup moins effrayee. Cela me faict esperer, que plus je m'eslongneray de celle-là, et approcheray de cette-cy, plus aysément j'entreray en composition de leur eschange. Tout ainsi que j'ay essayé en plusieurs autres occurrences, ce que dit Cesar, que les choses nous paroissent souvent plus grandes de loing que de pres : j'ay trouvé que sain j'avois eu les maladies beaucoup plus en horreur, que lors que je les ay senties. L'alegresse où je suis, le plaisir et la force, me font paroistre l'autre estat si disproportionné à celuy-là, que par imagination je grossis ces incommoditez de la moitié, et les conçoy plus poisantes, que je ne les trouve, quand je les ay sur les espaules. J'espere qu'il m'en adviendra ainsi de la mort.
Voyons à ces mutations et declinaisons ordinaires que nous souffrons, comme nature nous desrobe la veuë de nostre perte et empirement. Que reste-il à un vieillard de la vigueur de sa jeunesse, et de sa vie passee ?
Heu senibus vitæ portio quanta manet !
Cesar à un soldat de sa garde recreu et cassé, qui vint en la ruë, luy demander congé de se faire mourir : regardant son maintien decrepite, respondit plaisamment : Tu penses donc estre en vie. Qui y tomberoit tout à un coup, je ne crois pas que nous fussions capables de porter un tel changement : mais conduicts par sa main, d'une douce pente et comme insensible, peu à peu, de degré en degré, elle nous roule dans ce miserable estat, et nous y apprivoise. Si que nous ne sentons aucune secousse, quand la jeunesse meurt en nous : qui est en essence et en verité, une mort plus dure, que n'est la mort entiere d'une vie languissante ; et que n'est la mort de la vieillesse : D'autant que le sault n'est pas si lourd du mal estre au non estre, comme il est d'un estre doux et fleurissant, à un estre penible et douloureux.
Le corps courbe et plié a moins de force à soustenir un fais, aussi a nostre ame. Il la faut dresser et eslever contre l'effort de cet adversaire. Car comme il est impossible, qu'elle se mette en repos pendant qu'elle le craint : si elle s'en asseure aussi, elle se peut vanter (qui est chose comme surpassant l'humaine condition) qu'il est impossible que l'inquietude, le tourment, et la peur, non le moindre desplaisir loge en elle.
Non vultus instantis tyranni
Mente quatit solida, neque Auster
Dux inquieti turbidus Adriæ,
Nec fulminantis magna Jovis manus.
Elle est renduë maistresse de ses passions et concupiscences ; maistresse de l'indulgence, de la honte, de la pauvreté, et de toutes autres injures de fortune. Gagnons cet advantage qui pourra : C'est icy la vraye et souveraine liberté, qui nous donne dequoy faire la figue à la force, et à l'injustice, et nous moquer des prisons et des fers.
in manicis, et
Compedibus, sævo te sub custode tenebo.
Ipse Deus simul atque volam, me solvet : opinor,
Hoc sentit, moriar. Mors ultima linea rerum est.
Nostre religion n'a point eu de plus asseuré fondement humain, que le mespris de la vie. Non seulement le discours de la raison nous y appelle ; car pourquoy craindrions nous de perdre une chose, laquelle perduë ne peut estre regrettée ? mais aussi puis que nous sommes menaçez de tant de façons de mort, n'y a il pas plus de mal à les craindre toutes, qu'à en soustenir une ?
Que chaut-il, quand ce soit, puis qu'elle est inevitable ? A celuy qui disoit à Socrates ; Les trente tyrans t'ont condamné à la mort : Et nature, eux, respondit-il.
Quelle sottise, de nous peiner, sur le point du passage à l'exemption de toute peine !
Comme nostre naissance nous apporta la naissance de toutes choses : aussi fera la mort de toutes choses, nostre mort. Parquoy c'est pareille folie de pleurer de ce que d'icy à cent ans nous ne vivrons pas, que de pleurer de ce que nous ne vivions pas, il y a cent ans. La mort est origine d'une autre vie : ainsi pleurasmes nous, et ainsi nous cousta-il d'entrer en cette-cy : ainsi nous despouillasmes nous de nostre ancien voile, en y entrant.
Rien ne peut estre grief, qui n'est qu'une fois. Est-ce raison de craindre si long temps, chose de si brief temps ? Le long temps vivre, et le peu de temps vivre est rendu tout un par la mort. Car le long et le court n'est point aux choses qui ne sont plus. Aristote dit, qu'il y a des petites bestes sur la riviere Hypanis, qui ne vivent qu'un jour. Celle qui meurt à huict heures du matin, elle meurt en jeunesse : celle qui meurt à cinq heures du soir, meurt en sa decrepitude. Qui de nous ne se mocque de voir mettre en consideration d'heur ou de malheur, ce moment de durée ? Le plus et le moins en la nostre, si nous la comparons à l'eternité, ou encores à la duree des montaignes, des rivieres, des estoilles, des arbres, et mesmes d'aucuns animaux, n'est pas moins ridicule.
