Rendors-toi, chevalier, et repose en paix, Daniel Picouly t’a rendu à notre (bon) souvenir !
Oui ou non l’enfant léopard est-il le fils du chevalier Saint-George (compositeur renommé, escrimeur mythique, violoniste de haute volée) et de Marie-Antoinette ? Restée en suspens dans le premier volet de cette épopée (L’enfant léopard, Grasset, 2001, qui valut le Renaudot au romancier), la question reçoit ici la réponse que les lecteurs attendaient. Pour l’illustrer et la mettre en scène avec le talent qui est le sien, Daniel Picouly nous promène dans le Paris du Directoire. Nous sommes en 1799, le chevalier Saint-George a 54 ans, est quasi ruiné par son Académie pour les enfants et, atteint d’un mal incurable, va mourir.
Juste avant cette fâcheuse sortie, il découvre qu’il est amoureux d’une jeune femme, aussi sensuelle que fine lame, dont il ne connaît pas le visage. Ultime révélation au terme d’une course effrénée après que Beaumarchais a remis à Saint-George un écritoire que veut lui dérober un bretteur inconnu et muet... Si L’enfant léopard jouait avec facétie et humour des codes du roman noir à la Chester Himes, La treizième mort du chevalier s’affirme comme un roman à caractère historique qui entend rendre hommage au théâtre et à l’art de dialogue. Précieuses, subtiles, raffinées et fort philosophiques par endroit - ce qui n’empêche en rien l’humour anachronique dont l’auteur est adepte de se manifester -, les réparties fusent tant dans ces pages qu’elles constituent une manière de feu d’artifice rhétorique éblouissant.
Plus encore que dans L’enfant Léopard, Picouly joue des cordes du suspense et de l’ironie, nous mettant aux prises avec un chevalier mulâtre qui meurt plusieurs fois... avant que son trépas ne soit bel et bien définitif. Entre temps, entre un Paris et un Londres de la fin du XVIIIe siècle, défilent sur la scène de son théâtre personnel, et devant le décor des Académies de musique, le mythique chevalier d’Eon, un Beaumarchais en fin de course, un incroyable submersible, le Nautilus du savant Fulton qui n’est pas sans faire penser certains personnages de Verne ou Eco... Le "Mozart noir", tel qu’on le qualifiait à l’époque, l’un des personnages les plus importants de son époque, s’éteint certes en même temps que les dernières Lumières, mais point sans panache. Encore la pire des disparitions n’est-elle pas uniquement physique mais psychique, angoisse de l’homme versé dans les arts ne laissant plus trace de son passage pour la postérité.
Un Saint-George auquel ce grand roman rend le plus bel hommage, grâce à une trame tout en rebondissements, défis et retournements de situations mêlés. Rendors-toi, chevalier, et repose en paix, Daniel Picouly t’a rendu à notre (bon) souvenir !
Daniel Picouly, La Treizième mort du Chevalier, Grasset, 2004, 344 p. - 20,00 €. | ||
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