Brown ravive des archétypes de l’imagerie populaire : les templiers, le Graal...
Il est toujours intéressant de découvrir un livre estampillé succès mondial (plus de 10 millions d’exemplaires vendus à ce jour dont 500 000 rien qu’en France depuis sa sortie en avril 2004) longtemps après la vague qui l’a découvert... et submergé. Le Da Vinci Code ne fait pas défaut à la règle et sa sortie en poche chez Pocket à la veille de l’été permet à la fois de faire le point et de répondre à la question cruciale : faut-il ou non l’emporter sur la plage ?
L’intrique d’abord : de passage à Paris, Robert Langdon, professeur et spécialiste du symbolisme, est appelé au Louvre en pleine nuit. Le conservateur en chef du plus grand musée du monde, Jacques Saunière, vient d’être assassiné dans la Grande Galerie. À côté de son cadavre, la police a trouvé un message codé que Langdon et Sophie Neveu, une cryptographe de la police qui est aussi la petite-fille de Saunière, essaient de résoudre. Après maints rebondissements et jeux de piste, nos deux héros découvrent que Jacques Saunière était membre du Prieuré de Sion, société secrète dont Vinci fut un des grands maîtres (mais aussi Botticelli, Victor Hugo, Jean Cocteau) et qui protégerait (encore de nos jours) un secret millénaire, concernant le Saint Graal, l’ordre des Templiers et la vie de Jésus (on ne pourra pas dire que la coupe n’est pas pleine !)
L’enquête les conduit alors, traqués qu’ils sont par l’Opus Dei et la police, à travers la France hermétique, depuis l’église Saint-Sulpice et le Royaume-Uni, à la recherche d’une vérité cachée concernant le christianisme. Et la clef de l’intrigue reposera à chaque fois sur leur capacité à résoudre un certain nombre d’énigmes, d’anagrammes et de codes secrets en tout genre dont les étapes constituent une véritable Initiation...
Sur le papier l’intention paraît prometteuse pour qui aime le thriller à caractère énigmo-historique, et de ce point de vue on ne peut que reconnaître que l’ouvrage de Dan Brown remplit son office. Sur toile de fond du Louvre revisité sous l’angle du polar cryptique, le romancier propose un un rythme infernal (alternance de courts chapitres d’une petite dizaine de pages en moyenne) destiné à épouser la trame machiavélique de son propos. Même si certaines invraisemblances (un train pour Caen au départ de la gare Saint-Lazare, le Louvre n’est pas un palais de la Renaissance) se glissent de-ci de-là, et si Brown en fait parfois trop dans sa volonté de voir du Code ésotérique partout (que penser de Walt Disney dévoilant la symbolique du Graal dans La Petite Sirène ?), il n’en reste pas moins que ce polar érudit tient la route et donne envie d’aller au bout de la course contre la montre engagée par Robert Langdon et Sophie Neveu poursuivis par une théorie caricaturale de méchants : tueurs (dont un moine albinos), police, banquiers bizarres et sociétés secrètes.
Le tour de force de Dan Brown consisterait alors à avoir su construire une trame romanesque sur des informations qui demeuraient jusqu’à présent l’apanage d’initiés ou de spécialistes, puisque mettant en lumière des faits cachés au grand public et ravivant des archétypes de l’imagerie populaire : les Templiers, le Graal... Ce que confirmerait la floppée éditoriale d’ouvrages analytiques ou explicatifs qui se sont engouffrés dans la brèche ouverte par le Da Vinci Code pour proposer leur lot de commentaires quant aux énigmes charriées par le roman et progressivement revélées par un stylo de lumière noire, un GPS, le code Fibonacci, les anagrammes des noms de tableaux, le Nombre d’or ou encore un cryptex à décoder. Autant d’énigmes que le lecteur cherche lui aussi à déchiffrer, ce qui confère une dimension "pédagogique" au roman.
Cela étant, Dan Brown n’a pas inventé le procédé - le Songe de Poliphile à la Renaissance convoquait des œuvres picturales (dessins, estampes, tableaux...) pour tracer une piste hermétique à déchiffer (voir La Règle de Quatre), Jules Verne s’appuyait sur ses gravures dans la collection Hetzel pour montrer par anamorphoses la Ménorah et le Temple, Maurice Leblanc, membre de nombreuses sociétés secrètes, a révélé dans ses Arsène Lupin où pulluent cryptogrammes et énigmes l’histoire secrète de la France hermétique - mais il a eu la bonne idée de l’illustrer dans un contexte particulièrement sensible (la rencontre entre l’art de Leonardo da Vinci, le mysère de la Joconde, la sulfureuse relation entre Jésus et Marie-Madeine et le mythe constructeur archétypal du "Féminin sacré") qui a fait (une bonne partie de) son succès.
Le reste reposant sur l’idée (assez lucrative d’un point de vue commercialo-éditorial) que les masses sont manipulées depuis la nuit des temps par des sectes obscures qui détiennent les grandes vérités sur le passé de l’humanité, dans l’orbe d’un complot mondial où chacun de nous serait impliqué.
Le problème majeur du roman de Brown réside en fait surtout dans ce qui est dit du Prieuré de Sion fondé en 1099 à Jérusalem, comme le précise l’auteur dans la première page, intitulée "Les faits". Or, au lieu de renvoyer à des événements attestés et documentés, on sait depuis une vingtaine d’années que l’existence de ce Prieuré est une mystification montée par un personnage douteux. Le texte décrivant les membres du Prieuré existe bien, mais c’est un faux, créé par Pierre Plantard qui a inventé le Prieuré de Sion en 1956. Ce document servait à donner de la crédibilité à sa pseudo-société secrète ancestrale. Le seul fait concernant le Prieuré réside donc dans sa non-existence plutôt que son existence...
En sus de "faits avérés" arrangés, il ne manquait plus qu’une couverture idoine pour se mesurer à un tel challenge à visée de best-seller, et la photo de la Joconde en couverture, mi-dissimulée mi-ouverte, assortie d’un titre très accrocheur, a fait le reste. Mais cela n’enlève rien, en dépit d’un happy end très hollywoodien, aux qualités romanesques du livre de Brown, tant qu’on ne le prend pas pour autre chose, c’est-à-dire une forme transcendante de vérité historique à nous communiquée par un deus ex fabula.
Comme on ne s’en plaint pas finalement, même si la rédaction du Littéraire n’est pas unanime sur la valeur du texte, il est recommandé, ne serait-ce que pour cogiter à tout cela, d’emmener le Da Vinci Code format Poche sur la plage.
frederic grolleau Dan Brown, Da Vinci Code, Pocket, 2005, 744 p. - 7,00 €. Première édition : J.C. Lattès, 2004
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