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Bienvenue à Gattaca

Publié le 15 Juillet 2012, 13:50pm

Catégories : #Philo & Cinéma

Un enfer moderne aussi insidieux que bio-tech.

 

Dans un futur proche, à Gattaca, où la ségrégation génétique est omniprésente, les êtres parfaits sont génétiquement sélectionnés dès leur naissance. Voués à une vie de succès, ils sont les seuls à pouvoir participer aux programmes spatiaux de l’école de Gattaca où l’on forme les officiers de la flotte aérienne de la Gattaca Corporation. Mais Vincent Freeman, jeune homme génétiquement imparfait qui n’a qu’un désir, aller dans l’espace, atteindre les étoiles, parvient à intégrer en falsifiant les tests continuels un institut de recherches spatiales. Né par amour, d’une fécondation in utero et non in vitro, dans un laboratoire, Vincent, l’un de ces « exclus » a tout au plus réussi à intégrer le centre spatial de ses rêves d’adolescent avec un poste de balayeur. Aidé de Jerome Eugene Morrow, un valide devenu paraplégique dont il endosse l’identité « parfaite », Vincent s’ingénie à tromper tous les systèmes de contrôle de Gattaca. Une semaine avant son départ pour Titan, le directeur de l’Agence Spatiale est assassiné : tous les membres du programme deviennent dès lors des suspects. L’enquête policière se resserre sur les traces de Vincent...

La science et le destin
G
attaca interroge chacun sur les conséquences éthiques de ses choix dès lors qu’il est possible de sélectionner le sexe de son enfant, sa couleur de peau, ses capacités intellectuelles, en un mot son futur. Dans une société où l’artificiel est roi, où les sentiments n’ont pas plus de valeur que de la mauvaise urine, la part de la nature apparaît de plus en plus réduite. Où quand normalité équivaut à déficience génétique. La procréation au sens propre à disparu ici, puisque ce sont les généticiens et leurs batteries d’ordinateurs, de programmes sophistiqués qui gèrent la croissance du fœtus. Tout le propos d’Andrew Niccol vise pourtant à ménager une zone d’espoir pour tous les Non-valides de demain. Au cœur du film, il convient d’y insister, se trouve la relation duale entre les deux frères Freeman (si bien nommés) : l’un, Vincent (Ethan Hawke), myope et gaucher, est né naturellement, exposé au hasard, tandis que l’autre, Anton, est le résultat de manipulations génétiques destinées à le « protéger » de la maladie et à lui réserver plus tard une place parmi l’élite qui dirige le pays. Dès la naissance Vincent semble condamné à végéter parmi la communauté des « sous-hommes » asservis par ceux qui détiennent un patrimoine génétique impeccable. Le prélèvement sanguin opéré sur Vincent prévoit que l’enfant ne vivra guère plus de trente ans et qu’il souffrira de graves problèmes cardiaques. Malingre et gauche, Vincent n’est pas couvert par les assurances des écoles où ses parents ont du mal à l’inscrire. Mais la volonté dépasse parfois le déterminisme physiologique et le jeune homme paria va devenir « pirate génétique » par l’entremise d’un malfrat, payé pour mettre en contact « Non-valides » et « Valides » déchus. Car la force de Vincent, c’est qu’il est animé d’une passion, d’un espoir que la génétique ne peut maîtriser.

