Un monde de communication où personne n’a plus rien à se dire et préfère dévorer son animal de voisin
Ca pulse grave chez les morts- vivants...
Voilà un roman, Cell en v.o, qui était des plus attendus. Tant parce que son auteur, le prolixe Stephen King, avait annoncé que, peut-être, il n’écrirait désormais plus grand chose après l’accident qui faillit lui coûter la vie en 1999 (cf. Ecriture) - ce à quoi il faut ajouter la dégénérescence maculaire de l’oeil qui le rend progressivement aveugle - que par le thème abordé, entre hommage au film de série B et fantastique : imaginez seulement un virus mortel transmis par les téléphones portables qui frappe soudain les Etats-Unis ( sans doute, le monde entier) et provoque le pire des scenarii catastrophes - un cataclysme que même Tom Clancy, expert en complots terroristes high tech n’aurait pu prévoir !
Vous êtes dans Cellulaire, jouissif thriller du maître incontesté en la matière, après des titres aussi faramineux que Carrie, Shining, Fléau, Ca, Misery, Bazaar, Sac d’Os, 28 jours après, Tout est fatal, Roadmaster... Avec plus d’une cinquantaine de romans et recueils de nouvelles, tous largement best-sellers et traduits dans le monde entier, notre homme, rappelons-le, est l’un des auteurs les plus vendus sur la planète avec 350 millions de livres écoulés...
Fidèle au gimmick de certains de ses textes fondateurs, comme Le Fléau (dont les premiers chapitres relatent la chute des Etats-Unis sous l’action dévastatrice de la Super-Grippe), Dreamcatcher, les Tommyknockers ou la Tour Sombre , King fait reposer le ressort essentiel de l’action sur un "ka-tet", un petit groupe de singularités réunies dans l’adversité et combattant pour préserver leur liberté dans un univers devenu hostile : Clayton Riddell, dessinateur du Maine de passage à Boston pour y vendre ses dessins, rencontre ainsi, suite au lancement de « L’impulsion » (the pulse) un 1er Octobre qui provoque la folie du monde en grillant le cerveau de tous les utilisateurs de téléphone portable, Tom un homo moustachu et Alice, une ado, qui ont réchappé par miracle aux accidents, attaques diverses et autres égorgements à dents nues par lesquels le chaos vient de remplacer la normalité.
On ne saura jamais quelle est l’origine dudit signal (un canular cybernétique, expérience scientifique , un sabotage terroriste ?) mais une chose est sûre : tous ceux qui utilisent leur portable pour prendre des nouvelles de leurs proches renforcent à leur tour la pandémie et deviennent aussitôt des "siphonnés"( des phone-crazies) se comportant tels les pires zombies sanguinaires du réalisateur Romero à qui King dédie ce livre, en compagnie de l’auteur SF Richard Matheson...
Clef du récit alors : la décision de Clay, coûte que coûte, de retourner en compagnie des deux survivants dans le Maine pour savoir si sa femme et son fils de douze ans sont vivants. Organiser ainsi la "résistance" contre « siphonnés » au fil d’un périple initiatique (vers le nord, vers une réserve indienne ne permettant pas aux portables de fonctionner et où est censée se cacher la clef du mystère) qui permet au romancier en verve de régler quelques comptes avec la belle modernité US, qui fait qu’on en est arrivé là. Un monde de communication où personne n’a plus rien à se dire et préfère dévorer son animal de voisin.
Un im-monde où les zombies se rassemblent en troupeaux pendant le jour, ne laissant pour seule possibilité aux "normaux" que de vivre la nuit, période que les siphonnés, tombés comme en léthargie, mettent à profit pour recharger les accus du programme de l’Impulsion qui a effacé leur disque dur cérébral... Mais, moins qu’un virus, l’Impulsion est surtout une sorte d’onde effaçant toute capacité de réflexion, toute trace d’éducation, toute inhibition du cerveau des victimes. Fantastique prétexte romanesque pour décrire à la vitesse grand V un retour à l’état d’homme des cavernes, chacun n’aspirant plus qu’à exécuter son prochain.
Il est fort tentant de ramener dès lors Cellulaire à un pamphlet politique tourné contre les cauchemars d’une Amérique post 11/9, consumériste à outrance et détruite par ses propres icônes. Abondent d’ailleurs les critiques contre l’administration Bush ("Où est la Garde nationale ?", demande un survivant ; "En Irak", lui répond un autre. "C’était si peu une plaisanterie que Tom ne sourit pas"), même si les reproches demeurent en la matière un tantinet désuets, surtout chez un autrru qui n’hésite pas à renvoyer quelques pages plus loin à titre de lieux communs à Eminem ou Britney Spears !
On voit bien comment King se régale sur une prémisse telle que : un portable sonne, toute la civilisation s’écroule avec la suite logique : massacres de morts-vivants, membres arrachés, yeux crevés, carotides déchiquetées... - une ode gore prochainement adaptée au cinéma par Eli Roth, le spécialiste du cinéma d’horreur hollywoodien (Cabin fever, Hostel).
Reste que l’ensemble du roman n’est pas aussi maîtrisé qu’il le devrait. Outre que le scénario est un peu faible au sujet de cette zone neutre, le TR 90 que King met dans la plupart de ses derniers romans, que ce monde en proie à la désorganisatioN abasolue n’est guère décrit et approfondi - on en reste tout du long à la seule intropsection des protagonistes... -, l’hémoglobine l’emporte avec allégresse sur la psychologie des personnages, en particulier sur celel du dessinateur de fantasy Clay, alors qu’on s’attendait précisément à ce que Stephen King développe ici la nostalgie du créateur condamné à abandonner ses héros de papier - credo par excellence de la Tour Sombre. Sans doute le romancier a-t-il eu peur de verser dans un Fléau bis au happy end convenu, ce qui l’ a contraint à ne pas abattre toutes ses cartes initiales pour les garder, dans la manche, au cas où. Paradoxalement, la médiation même des téléphones mobiles comme arme de destruction massive des hommes du XXIe siècle est assez gratuite sinon allusive....
Malgré quelques coquilles et écarts de traduction (avec au passage un splendide "interconnection" perdant dans la tourmente son X à la page 124), Cellulaire est donc à la fois efficace et captivant par son intrusion sans crier gare de l’horreur dans la vie ordinaire, mais il n’atteint pas la magie des plus grands opus du Maître. Il vous fera toutefois regarder d’un autre oeil - empli d’espoir ou de haine, là est (toute) la question - la personne qui est en train de s’égosiller pour confier les plis et replis de sa vie pas si privée que ça pendant trois heures trente dans le TGV entre Paris et Marseille.
Réconfortant, non ?
frederic grolleau
Stephen King, Cellulaire, (trad. William-Olivier Desmond), Albin Michel, mai 2006, 403 p. - 22,00 euros.
Commenter cet article