Mais nature nous y force. Sortez, dit-elle, de ce monde, comme vous y estes entrez. Le mesme passage que vous fistes de la mort à la vie, sans passion et sans frayeur, refaites le de la vie à la mort. Vostre mort est une des pieces de l'ordre de l'univers, c'est une piece de la vie du monde.
inter se mortales mutua vivunt,
Et quasi cursores vitaï lampada tradunt.
Changeray-je pas pour vous cette belle contexture des choses ? C'est la condition de vostre creation ; c'est une partie de vous que la mort : vous vous fuyez vous mesmes. Cettuy vostre estre, que vous jouyssez, est également party à la mort et à la vie. Le premier jour de vostre naissance vous achemine à mourir comme à vivre.
Prima, quæ vitam dedit, hora, carpsit.
Nascentes morimur, finisque ab origine pendet.
Tout ce que vous vivés, vous le desrobés à la vie : c'est à ses despens. Le continuel ouvrage de vostre vie, c'est bastir la mort. Vous estes en la mort, pendant que vous estes en vie : car vous estes apres la mort, quand vous n'estes plus en vie.
Ou, si vous l'aymez mieux ainsi, vous estes mort apres la vie : mais pendant la vie, vous estes mourant : et la mort touche bien plus rudement le mourant que le mort, et plus vivement et essentiellement.
Si vous avez faict vostre proufit de la vie, vous en estes repeu, allez vous en satisfaict.
Cur non ut plenus vitæ conviva recedis ?
Si vous n'en n'avez sçeu user ; si elle vous estoit inutile, que vous chaut-il de l'avoir perduë ? à quoy faire la voulez vous encores ?
Cur amplius addere quæris
Rursum quod pereat male, et ingratum occidat omne ?
La vie n'est de soy ny bien ny mal : c'est la place du bien et du mal, selon que vous la leur faictes.
Et si vous avez vescu un jour, vous avez tout veu : un jour est égal à tous jours. Il n'y a point d'autre lumiere, ny d'autre nuict. Ce Soleil, cette Lune, ces Estoilles, cette disposition, c'est celle mesme que vos ayeuls ont jouye, et qui entretiendra vos arriere-nepveux.
Non alium videre patres : aliumve nepotes
Aspicient.
Et au pis aller, la distribution et varieté de tous les actes de ma comedie, se parfournit en un an. Si vous avez pris garde au branle de mes quatre saisons, elles embrassent l'enfance, l'adolescence, la virilité, et la vieillesse du monde. Il a joüé son jeu : il n'y sçait autre finesse, que de recommencer ; ce sera tousjours cela mesme.
versamur ibidem, arque insumus usque,
Atque in se sua per vestigia volvitur annus.
Je ne suis pas deliberée de vous forger autres nouveaux passetemps.
Nam tibi præterea quod machiner, inveniamque
Quod placeat, nihil est, eadem sunt omnia semper.
Faictes place aux autres, comme d'autres vous l'ont faite.
L'equalité est la premiere piece de l'equité. Qui se peut plaindre d'estre comprins où tous sont comprins ? Aussi avez vous beau vivre, vous n'en rabattrez rien du temps que vous avez à estre mort : c'est pour neant ; aussi long temps serez vous en cet estat là, que vous craingnez, comme si vous estiez mort en nourrisse :
licet, quod vis, vivendo vincere secla,
Mors æterna tamen, nihilominus illa manebit.
Et si vous mettray en tel point, auquel vous n'aurez aucun mescontentement.
In vera nescis nullum fore morte alium te,
Qui possit vivus tibi te lugere peremptum,
Stansque jacentem.
Ny ne desirerez la vie que vous plaignez tant.
Nec sibi enim quisquam tum se vitamque requirit,
Nec desiderium nostri nos afficit ullum.
La mort est moins à craindre que rien, s'il y avoit quelque chose de moins, que rien.
multo mortem minus ad nos esse putandum,
Si minus esse potest quam quod nihil esse videmus.
Elle ne vous concerne ny mort ny vif. Vif, par ce que vous estes : Mort, par ce que vous n'estes plus.
D'avantage nul ne meurt avant son heure. Ce que vous laissez de temps, n'estoit non plus vostre, que celuy qui s'est passé avant vostre naissance : et ne vous touche non plus.
Respice enim quam nil ad nos ante acta vetustas
Temporis æterni fuerit.
Où que vostre vie finisse, elle y est toute. L'utilité du vivre n'est pas en l'espace : elle est en l'usage. Tel a vescu long temps, qui a peu vescu. Attendez vous y pendant que vous y estes. Il gist en vostre volonté, non au nombre des ans, que vous ayez assez vescu. Pensiez vous jamais n'arriver l'à, où vous alliez sans cesse ? encore n'y a il chemin qui n'aye son issuë.