Ainsi Jerome (Jude Law), promis par la génétique aux plus beaux des avenirs (mais Morrow n’est-il pas un lendemain avorté ?), a-t-il vu sa vie broyée à la suite d’un accident de voiture. Paraplégique alcoolique, il cède son identité et ses déchets corporels (sachets de sang, d’urine, de cils, poils et de squames) à Vincent, le « taré » de service aux imperfections rédhibitoires, afin de l’aider à tromper les savants de Gattaca, et participer ainsi à son idéal. Quand la purification n’a de sens que génétique, quand la moindre particule de peau, le moindre cheveu peut vous trahir, quand la propreté est assimilée à la sainteté, il ne reste plus qu’à endosser l’identité d’un homme destiné à être spationaute. Vrais frères par leur appétit de résistance à l’ordre des choses, Jerome (qui va se faire appeler Eu-gene !) et Vincent sont plus proches l’un de l’autre que Vincent et Anton. Fraudeurs patentés qui mettent leur vie en péril et bafouent l’ordre établi, chacun sert d’intermédiaire à l’autre pour goûter ce qui est interdit sinon. Leur rencontre, nouée sous l’égide, croit-on, d’un pacte à la Faust, va permettre à Vincent d’accéder à son rêve et à Jerome, cloué sur son fauteuil roulant, de poursuivre par procuration sa brillante carrière. Ensemble, dans une étrange osmose, ils vont exploiter les failles du système en échangeant bien plus que leurs identités. Manière de souligner que la science et la génétique ne peuvent contrôler l’ensemble des paramètres régissant l’existence humaine. Que le hasard constitue la pâte du monde empirique au même titre que la nécessité.

Le meilleur des mondes, entre clonage humain et eugénisme
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ndrew Niccol, qui aime à brouiller les pistes, présente avec Bienvenue à Gattaca un thriller d’anticipation où le polar et la science-fiction font bon ménage. Cette mélancolique fable d’anticipation se veut en même temps une parabole sur le dépassement individuel. Le futur dépeint connote sans cesse, il est vrai, une proximité qui ne laisse pas de troubler le spectateur. Tout est mis en œuvre pour attester, à plus d’un titre, que Gattaca n’est pas si éloigné que cela de notre mode de vie (dès le début du film l’histoire est dans un « futur pas trop lointain » (« the not-too distant future ») grâce à une phrase incrustée tel un sous-titre à l’image). La thèse sous-jacente est que nul n’a le droit d’« orienter » l’avenir. Avec cette illustration du brûlant sujet du clonage humain et du totalitarisme génétique new age, Andrew Niccol produit une froide esthétique glaciale, un univers aseptisé mais familier parce que soutenu par une imagerie (véhicules, vêtements, coupe de cheveux) des années 40-50 et une lumière aux tons jaune iridescent qui nimbe chaque être et chaque chose dans un halo de probable intemporel. Par la force des choses, chaque être est comme dépossédé de lui-même, englouti par des costumes invariants et des décors linéaires qui s’autorisent seulement des cercles et des spirales comme parangon fifties d’esthétique (clin d’œil du réalisateur au sur-place de l’ennui en mal d’épicentre qui tourne sur lui-même ?). Étouffé par une société de castes où tout ce qui excède l’ordonnancement lisse, austère et gris est banni.

Dans le meilleur des mondes génétique, le contrôle social et policier repose sur l’ADN de chaque individu. Le terme GATTACA est d’ailleurs directement lié à la génétique puisque les lettres composant le mot renvoient aux bases chimiques suivantes : G pour Guanine, A pour Adénine, T pour Thymine et C pour Cytosine. Sur Gattaca, les Hommes sont divisés en deux grands groupes : les Valides et les Non-valides. Les premiers, issus de sélections génétiques, occupent les postes à responsabilité, alors que les seconds, à la santé déficiente ou au quotient intellectuel trop faible, ne peuvent aspirer qu’à des emplois subalternes. Tout défaut physique étant dans cette société éliminé avant la naissance, les technologies médicales sont mises en question au regard du facteur de manipulation de l’avenir qu’elles induisent. A ce titre, on peut imaginer ce que pourrait révéler une échographie si elle était poussée à son terme : la connaissance des maladies susceptibles d’affecter l’embryon doit-elle dans ce cas influer su la décision des parents ? Attention alors, car la science-fiction affichée pourrait bien être un signe avant-coureur de l’eugénisme qui se développera demain dans nos cités.

