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La reconnaissance de lavérité 2

Publié par frederic grolleau sur 1 Octobre 2006, 11:40am

Catégories : #ARTICLES PRESSE & DOSSIERS

Suite de  la partie 1

5) La vérité comme saut kierkegaardien

Or, cette liberté du sujet dans la précarité de son rapport au monde et à l’histoire, liberté indispensable faute de laquelle le savoir objectif n’est rien, n’est-ce pas, au confluent des pensées de Descartes, Hegel et Heidegger, Kierkegaard qui l’accomplit ? S’emportant contre les tentatives des différentes connaissances d’entendement voulant à tout prix se donner un objet, et contre la logique de Hegel qui intègre la temporalité d’une dialectique de la pensée où se déploie dans un mouvement conjoint l’être et la pensée, Kierkegaard demande qu’on n’omette pas la question du sujet.
Critiquant directement le système totalisant de Hegel, le rationalisme des Lumières et la pensée de Lessing dans la 2ème partie du Post-Scriptum, il entend rappeler qu’un système où l’Absolu est résultat ne donne pas droit de cité à l’individu existant. “ Car exister, c’est devenir ”. Et ce devenir du sujet existant, Kierkegaard ne le conçoit pas autrement que dans le déploiement de la subjectivité dans son rapport au vrai. “ La vérité est la subjectivité ” clame Johannes Climacus dans le Post-Scriptum. Afin d’éviter toute dérive subjectiviste, on préfèrera cette traduction : “ la vérité, c’est de devenir sujet ”.
Kierkegaard craint en effet que dans l’unité de l’être et de l’objet, l’existant soit manipulé et son rapport à la vérité oblitéré. Or il est essentiel que ce rapport soit clarifié et spécifié : “ Le système, c’est l’unité du sujet-objet, de l’objet et de la pensée (…) Au contraire, l’existence les sépare (…). Parler philosophiquement, ce n’est pas tenir un langage fantastique à des êtres eux-mêmes fantastiques, mais à des existants ” (Post-Scriptum, éd. de l’Orante, X). Kierkegaard pense ainsi que la reconnaissance de la vérité ne peut être le seul redoublement de la pensée par l’être : elle consiste bien plutôt dans le “ comment le sujet se rapporte à la vérité ”. Avant le “ ce que ” que le langage objectif peut tenir pour exprimer la vérité, prime donc le “ comment ” je me situe par rapport à elle, et qui suppose un “ saut ”, à la jonction de l’être et du temps, dans “ l’instant ”. La vérité, c’est le “ comment le sujet opère la reprise de sa liberté dans la répétition ”.

Toutefois, ce saut qui prétend nous faire reconnaître la vérité que le savoir totalisant ou d’entendement ne prétend nous faire connaître, par l’Absolu ou les catégories logiques, que comme une connaissance transindividuelle, n’est pas celui du philosophe aux yeux bandés et qui tombe dans l’abîme : c’est le pas du danseur qui exulte, après un difficile effort à la reconquête de sa liberté. La subjectivité est ainsi requise pour que l’individu auparavant abandonné aux catégories du savoir abstrait ne risque pas de “ se retrouver hors de lui-même ”, croyant illusoirement réaliser son essence : “ Que l’on définisse empiriquement la vérité comme l’accord de ma pensée avec l’être, ou plus idéalement comme l’accord de l’être avec ma pensée, il faut bien voir si dans les deux cas, l’esprit humain appliqué à la connaissance n’est pas relégué par quelque duperie dans l’indéterminé (…) et si, jouet de l’imagination, il ne devient pas quelque chose que nul existant n’a été et ne sera jamais ” (ib. Nous soulignons).

Il importe en effet de maintenir que le devenir est libre et ne coïncide pas avec la “ fin d’un système ” nécessaire qui est reportée indéfiniment dans l’histoire. Alors l’individu n’est-il plus confondu avec l’Universel et l’instant avec le moment. Chacun se rapporte librement à ce qui lui paraît la vérité en la reconnaissant précisément à ce qu’elle s’apparente à un travail infini de l’intériorité en soi-même assimilable à cette “ passion de l’existence dans le temps ” qu’est la foi pour Kierkegaard. Exister en vue de la vérité, c’est œuvrer à l’accomplissement patient de soi dans le temps en promouvant un rapport au vrai qui rende compte du paradoxe qu’est la présence de l’éternité dans le temps et du temps dans l’instant, du possible et du nécessaire dans le réel. Contre l’observation objective qui ne produit qu’une connaissance abstraite, l’examen de l’intériorité comme passion infinie de l’existence se manifeste comme seule reconnaissance acceptable de la vérité. Car elle enseigne à transmettre celle-ci, sur le modèle de l’Evangile selon saint-Jean : “ Je suis la vérité, le chemin, la vie ” (XIV, 6), non par la violence mais dans l’effacement de soi qui fait don à l’autre de sa liberté : “ L’incertitude objective maintenue dans l’appropriation de l’intériorité la plus passionnée, telle est la définition de la vérité, la plus haute vérité qui soit pour un existant ” (ib. ; nous soulignons).

