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David Lodge, L’Auteur ! L’auteur !

Publié le 16 Juillet 2012, 19:19pm

Catégories : #ROMANS

Quand le succès fuit James, peu lu par le vulgus pecus et dénigré par ses old fellows plumitifs...

 

"L’Auteur ! L’auteur !", c’est le cri idéal que scande le public du théâtre où le romancier Henry James, héros infortuné de ces pages, a décidé d’aller chercher la gloire qu’il mérite. Las, dans la réalité, le public ne l’appelle que pour le vilipender et l’auteur américain exilé à Londres connaît, avec sa pièce Guy Domville, un échec cuisant. Une situation de crise rendue plus tendue encore par le succès concomittant de l’ami de toujours, George du Maurier, avec son Trilby, et de la belle Constance Fennimore Wilson, jadis courtisée. De quelque côté qu’il se tourne, le succès fuit James, peu lu par le vulgus pecus et dénigré par ses old fellows plumitifs.

 

C’est à ce "Balzac anglo-américain" (1843-1916) que David Lodge, décidément de plus en plus sérieux après Pensées secrètes, consacre un roman qui est aussi biographie déguisée, librement apapté de la vie du Maître, lequel était déjà apparu à plusieurs reprises dans les récits de l’auteur anglais réputé pour son sens de la dérision et son art de la satire des milieux intellectuels. Il est surprenant alors que, sous la plume féroce de Lodge, James apparaisse tout à la fois, outre un homosexuel plus ou moins refoulé, comme un dandy puritain et mondain, superficiel, chez qui la pédanterie maladive le dispute à l’égoïsme forcené, le tout mâtiné d’une inextinguible soif de reconnaissance sociale sinon de renommée mondiale. Qui aime bien châtie bien, dont acte.
Non seulement Lodge moque la posture de l’homme de lettres élégant - qu’il est lui-même, épigone entre tous du style jamesien ici dépassé - mais il montre le destin d’un romancier, esseulé et méconnu, devenu un "classique"...après sa mort. Le livre commence et se termine, donc, sur le lit où H. James agonise, dans sa maison de Rye, Lamb’s House, début 1916, entouré par ses proches et ses domestiques. Les souvenirs lui reviennent en mémoire, anamnèse qui permet de présenter les personnages clefs l’ayant entouré, au nombre desquels des grands noms de la littérature anglaise : les romancières Constance Fenimore Woolson et Edith Wharton, Oscar Wilde, la famille du Maurier...

 

Une fois n’est pas coutume, c’est avec talent et un roboratif amour des mots que Lodge s’attaque à la tâche ; nonobstant, nul doute que L’Auteur ! L’auteur ! surprenne les adeptes de Thérapie ou des quatre vérités, qui ne trouveront pas ici leur content d’observations narquoises et de traits d’esprit acérés. La faute en est moins à la forme de Lodge lui-même qu’à l’époque qu’il entend mettre en scène céans et qui le condamne en quelque sorte à demeurer en retrait de sa verve et de sa gourme habituelles, comme prisonnier d’un masque de cire historiciste parce que trop documenté, quand bien même Lodge s’emploierait à tourner ses canons vers le microcosme littéraire fixiste de la Belle Époque.

 

Ainsi, si tout ce qui est dit de la vie de James (a fortiori la période des années 1890) est exact - à quelques fantaisies près -, Lodge expose surtout au travers de la crise de la cinquantaine d’un écrivain à la carrière bien terne ses propres soucis quant au monde angoissant où l’homme se trouve jeté dès toujours, ce qui permet au passage de régler son sort, en quelques coups de cuillère à pot ironique, à la puritaine société anglo-américaine de l’époque victorienne.
De fait, pendant que triomphent Wilde, Kipling, Thomas Hardy ou encore George Du Maurier, Henry James est la risée du public, qui va jusqu’à le conspuer sur scène (c’est le cas en 1895 au théâtre londonien de Saint James - ça ne s’invente pas - lors de la première de Guy Domville). Par-delà l’homme humilié - qui trouvera là la condition phenixienne d’une renaissance littéraire et d’un art flaubertien sans pareil de ciseler un phrasé voluptueux - ,Lodge juge dans ce roman de non-fiction le talent visionnaire et la part de contingence et de stratégie qui lie l’écrivain et son œuvre, le succès et l’échec.

 

Sans doute James n’était-il pas assez entreprenant pour "vendre’" ses idées dans la jungle éditoriale, comme le font sans vergogne les jeunes romanciers d’aujourd’hui, qui ne reculent devant rien, pas même poser au dandy décati, pour parvenir à leurs (tristes) fins. Quoi d’étonnant à cette relative "défaite" quand on lit chez celui qui sacrifia la félicité conjuguale à la seule Littérature ces mots valant comme testament artistique :
Nous oeuvrons dans le noir. Nos doutes sont notre passion et notre passion réside dans notre tâche. Le reste est la folie de l’art.

   
 

frederic grolleau

 

David Lodge, L’Auteur ! L’auteur ! (trad. de l’anglais par Suzanne V. Mayoux), Rivages, 2005, 415 p. - 21,00 €.

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