BoDoï pas si franchouille que ça !
Après la moto poussive de Joe2bar et le grimoire poussiéreux de Brassens revisité par Davodeau, Bo Doï met la barre assez haut en présentant dans ce n° 69, non pas des séries érotiques (c’eût été par trop téléphoné... ), mais la curieuse tendance des réalisateurs de cinéma à traverser le miroir pour publier leurs bd.
Et Lelouch, Lautner, Beinex et Leconte d’être aussi sec interviewer sur ce choix tout sauf gratuit. A lire en particulier dans cette optique le chassé-croisé entre les deux derniers(respectivement mis sur le gril par Damien Perez et Jean-Pierre Fueri) qui semblent partager la même conception de la bande dessinée, ce qui est plutôt intéressant. Un seul regret alors : face à un Beinex habité par un projet antédiluvien qui assure vouloir porter l’écran à la bd, plutôt que le contraire, par goût du paradoxe, et à un Leconte, balançant pas mal (P. Delerme en prend pour son "petit" grade), qui revendique la bd comme "un art du mouvement" - et non "en mouvement"- on eût apprécié un dialogue entre les deux hommes et des questions un peu plus rentre-dedans...
Aux marges de ce stimulant dossier et d’un entretien tout feu tout flammes avec Gimenez (tonique "Jusqu’où iront les Méta-Barons ? 3 nouvelles séries sur le feu") on retrouve les prépublications de Cuervos n° 2, Cotton Kid n° 6 et d’un nouveau titre, Le livre des destins n°1. Introduite par un entretien franchement moyen mené par Nicolas Pothier, qui nous a habitué à mieux, la série mérite qu’on s’y arrête. Sous la houlette scénaristique de Le Tendre, le dessinateur Franck Biancarelli met en avant son amour du trait non réaliste à l’américaine, ce qui n’apparaît guère dans les pages qui suivent, hormis dans un perspectivisme assez bancal. Mais l’histoire du jeune Roman, perdu dans ses rêveries à 17 ans et à qui un inconnu propose le livre narrant l’histoire de sa propre vie, développe une logique du sous-texte et du méta-texte qui gagnerait à être accentuée - voire à être mise en parallèle avec le roman anti-littéraire de Oliver Rohé, Défaut d’origine paru en septembre 2003 chez Allia... et dont le héros est un mixte entre le narrateur Selber (soi-même en allemand) et son double Roman !
Moins cruche que ce que les premières planches donnent à penser, Le livre des destins se donne comme un modèle gigogne de concaténation, entre réel et imaginaire, qui constitue une bonne surprise. A noter enfin, une information de la part de Jean-Marc Vidal signalant dans "Hergé émois" (p. 88) que France 2 diffusera prochainement le document Tintin et moi, soit l’entretien de 1971 entre Numa Sadoul et Hergé qui fit office de psychanalyse sauvage pour Hergé et dégage de troublantes pistes interprétatives quant à l’univers du père de Tintin. Dommage toutefois que la date de diffusion de cet entretien ne soit pas précisée, évoquée qu’elle est seulement par un vague "tournant de l’année". M’enfin, nous voilà au moins prévenus.
Mis à part le silence douloureux sur la biographie de E.P Jacobs par B. Mouchart et F. Rivière, La damnation d’Edgar P. Jacobs, qui vient de paraître au Seuil (même pas évoquée dans la critique du "dernier" Blake et Mortimer), cette livraison de Bo Doï est de fort bon aloi.
Bo Doï N° 69, décembre 2003 - 5,95 € |
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