Jean Wahl a bien raison de dire dans ses Etudes kierkegaardiennes que “ la théorie de la vérité est chez Kierkegaard une théorie de la croyance ”. Mais il rajoute : “ et cette croyance, c’est l’amour de l’éternité ”. Ainsi retrouvons-nous à la fin de ce chemin un renvoi à la ration des “ vérités éternelles ” et de l’ “ irrésistibilité de la croyance ” chez Descartes par lequel nous avions entrepris de le frayer. Il nous reste à déterminer en conclusion en quoi cette croyance qu’est l’amour de la vérité, selon le mot de saint-Augustin cité en introduction, peut resplendir dans le langage.

Or, cette liberté du sujet dans la précarité de son rapport au monde et à l’histoire, liberté indispensable faute de laquelle le savoir objectif n’est rien, n’est-ce pas, au confluent des pensées de Descartes, Hegel et Heidegger, Kierkegaard qui l’accomplit ? S’emportant contre les tentatives des différentes connaissances d’entendement voulant à tout prix se donner un objet, et contre la logique de Hegel qui intègre la temporalité d’une dialectique de la pensée où se déploie dans un mouvement conjoint l’être et la pensée, Kierkegaard demande qu’on n’omette pas la question du sujet. Critiquant directement le système totalisant de Hegel, le rationalisme des Lumières et la pensée de Lessing dans la 2ème partie du Post-Scriptum, il entend rappeler qu’un système où l’Absolu est résultat ne donne pas droit de cité à l’individu existant. “ Car exister, c’est devenir ”.

Et ce devenir du sujet existant, Kierkegaard ne le conçoit pas autrement que dans le déploiement de la subjectivité dans son rapport au vrai. “ La vérité est la subjectivité ” clame Johannes Climacus dans le Post-Scriptum. Afin d’éviter toute dérive subjectiviste, on préfèrera cette traduction : “ la vérité, c’est de devenir sujet ”. Kierkegaard craint en effet que dans l’unité de l’être et de l’objet, l’existant soit manipulé et son rapport à la vérité oblitéré. Or il est essentiel que ce rapport soit clarifié et spécifié : “ Le système, c’est l’unité du sujet-objet, de l’objet et de la pensée (…) Au contraire, l’existence les sépare (…). Parler philosophiquement, ce n’est pas tenir un langage fantastique à des êtres eux-mêmes fantastiques, mais à des existants ” (Post-Scriptum, éd. de l’Orante, X). Kierkegaard pense ainsi que la reconnaissance de la vérité ne peut être le seul redoublement de la pensée par l’être : elle consiste bien plutôt dans le “ comment le sujet se rapporte à la vérité ”. Avant le “ ce que ” que le langage objectif peut tenir pour exprimer la vérité, prime donc le “ comment ” je me situe par rapport à elle, et qui suppose un “ saut ”, à la jonction de l’être et du temps, dans “ l’instant ”. La vérité, c’est le “ comment le sujet opère la reprise de sa liberté dans la répétition ”.

Toutefois, ce saut qui prétend nous faire reconnaître la vérité que le savoir totalisant ou d’entendement ne prétend nous faire connaître, par l’Absolu ou les catégories logiques, que comme une connaissance transindividuelle, n’est pas celui du philosophe aux yeux bandés et qui tombe dans l’abîme : c’est le pas du danseur qui exulte, après un difficile effort à la reconquête de sa liberté. La subjectivité est ainsi requise pour que l’individu auparavant abandonné aux catégories du savoir abstrait ne risque pas de “ se retrouver hors de lui-même ”, croyant illusoirement réaliser son essence : “ Que l’on définisse empiriquement la vérité comme l’accord de ma pensée avec l’être, ou plus idéalement comme l’accord de l’être avec ma pensée, il faut bien voir si dans les deux cas, l’esprit humain appliqué à la connaissance n’est pas relégué par quelque duperie dans l’indéterminé (…) et si, jouet de l’imagination, il ne devient pas quelque chose que nul existant n’a été et ne sera jamais ” (ib. Nous soulignons).

