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Daniel Picouly, L’enfant léopard

Publié le 16 Juillet 2012, 19:09pm

Catégories : #ROMANS

Daniel Picouly prouve ici avec bonheur que, si l’Histoire ne se réécrit pas, elle peut bien par la grâce du roman s’inventer.


Impopulaire parce que frivole et imprudente ; responsable de l’Affaire du collier ; accusée de servir l’influence autrichienne et opposée à la Révolution : tel est le portrait de Marie-Antoinette, reine de France exécutée le 16 octobre 1793, que retient l’histoire. Une triste vérité en valant une autre, Daniel Picouly se plaît, à partir de nombreuses observations historiques, à trousser dans ces pages une autre histoire, un autre visage pour "l’Autrichienne". L’Histoire ne se réécrit pas, certes, mais elle peut bien par la grâce du roman s’inventer. Venir étoffer en retour le grain du réel en y insérant quelque chose de plus enchanteur que la seule facticité : la fidélité, l’amour et la grâce. À ce jeu, la guillotine même devient personnage à part entière, dotée de regrets et de joies. De cette parole qu’un enfant noir, la Marmotte, semble le seul à entendre au grand dam du citoyen Piqueur, un illettré cherchant à comprendre le sens de cet alphabet qu’il ne maîtrise pas. Flanqués d’un chien inestimable pour beaucoup, ces deux-là assisteront, d’un bout à l’autre des chapitres, au désarroi de la Reine.

Bercée par des emprunts à l’oeuvre du romancier noir Chester Himes, l’intrigue se noue autour d’un étrange "enfant léopard", ce métis dont la maladie de peau devient en l’espace de douze heures l’objet d’une quête aussi frénétique que redoutable. La convoitise qu’il déchaîne semble se consteller en autant de taches qu’en comporte son corps. D’où vient-il ? Pourquoi tout Paris est-il à sa recherche ? Le marquis d’Arlençon a bien mandaté deux de ses anciens soldats, Edmond Cercueil et Jonathan Fossoyeur, pour retrouver rapidement l’enfant. Mais c’est sans compter sur un groupe de conspirateurs, le Docteur Seiffert en tête, animé par une intention identique. Et sur l’hostilité d’autres intervenants désireux de modifier l’histoire, petite ou grande, à leur gré. Ainsi entrent dans la gigue, révolutionnaire ou terroriste, un Robespierre rivé aux besoins de son chien, la Patronne de l’auberge La Vainqueuse et sa hache légendaire, le truand Delorme ayant fait main basse sur l’infernal quartier de Haarlem, la princesse de Lamballe, l’ancien valet de la duchesse du Barry, l’affûté Commandeur...

Les "caractères" se suivent et, bien sûr, ne se ressemblent pas. Une véritable toile d’araignée est patiemment tissée par le romancier, qui se régale à opérer, au fur et à mesure du compte à rebours fatidique, le rapprochement entre les personnages. Vaste course poursuite dans un Paris inquiétant, investi par les rivalités de l’ancienne cour royale, que Daniel Picouly parvient à nous rendre proche, quasi à portée d’oeil et de narine. L’enquête et la traque menées tambour battant, de nombreuses saillies humoristiques rendent encore l’ensemble plus savoureux. Sensible aux perturbations charriées par la vague révolutionnaire (les modifications de calendrier, d’unités de mesure et de temps...), l’auteur s’amuse également à distiller des anachronismes qui ne peuvent que dérider les grincheux. Fort de ces trouvailles irrésistibles, L’enfant léopard ravit et enchante. Tragique et comique à la fois, le fil qui relie Piqueur chinant les lettres à tout va et Marie-Antoinette récoltant tous les maux est celui d’une liberté tellement ivre d’elle-même qu’elle s’asservit à ses propres fantasmes. Celle que ravirent les Révolutionnaires et à laquelle ils ne surent conférer que le sombre éclat de la Terreur et de la suspicion généralisée.

L’auteur exprime ainsi avec talent cette période troublée qui suivit le régicide en dessinant une figure émouvante d’une Marie-Antoinette trinitaire parce que Reine, femme et mère. Les mots claquent comme les fouets des attelages, et ricochent, par-delà la moiteur des geôles, dans les venelles sur gargotes et flaques croupies, là où l’Histoire s’oublie. Avec l’écrivain, on comprend que jusqu’au bout, "ce n’est pas du fiacre qui roule, c’est de la mémoire qui passe". Courage, Patriotes, excellent roman ne saurait mentir !

   
 

frederic grolleau

 

Daniel Picouly, L’enfant léopard, Le Livre de poche, 2001, 347 p. - 5,49 €.
Première édition : Grasset, 1999, 390 p. - 20,60 €.

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