La société du tout-génétique
O
n peut décrire le film comme l’illustration cinématographique d’une formule de James Watson, prix Nobel de médecine en 1962 avec Wilkins et Crick : « Nous avons longtemps pensé que notre futur était dans les étoiles, maintenant nous savons qu’il se trouve dans nos gènes ». Il est incontestable que depuis le début des années 60, le progrès de la génétique a permis aux individus de guérir de nombreuses affections. Discipline curative mais aussi préventive, cette science invite à penser un futur où, précisément, tout ce qui affecte l’Homme pourra être contrôlé, mesuré, éradiqué. La trisomie comme la migraine. Pour autant, Bienvenue à Gattaca ne se réduit pas à un éreintement de la génétique. Il s’agit plutôt de mettre l’accent sur le sens éthique d’une discrimination impliquée par une nouvelle technologie : comment, demande Niccol, faire la différence entre une maladie bénigne et un mal létal ? Jusqu’où aller dans la suppression des infections, présentes et/ou virtuelles, au nom de l’amélioration de l’être humain ? Telle une spirale sans fin qui n’est pas sans évoquer la structure hélicoïdale de l’ADN découverte par Watson, Wilkins et Crick (et à laquelle renvoie sans doute l’escalier moderne, à la diabolique courbure, de Eugene dans le film), ce questionnement demeure en suspens...

 La question du séquençage du génome humain
L’accomplissement de ce projet scientifique (soit la détermination de l’ordre de nos trois milliards de nucléotides) soulève justement moult polémiques dans la mesure où sa réalisation a été rendue possible par une société commerciale, ce qui accentue l’enjeu économique que représente le séquençage « cartographique » du patrimoine génétique. Ainsi que l’illustre « Bienvenue a Gattaca », avoir accès à la carte du génome humain facilitera certes la recherche de traitements pour les maladies héréditaires. Président de la Foundation on Economic Trends, l’écrivain américain Jeremy Rifkin a ainsi pointé que le « droit a l’intimité génétique sera la grande revendication du XXIe siècle. Séquencer la moindre partie de l’ADN humain, analyser les séquences du génome, c’est favoriser l’émergence de nouveaux traitements de la part du corps médical. Mais également encourager la course aux bénéfices et à la concurrence dans un contexte de recherche biotechnologique frénétique en vue du monopole suprême. Dans son livre Le siècle Biotech, Rifkin affirme que les biotechnologies portent en elles « le germe de l’eugénisme, la commercialisation des gènes, et une vaste "pollution génétique" ».

Si les récentes expérimentations de clonage humain ont contribué au discrédit de l’image de la biotechnologie, c’est moins cette dernière en tant que telle que l’usage qu’on en fait qui se trouve sur la sellette. Chaque jour en effet les chercheurs utilisent le clonage de pièces d’ADN ou de cellules humaines pour étudier les traitements à même de répondre à certaines pathologies ou créer les protéines humaines utilisables dans des applications médicales (40 % des projets de développement sont consacrés au problème du cancer). En ce sens, Bienvenue à Gattaca est l’exact miroir de cette imbrication de craintes et d’espoir devant les promesses de la biotechnologie. Un miroir aussi pâle qu’inquiétant qui, parce qu’il réfléchit tout en faisant (se) réfléchir, nous interroge sur le rôle des droits de l’Homme face au développement de la génétique. Jusqu’où les tests génétiques, les dépistages multi-niveaux nous entraîneront-ils ? Le fichage génétique sera-t-il la règle absolue ? Inévitable antienne pour le moins philosophique : le progrès scientifique et technologique en train de se déployer sera-t-il mis au service de l’humain ou portera-t-il atteinte à nos droits fondamentaux ? Où commencera, où s’arrêtera, dans de telles conditions, la vie privée des individus ? Il n’est pas inintéressant d’ailleurs, dans ce contexte, de voir que Vincent « réussit » à contourner les obstacles qui se dressent sur son chemin parce qu’il veut arriver à ses fins par tous les moyens. Une telle conception, pragmatique, de la réalisation de soi, vaut usuellement comme la négation de toute éthique. Mais dans un monde où celle-ci n’existe pas, nier l’éthique revient paradoxalement à en inviter une autre... ou une nouvelle.