Il importe en effet de maintenir que le devenir est libre et ne coïncide pas avec la “ fin d’un système ” nécessaire qui est reportée indéfiniment dans l’histoire. Alors l’individu n’est-il plus confondu avec l’Universel et l’instant avec le moment. Chacun se rapporte librement à ce qui lui paraît la vérité en la reconnaissant précisément à ce qu’elle s’apparente à un travail infini de l’intériorité en soi-même assimilable à cette “ passion de l’existence dans le temps ” qu’est la foi pour Kierkegaard. Exister en vue de la vérité, c’est œuvrer à l’accomplissement patient de soi dans le temps en promouvant un rapport au vrai qui rende compte du paradoxe qu’est la présence de l’éternité dans le temps et du temps dans l’instant, du possible et du nécessaire dans le réel. Contre l’observation objective qui ne produit qu’une connaissance abstraite, l’examen de l’intériorité comme passion infinie de l’existence se manifeste comme seule reconnaissance acceptable de la vérité.

Car elle enseigne à transmettre celle-ci, sur le modèle de l’Evangile selon saint-Jean : “ Je suis la vérité, le chemin, la vie ” (XIV, 6), non par la violence mais dans l’effacement de soi qui fait don à l’autre de sa liberté : “ L’incertitude objective maintenue dans l’appropriation de l’intériorité la plus passionnée, telle est la définition de la vérité, la plus haute vérité qui soit pour un existant ” (ib. ; nous soulignons). Jean Wahl a bien raison de dire dans ses Etudes kierkegaardiennes que “ la théorie de la vérité est chez Kierkegaard une théorie de la croyance ”. Mais il rajoute : “ et cette croyance, c’est l’amour de l’éternité ”. Ainsi retrouvons-nous à la fin de ce chemin un renvoi à la ration des “ vérités éternelles ” et de l’ “ irrésistibilité de la croyance ” chez Descartes par lequel nous avions entrepris de le frayer. Il nous reste à déterminer en conclusion en quoi cette croyance qu’est l’amour de la vérité, selon le mot de saint-Augustin cité en introduction, peut resplendir dans le langage.


Conclusion

Ce qui importe par conséquent dans la “ reconnaissance de la vérité ”, c’est avant toutes choses le langage par lequel elle se dit. C’est que, “ vraisemblablement ”, le chemin qu’est la vérité ne se réduit pas à la méthode (méta-hodos en grec : le chemin accompagné de son mode d’emploi, balisé par des repères objectifs de la reconnaissance objective). Bien au contraire requiert-elle de sortir de soi et d’affronter l’Autre (non le monde objectif mais l’homme, l’histoire) avant que de revenir à soi.
Tout le drame de cette reconnaissance et de cette difficile quête tient alors dans le monologue de Bérenger dans la pièce de Ionesco, Tueurs sans gages (Gallimard, 1948). Bérenger y est victime, dans ses proches et dans ses biens, d’un tueur dont il ne comprend pas les mobiles. Il ne cesse de soliloquer mais en lui posant des questions afin de connaître sa vérité. Par ses paroles, il espère que l’autre lui répondra et lui donnera un minimun de repères. Mais le tueur hausse les épaules, ricane et ne dit pas un mot. Bérenger ne peut trouver une vérité par delà les mots et à laquelle il pourrait se raccrocher, où il serait à même de se reconnaître.

Il ne cesse de pousser l’Autre à lui répondre afin qu’il puisse lui-même s’entendre et trouver ce chemin qui mène à la vérité, en passant nécessairement par l’autre : “ Ecoutez, je vais vous faire un aveu : moi aussi souvent, je doute de tout, du sens et de l’utilité de la vie, de mes valeurs et de toutes les dialectiques (…) Je ne sais plus du tout où j’en suis, moi, je ne sais plus. Peut-être vous êtes dans l’erreur, peut-être l’erreur n’existe pas, peut-être c’est nous qui sommes dans l’erreur de vouloir exister…Je ne sais, je ne sais. Qu’en pensez-vous ? Expliquez-vous, expliquez-vous donc (…)”.

Mais devant le silence et le mutisme de l’Autre, il ne sert plus de vérité à dire. Bérenger comprend que l’individu seul ne peut reconnaître la vérité, mais qu’elle lui échappe aussi quand il est perdu dans le groupe cédant à ses instincts grégaires. Peut-être même pousse-t-il l’angoisse jusqu’à croire que la vérité n’existe pas, qu’elle n’est que ce masque qui cache la mauvaise conscience face au chaos du monde, à la vanité du moi et de son langage.
Encore cette ultime reconnaissance n’est-elle pas dérisoire, loin s’en faut, puisqu’elle l’amène à prendre conscience que le destin de toute vérité est d’être dite, ce qui suppose ne retour l’écoute de l’Autre, le lieu de son discours et l’écho de sa parole.

frederic grolleau

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