Les diverses versions d'une présentation du DVD Femmes de Cukor, pour Philosophie Magazine, n° 5
George Cukor, « Femmes » (the Women), Warner Bros Video, février 2007.
V1
On a dit que Cukor, homosexuel notoire, était le peintre de la femme. Ce n'est certes pas ce film de 1939, au titre explicite (« Women »), enfin édité en dvd zone 2, qui démentira cette légende. Fidèle à son mari, un homme d'affaires new-yorkais, et mère d'une fillette, Mary Haines se croit heureuse. Son groupe d'amies – plutôt, de « connaissances féminines » - sait pourtant que son mari a une liaison avec une vendeuse arriviste. Après avoir divorcé, Mary, prise d'un regret compulsif, revisite ses principes moraux part reconquérir son ex-mari. Elle y parvient grâce à une nouvelle robe, un rouge à ongles flamboyant ...et de nouvelles chaussures.
Tourné exclusivement avec des rôles féminins, le film du Female’s Director (qui s'ouvre sur un générique où chacune des protagonistes est assimilée à un animal – future chienne de garde ?) explore sans complaisance ces fausses catégories sociales que sont l'épouse comblée et la mère modèle. Auxquelles il superpose les féroces débats de « femmelles » s'entre-dèchirant pour conserver leur statut comme leur dignité. Qui ne se conquièrent, et ne se conservent, que dans un lit, selon la formule de la mère désillusionnée de Mary. Cukor – ce grand metteur en scène auquel, curieusement, Gilles Deleuze n'accorde aucune place dans L'image mouvement comme si, écartelé entre comédies et drames, il n'avait rien inventé - joue ainsi à l'envi avec les rivalités, les haines réciproques de ses héroïnes-stars pour composer un paysage à la fois misogyne et féministe où l'humour décape l'amour.
Le précepte spinoziste omnis determinatio negatio est connaît alors ses limites : si donner un sens à ce qu'on est suppose bien d'exclure d'autres mode d'être à l'entour, ces femmes oscillant entre coiffeur et salon de beauté n'existent que parce que leurs maris risquent de les quitter. Se définir comme Femme ne peut donc avoir un sens indépendamment de son révélateur, l'Homme, grand absent (à l'écran). Dans tous les cas le naturel cynique affleure : avant d'être femme, la femme, battante ou trompée, séductrice ou chipie, est infâme.
Dans ce gynécée en folie au rythme effréné (une des meilleures comédies américaines d'avant-guerre), la mauvaise pulsion ne connaît pas la différence des sexes. CQFD.
V2 :
Cukor, homosexuel notoire, était le peintre de la femme. Ce film le confirme. Epouse fidèle et bonne mère, Mary Haines est heureuse. Ses amies savent pourtant que son mari a une liaison avec une vendeuse arriviste. Après avoir divorcé, Mary décide de changer ses principes moraux et reconquiert son ex-mari. Grâce à une nouvelle robe, un rouge à ongles flamboyant ...et de nouvelles chaussures.
Tourné exclusivement autour des rôles féminins, Femmes (dont le générique voit chaque protagoniste assimilée à un animal) dynamite ces fausses catégories : l'épouse comblée et la mère modèle. Ici réduites à des ébats de « femelles » s'entre-déchirant pour conserver leur statut comme leur dignité – lesquels ne se conservent que dans un lit, dixit la mère de Mary. Le Female’s Director joue ainsi à l'envi avec les rivalités de ses héroïnes pour composer un paysage misogyne et féministe où l'humour décape l'amour.
Le précepte spinoziste omnis determinatio negatio est connaît alors ses limites : si donner un sens à ce qu'on est suppose d'exclure d'autres modes d'être, ces femmes oscillant entre coiffeur et salon de beauté n'existent que parce que leurs maris peuvent les quitter. Se définir comme femme ne peut donc avoir un sens indépendamment de son révélateur, l'Homme, même grand absent.
Dans tous les cas le naturel cynique affleure : avant d'être femme, la femme, battante ou trompée, séductrice ou chipie, est infâme. La mauvaise pulsion ne connaît pas la différence des sexes dans ce gynécée en folie.
Version retenue :
Cukor, homosexuel notoire, était le peintre de la femme. Ce film le confirme. Epouse fidèle et bonne mère, Mary Haines est heureuse. Ses amies savent pourtant que son mari la trompe avec une vendeuse. Après son divorce, Mary change ses principes moraux et reconquiert son ex-mari. Grâce à une nouvelle robe, un rouge à ongles flamboyant ... et de nouvelles chaussures.
Tourné exclusivement autour des rôles féminins, Femmes interroge ces postures à haut talon : l'épouse comblée et la mère modèle. Le Female’s Director joue ainsi avec les rivalités de ses héroïnes, battantes ou trompées, séductrices ou chipies, pour composer une carte du tendre où l'humour décape l'amour.
Le précepte spinoziste omnis determinatio negatio est (toute détermination est une négation) connaît ici ses limites : donner un sens à ce qu'on est, dit le philosophe, suppose d'exclure d'autres modes d'être. On ne se pose qu' en s’opposant. Mais pour prendre conscience de ses déterminations, pour savoir ce que l’on est, il faut se confronter avec une altérité. Or le problème de Femmes, c’est que l’autre de la femme n'apparaît jamais Il n’y a pas un homme en vue ! Finalement, ces femmes n’existent que par l’absence des hommes.
Se définir comme Femme ne peut donc avoir un sens indépendamment de son révélateur, l'Homme, même grand absent (à l’écran). Dans ce gynécée en folie la différence des sexes est moins vitale que l’énergie mobilisée par chacune des héroïnes afin d’échapper au malheur.
Frédéric Grolleau
The Women, DVD Warner. Sortie 7 février 2006.
Signalons que Meg Ryan, Lisa Kudrow, Anne Hathaway et Candice Bergen sont pressenties pour jouer dans un remake de «The Women», réalisé à la mi-mars 07 par la scénariste et productrice Diane English, gagnante de deux Emmy Awards pour la série «Murphy Brown».
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