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Arthur Schopenhauer, L’art de l’insulte

Publié le 15 Juillet 2012, 18:30pm

Catégories : #ESSAIS

Parce qu’insulter ou injurier représente de fait l’issue de nombreuses discussions, le sage ne doit pas méconnaître l’art de savoir faire face aux pires invectives.

 

 

« Lorsque l’insulteur a été grossier, il faut être encore plus grossier. Si les invectives ne font plus d’effet, il faut y aller à bras raccourcis, mais là aussi il y a une gradation pour sauver l’honneur : les gifles se soignent par des coups de bâton, ceux-ci par des coups de cravache. Contre ces derniers mêmes, certains recommandent les crachats, pour voir. C’est seulement lorsque ces moyens arrivent trop tard qu’il faut recourir sans hésiter à des opérations sanglantes. » Voilà l’étonnant credo du philosophe allemand Schopenhauer (1788 - 1860), plus connu pour un pessimiste système philosophique puisant aux sources des upanishad (livre sacré hindou), et dont Franco Volpi nous expose les bases au travers d’un guide alphabétique qu’on peut lire dans le désordre. Parce qu’insulter ou injurier représente de fait l’issue de nombreuses discussions, le sage ne doit pas méconnaître en l’espèce l’art de savoir faire face aux pires invectives. Voire, de maîtriser (par l’exercice répété) les expédients de l’insulte si « la grossièreté triomphe hélas toujours sur l’esprit » !

 

 

Le grand ennemi de Hegel et de Fichte, ces « philosophrastes, n’a certes jamais écrit un livre intitulé « art de l’insulte », mais il n’en reste pas moins qu’Arthur le misanthrope a passé une bonne partie de sa vie à agonir d’injures ceux qui ont eu le tort de lui déplaire. Compilée par Volpi dans ce qui se donne comme un vademecum de la méchanceté, la pensée du philosophe de Dantzig, qui s’en prit, entre autres, aux femmes (en particulier « la dame », ce« monstre de civilisation européenne et de bêtise" !), aux prêtres, à la nature, à la religion, aux bibliothèques, à la justice, à l’Etat, aux Allemands, aux Français, aux philosophes, aux barbus, au bruit, aux touristes fait montre d’une belle vigueur ...et d’un sens du préjugé fort peu philosophique. Ainsi note-t-on au hasard des pages quelques formules à l’emporte-pièce qui devraient assurer à plus d’un impétrant un franc succès en soirée : « Les autres continents ont des singes ; l’Europe a des Français. Ceci compense cela. » ; « Les amis se disent sincères, les ennemis le sont » ; « Ne se marier que « par amour » sans avoir à le regretter très vite, voire se marier tout court, signifie plonger les yeux bandés la main dans un sac, en espérant y découvrir une anguille parmi un tas de serpents. »

 

 

La raillerie et le juron ont beau être du côté de « l’animalité », du « droit du plus fort », ou encore ramenés au modèle des « processions religieuses qui toujours reviennent à leur point de départ », c’est toujours avec jubilation que le colérique Schopenhauer se penche sur leurs mécanismes. Tant de piques où la virulence fielleuse le dispute à la noirceur d’âme assomment plus qu’elles ne divertissent à la longue, mais ces vitupérations sanguines (qu’on eût aimé lire dans un texte bilingue) attestent aussi qu’un philosophe, c’est avant tout un homme. Eh oui.

   
 

frederic grolleau

Arthur Schopenhauer, L’art de l’insulte, Seuil, Collection : Sciences humaines, 2004, 192 p. - 15, 00 €

 
     

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