La Pox box, c’est la starisation du factice, ce faux qui rêve de passer pour le vrai.
Du factice et de sa mise en boîte
Un critique littéraire devrait toujours bien lire les avant-programmes que lui font parvenir les services de presse des éditeurs. Pour m’être précipité sur un titre afférent à Warhol, le pape du pop art, je me suis retrouvé Grosjean comme devant avec dans les mains un beau matin non pas un livre mais une boîte. Oui, vous lisez correctement : une boîte. D’où cette cruciale question : que peut faire un critique littéraire, même bien intentionné, d’une boîte, fût-elle d’obédience warholienne ? La lire ? Chiche !
Commencer par l’ouvrir, d’abord. Et là je me dis que si on pouvait ouvrir un livre comme on ouvre une boîte cartonnée la vie serait belle. Parce que, à chaque fois, c’est la surprise assurée. Ouverte, dévoilée, son contenu expurgé, la boîte n’aura plus le même sens, mais elle aura gagné une symbolique plus forte. Et justement, dans cette boîte on trouve, pêle-mêle, une boîte de soupe Campbell, une image de Marilyn Monroe de bouteille de Coca-Cola, un mot lithographié de Liz Taylor, des reproductions fidèles de cartons d’invitation, des fac-similés de photos et coupures de presse, un pseudo badge, une stéréotypée bague tampon encreur. Damned, késaco ? Sauvé, je le suis par le livret qui accompagne lesdits objets warholiens " plus pop les uns que les autres ".
Mais comme je n’aime guère les modes d’emploi, je décide de ne pas l’ouvrir. Je savoure tel quel ce non-livre, ce trophée constitué des " clichés " de la culture américaine qu’Andy Warhol a transformés en œuvres d’art majeures du XXe siècle. On sait qu’à la Factory de New York (231 East 47th Street) le collectionneur Warhol s’était amusé à recueillir des échos du rien et de la vie ordinaire dans quelques six cent dix boîtes en carton : les fameuses " time capsules ". Cette boîte-ci clôt l’hommage de l’artiste aux objets de consommation courante et établit, définitivement, le règne du faux semblant, du simulacre sur un réel de plus en plus étrillé par le virtuel et l’épuisement. La Pox box, c’est la starisation du factice, ce faux qui rêve de passer pour le vrai. Un faux actif, qui relève d’un facere conquérant, ce qu’il conviendrait d’appeler somme toute le factitif.
Yann et Berthet illustrent à leur manière cette fusion du vrai dans le faux, cette con-fusion sémantique et graphique dans la formidable Integrale de la série Pin-up, qui campe moins une délurée dans des poses suggestives que les émois amoureux et la souffrance d’une jeune femme, Dottie, dont le boy friend part faire la guerre dans le Pacifique en 41. Par souci de patriotisme elle est amenée à incarner l’héroïne de papier Poison Ivy du dessinateur Milton Caniff. Et voici notre "fiancée de l’Amérique " censée remonter le moral des G.I. au front qui traverse trois périodes (des années 40 aux années 60) tout en devenant la femme fatale que dévoilent des strips tendancieux et idéologiques.
Mais ce projet du scénariste Yann devient encore plus audacieux si l’on rappelle que Milton Caniff (1907-1988) a réellement existé et que, de 1942 à 1946, il a créé "Male Call", des strips mettant en scène une pin-up, Miss Lace, publiés dans les journaux militaires envoyés aux soldats. Si l’on ajoute que les planches de Poison Ivy présentent de larges vrais faux extraits des strips façon Caniff, avec le lettrage et la composition de l’époque, on tombe dans un vertigineux jeu de corrélation et de mise en abyme. Que complète en fin d’album, cerise sur le gâteau, un "cahier supplémentaire original " de 12 strips de Poison Ivy imprimé sur papier journal. Là j’en perds mon latin et je me demande derechef si Pin Up L’intégrale ne serait pas une Pop bd box. Allez savoir...
frederic grolleau Andy Warhol, Pop box, Seuil/Chronicle, 2003, 30,00 €. Yann, Berthet, Pin-Up Intégrale - Tome 1 : "Poisson Ivy", Dargaud, 2003, 148 p. - 28,00 €.
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