De trahisons interservices en magouilles politiques, Ayerdhal délivre un thriller très documenté qui prend aux tripes.
Connu et reconnu pour ses nombreux ouvrages de science-fiction, Ayerdhal a décidé, comme Bordage récemment chez le même éditeur, de se mettre au thriller. Et il faut reconnaître que c’est une sacrément bonne idée tant la maîtrise de cet épais ouvrage est flagrante.
Sur une toile de fond mondiale, les deux héros principaux (Stephen Bellanger le canadien, psychologue, spécialisé en criminologie et travaillant pour Interpol à Lyon ; Naïs, alias Ann X, serial killer frappant au sabre et douée d’une étrange faculté de transparence) finiront par se rattraper l’un l’autre, n’en déplaise à l’avenir de la planète. Spécialiste des cas criminels non élucidés le jeune profiler perdu découvre en effet plus de milles cas où une jeune femme a tué à l’arme blanche alors même que témoins et appareils de surveillance sont incapables d’en transmettre une image claire. Mais le plus troublant c’est que le dossier de Ann X est une succession d’erreurs et d’effacements progressifs, comme si tout était mis en oeuvre par les services secrets américains pour brouiller définitivement les pistes...
Quand on commence la lecture de ce noir pavé ayerdhalien au carrefour du polar et du roman d’espionnage, on se dit que l’auteur du Chant du Drille ou des Chroniques d’un rêve enclavé ne va pas tenir la route, qu’on va se lasser. C’est tout le contraire car le romancier invente ici son propre chemin, s’interrogeant avec finesse et perspicacité sur une histoire contemporaine - l’enquête fort psychologisante a lieu entre entre 1997 et 2001 - qui paraît en tous points ouvrir le champ aux dérives pointées par Bordage dans L’Evangile du serpent ou L’ange de l’abîme. De trahisons interservices en magouilles politiques, d’assassinats en rafale en rebondissements aux quatre coins du globe, Ayerdhal délivre un thriller impeccablement documenté (surtout en psychologie, psychiatrie et criminologie) qui prend aux tripes. Car la transparence de la serial-killeuse samouraï à laquelle doit s’intéresser le criminologue devient une pierre de touche pour réinterpréter nombre d’horreurs commises par une poignée de puissants dans la seconde moitié du XXe siècle - une "transparence", une manipulation des signaux visuels, auditifs et olfactifs d’autant plus forte ici qu’elle sévit non dans un monde imaginaire mais dans notre monde « réel ».
Transparences ? Un étonnant jeu de miroir qui passe au crible le délire idéologique, la violence et la manipulation politiques, les institutions et le pouvoir déshumanisant en diable. Sans oublier la solitude des SFD, les subterfuges de la CIA, de la NSA, de la DST, d’Europol et du KGB, le viol des enfants, les massacres de sans terres au Brésil, l’assassinat de Kennedy, les snipers de Sarajevo, la collusion entre les islamistes et l’armée en Algérie : toute cette misère du quotidien qui ne nous fait plus lever les yeux. Puisse chaque lecteur prendre le temps de les poser sur ce livre qui est aussi un vaste coup de gueule contre la, quand bien même cosmopolite, connerie humaine.
frederic grolleau Ayerdhal, Transparences, Au Diable Vauvert, 2004, 550 p. - 23,00 €. | ||
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