Quand la réalité devient l’a-réalité, le lecteur est un peu déçu.
C’est l’inconvénient des auteurs dont les précédents titres nous ont marqués : une fois qu’on a lu Le Monde inverti, Le Prestige, Futur intérieur et Les Extrêmes, tous jugés génialissimes, comment voulez-vous qu’il soit possible de se contenter, sous la plume du grand Christopher Priest, de cette fort modeste Femme sans histoires, aux confins de la SF et du roman psychologique ?
La trame et l’écriture sont des plus simples : l’écrivaine Alice Stockton habite un village du sud de l’Angleterre qui a été contaminé par un accident nucléaire français ; le ministère de l’Intérieur a saisi son dernier livre, et sa voisine, Eleanor, a été retrouvée assassinée... tandis que l’héroïne se débat avec son éditeur et des problèmes de santé dus aux radiations, elle rencontre le fils d’Eleanor, Gordon Sinclair, un homme étrange dont elle devient en quelque sorte la proie au fur et à mesure qu’elle décide d’écrire une biographie d’Elenaor.
Comme toujours chez Priest, cette histoire est d’une fausse simplicité, et l’auteur insiste sur des thèmes qui lui sont chers, la création littéraire et la mémoire, qu’on retrouve dans La Séparation et La Fontaine pétrifiante. Le but du jeu est de nous exposer la vie de la narratrice sertie dans un univers paranoïaque en l’entrecoupant de documents annexes, mêlant rêve et réalité, sur l’objectivité putative desquels il devient de plus en plus délicat de se prononcer. Comme si un monde légèrement parallèle se mettait alors doucement en place, induisant des décalages qui faussent la perception même de ce qu’on nomme réel.
Bref, entre lettres, souvenirs d’enfance et éléments de rêves non avoués (au lecteur habile de faire le tri !), les repères s’effacent, les noms se mélangent et l’on passe sans coup férir de la réalité à l’a-réalité. Le mérite indéniable de Priest est certes ici de soustraire petit à petit, entre vérité et fantasme, les éléments faisant fond sur le réél pour déposséder in fine celui qui le lit de représentations assignables, sorte d’écriture à l’envers qui irait du superfétatoire à l’essentiel afin de mettre en relief l’absence (l’ab-sens dirait Lacan) qui est source de toute création.
Mais la chute est moins maîtrisée que dans La Séparation et le lecteur éprouve une frustration rentrée - bien rélle celle-là - lorsqu’il parvient à la dernière page du roman, qui ne livre aucune révélation fracassante, aucun tour de passe-passe qui pemettrait de sublimer ce jeu de dupe littéraire auquel il a consenti.
Moins réussi que ses autres romans, brouillon d’un future grande œuvre encore en gestation, The Quiet Woman, écrit en 1990, a tout le moins le mérite de nous éclairer sur la difficulté et les doutes de l’écrivain, avec en sus cette belle idée d’un organisme étatique pseudo-européen obscur dont les buts secrets sont d’interdire l’accès des œuvres aux lecteurs en versant des subsides aux auteurs nécessiteux qui acceptent par ce biais d’être délestés de leurs sujets de réflexion. Mais l’on attendait mieux.
frederic grolleau
Christopher Priest, Une femme sans histoires (traduit par Hélène Collon), Gallimard coll."Folio SF", 2007, 385 p. - 7,20 €. | ||
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