 Quand la SF rejoint l’enfer
Sous une architecture lisse, des tenues épurées et des physique parfaitement structurés (Irène qu’incarne Uma Thurman est le modèle même de la perfection plastique), le film nous met en présence d’un enfer moderne aussi insidieux que bio-tech. Hymne à la géométrie tatillonne et à l’hygiène purgatrice, Gattaca évoque, par le biais d’une somptueuse photographie, une beauté froide aux arrêtes vives, vide de tout sentiment authentique. Le contraste entre certaines scènes, froides et métalliques, policièrement feutrées, les scènes en extérieurs inféodées au sacre du Rétro et le filtre du flash-back désignent à quel point la chaleur humaine s’est évaporée de cette cité où les derniers signes d’humanité se trouvent dans les étoiles qui narguent les Non-valides (Slawomir Idziak, directeur de la photo polonais, a travaillé sur la trilogie Bleu, Blanc, Rouge avec Kieslowski). Point d’orgue de cette composition atypique, la musique sirupeuse et aérienne de Michael Nyman - à qui l’on doit entre autres les B.O de La leçon de piano, Drowning by numbers, Monsieur Hire - évoque avec force nostalgie un paradis inaccessible, à des années-lumière des habituelles stridences synthétiques des films de S-F. Le vestige peut-être de ce que la vraie perfection est là, sous les yeux ou à portée d’oreilles, de tous ; et que chaque protagoniste est capable de se réaliser s’il arrive à accepter et assumer ses défauts tout en apprenant à exploiter au maximum le potentiel qui sommeille en lui. En hommage à une humanité enfin faillible, au-delà du verdict d’une carte d’identité génétique, la dernière phrase du film conclut : « Il n’y a pas de gène pour l’esprit humain ». L’acquis pèse désormais dans la balance autant que l’inné.

Longtemps avant le A.I. de Steven Spielberg, le néo-zélandais Andrew Niccol dissèque en fines lamelles dans ce traité S-F anti-eugénique (le paradoxe c’est qu’il n’est pas bourré d’effets spéciaux) qui est aussi conte philosophique intemporel, le bonheur insoutenable émanant déjà des œuvres de George Orwell ou d’Aldous Huxley. Projetée dans l’avenir, la génétique contemporaine et ses dérives n’en ressortent point grandies. Entre le suspense lié au projet de Vincent (accomplir son rêve d’enfant en dépit du Système) et la réhabilitation de notions telles que l’amour, l’amitié et la fraternité, Andrew Niccol parvient avec son premier film (et script), à nous offrir une vision cauchemardesque du futur. Un futur où la société a depuis belle lurette fait son deuil de tout sentiment. Où se distille en filigrane un racisme d’autant plus inquiétant qu’il s’élabore à partir de critères scientifiques irréfutables... Bienvenue à Gattaca a reçu le prix spécial du jury au festival de Gérardmer/Fantastic’art en 1998.

Pour nous mettre en garde contre un avenir high tech aussi noir, Gaumont Columbia Tristar Home Vidéo, qui a lancé le difficile pari de la qualité numérique des images et du son, fait bénéficier ce DVD du développement de la technologie Superbit, procédé d’encodage digital garantissant un débit audio et vidéo de près de trois fois supérieur à celui d’un DVD traditionnel. Le prix à payer est qu’aucun bonus, ô infamie !, n’accompagne cette seconde édition de Bienvenue à Gattaca en DVD. Mais en retour le spectateur se régale d’un piqué quasi parfait, d’une netteté maximale des arrière-plans et d’un somptueux rendu des couleurs. Finalement, le futur, ce n’est pas si mal !

 

 

   
 

frederic grolleau


Bienvenue à Gattaca
Réalisation : Andrew Niccol Scénario : Acteurs : Ethan Hawke, Uma Thurman, Jude Law, Gore Vidal, Alan Arkin, Loren Dean Distributeur : Gaumont Columbia Tristar Home Vidéo Année : 1997 Bonus : Edition Superbit Prix indicatif : 30 €

 
     
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