Un recueil de nouvelles très sombre, placé sous le signe du désarroi, du désenchantement et du marasme socio-économique.
En cinq nouvelles à l’atmosphère très noire, Guelassimov plante le décor d’un contexte social tourmenté où les hommes s’interrogent sur leur espoirs trompés et le sens de leur relation à autrui. À coups de phrases courtes où l’ellipse est reine, le romancier rend hommage à ses pères littéraires : Gogol, Dostoïevski et Pouchkine pour examiner ce qui se cache juste derrière le miroir des apparences. Andreï Guelassimov qui a étudié le théâtre sous la houlette du prestigieux professeur Anatoli Vassiliev avant de soutenir une thèse sur Oscar Wilde a écrit ce premier livre, Fox Mulder a une tête de cochon, pour y présenter semble-t-il ce qu’on pourrait nommer des chroniques de la vie russe ordinaire : ainsi des motifs comme l’école, la banlieue, et la promiscuité mis en exergue ici traduisent-ils en ces pages traversées d’aphorismes cinglants le plein désarroi de la jeunesse, le manque de travail et l’absence de rêve au quotidien. Un désenchantement que n’arrange ou n’atténue en rien l’antagonisme des générations en présence. De ce point de vue la mission de l’auteur est remplie.
La première nouvelle, qui donne son titre au recueil, est à la fois la plus cruelle et la plus tendre : le narrateur y expose le mal-être qu’il a ressenti lorsqu’il est arrivé dans l’école 39, et sa surprise devant le déclin progressif d’une enseignante amoureuse d’un de ses jeunes élèves. Il est question ici du mystérieux destin par lequel certains êtres sont appelés à en rencontrer d’autres, telles des cartes de jeux mêlées pour le meilleur et pour le pire. Un mot d’ordre qui traverse le recueil de nouvelles et explique peut-être que la dernière ("L’âge tendre", où un jeune homme raconte la manière dont il est marqué par les engueulades systématiques de ses parents et les cours de violon que lui donne une vielle femme avant de mourir) évoque des personnages présentés dans la première.
Le texte le plus touchant est celui où un couple se déchire au sujet d’une forte somme d’argent récupérée à l’origine pour répondre à un chantage de terroristes mafieux dont ils ont embouti la voiture : Guelassimov produit ici ("Accomplis ce miracle, seigneur" ) un texte décapant, où le rapport au réel s’emballe suite à une embardée bien involontaire. Un état de grâce que le lecteur ne retrouvera pas dans les autres récits qui suivent, "Jeanne" abordant les problème d’une fille-mère prête à tous les sacrifices pour son enfant malade, "Grand-mère par adoption" soulignant l’énergie d’une femme seule et âgée qui décide de prendre en main l’avenir de sa petite-fille ballottée entre des parents que dévore le mal-être.
Reste que, sur ce fond de marasme tant politico-économique que relationnel, la lumière point parfois au-dessus des décombres fumants du réalisme social. En grande partie parce que, quand même au tréfonds de la désillusion les personnages du nouvelliste gardent encore une lueur d’espoir et, surtout, un humour féroce. Preuve en est que, dans un univers éclaté où Les gens n’attendent jamais qu’une chose : entuber quelqu’un d’autre dans les grandes largeurs ("Accomplis ce miracle, seigneur"), tout n’est pas encore perdu.
NB - Lire la critique de La Soif, roman du même auteur paru également chez Actes Sud.
frederic grolleau
Andreï Guelassimov, Fox Mulder a une tête de cochon (traduit par Joëlle Dublanchet), Actes Sud "Lettres russes", 2005, 192 p. - 19,00 €. | ||
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