Et si la compagnie vous peut soulager, le monde ne va-il pas mesme train que vous allez ?
omnia te vita perfuncta sequentur.
Tout ne branle-il pas vostre branle ? y a-il chose qui ne vieillisse quant et vous ? Mille hommes, mille animaux et mille autres creatures meurent en ce mesme instant que vous mourez.
Nam nox nulla diem, neque noctem aurora sequuta est,
Quæ non audierit mistos vagitibus ægris
Ploratus mortis comites et funeris atri.
A quoy faire y reculez vous, si vous ne pouvez tirer arriere ? Vous en avez assez veu qui se sont bien trouvés de mourir, eschevant par là des grandes miseres. Mais quelqu'un qui s'en soit mal trouvé, en avez vous veu ? Si est-ce grande simplesse, de condamner chose que vous n'avez esprouvée ny par vous ny par autre. Pourquoy te pleins-tu de moy et de la destinée ? Te faisons nous tort ? Est-ce à toy de nous gouverner, ou à nous toy ? Encore que ton aage ne soit pas achevé, ta vie l'est. Un petit homme est homme entier comme un grand.
Ny les hommes ny leurs vies ne se mesurent à l'aune. Chiron refusa l'immortalité, informé des conditions d'icelle, par le Dieu mesme du temps, et de la durée, Saturne son pere : Imaginez de vray, combien seroit une vie perdurable, moins supportable à l'homme, et plus penible, que n'est la vie que je luy ay donnée. Si vous n'aviez la mort, vous me maudiriez sans cesse de vous en avoir privé. J'y ay à escient meslé quelque peu d'amertume, pour vous empescher ; voyant la commodité de son usage, de l'embrasser trop avidement et indiscretement : Pour vous loger en ceste moderation, ny de fuir la vie, ny de refuir à la mort, que je demande de vous ; j'ay temperé l'une et l'autre entre la douceur et l'aigreur.
J'apprins à Thales le premier de voz sages, que le vivre et le mourir estoit indifferent : par où, à celuy qui luy demanda, pourquoy donc il ne mouroit : il respondit tressagement, Pour ce qu'il est indifferent.
L'eau, la terre, l'air et le feu, et autres membres de ce mien bastiment, ne sont non plus instruments de ta vie, qu'instruments de ta mort. Pourquoy crains-tu ton dernier jour ? Il ne confere non plus à ta mort que chascun des autres. Le dernier pas ne faict pas la lassitude : il la declaire. Tous les jours vont à la mort : le dernier y arrive.
Voila les bons advertissemens de nostre mere Nature. Or j'ay pensé souvent d'où venoit celà, qu'aux guerres le visage de la mort, soit que nous la voyons en nous ou en autruy, nous semble sans comparaison moins effroyable qu'en nos maisons : autrement ce seroit une armée de medecins et de pleurars : et elle estant tousjours une, qu'il y ait toutes-fois beaucoup plus d'asseurance parmy les gens de village et de basse condition qu'és autres. Je croy à la verité que ce sont ces mines et appareils effroyables, dequoy nous l'entournons, qui nous font plus de peur qu'elle : une toute nouvelle forme de vivre : les cris des meres, des femmes, et des enfans : la visitation de personnes estonnees, et transies : l'assistance d'un nombre de valets pasles et éplorés : une chambre sans jour : des cierges allumez : nostre chevet assiegé de medecins et de prescheurs : somme tout horreur et tout effroy autour de nous. Nous voyla des-ja ensevelis et enterrez. Les enfans ont peur de leurs amis mesmes quand ils les voyent masquez ; aussi avons nous. Il faut oster le masque aussi bien des choses, que des personnes. Osté qu'il sera, nous ne trouverons au dessoubs, que cette mesme mort, qu'un valet ou simple chambriere passerent dernierement sans peur. Heureuse la mort qui oste le loisir aux apprests de tel equipage !
Pascal, Blaise, 737
Ainsi je tends les bras à mon Libérateur qui, ayant été prédit durant 4000 ans, est venu souffrir et mourir pour moi sur la terre dans les temps et dans toutes les circonstances qui ont été prédites; et, par sa grâce, j'attends la mort en paix, dans l'espérance de lui être éternellement uni; et je vis cependant avec joie, soit dans les biens qu'il lui plaît de me donner, soit dans les maux qu'il m'envoie pour mon bien, et qu'il m'a appris à souffrir par son exemple.
Psaume 82, 6-7
J’ai dit : Vous êtes des dieux,
Des fils du Très Haut, vous tous.
Pourtant, vous mourrez comme des hommes ;
Comme des princes, tous, vous tomberez.
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