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Annas Lied : Lettre e(s)t le néant

Publié par frederic grolleau sur 13 Mai 2006, 15:14pm

Catégories : #ARTICLES PRESSE & DOSSIERS

Paru dans la revue Passage d'encres  n° 19-20, "LITTERAlement", 2005.

Lettre e(s)t le néant


« La vérité a toujours
les bords déchiquetés »
Melville


Les mots soulignés qui suivent, ces groupes de lettres en amas de pattes de mouche, je les ai vus il y a plus de dix ans comme marqués au fer rouge sur un papier rosâtre aux bords déchiquetés. Papier ingrat paraissant récupéré dans un emballage quelconque. Papier de mauvaise qualité sinon ou à tout le moins, où l’encre formait encore de petits pâtés épars.
Ces lettres rassemblées en mots français sont celles d’une traduction retrouvée dans la maison d’Anne Franck, Prinsengracht 263, 1016 GV Amsterdam. A les relire, je me revois très bien, ébahi face à ces lettres si finement calligraphiées, ces derniers mots de ma langue, qui auraient pu tout aussi bien être couchés dans le fameux Journal tenu dans cette maison. Il faut avoir visité l’endroit – une exposition organisée sur place en l’honneur d’Anne Franck me le permit le 1er février 1992 – pour mesurer ce qu’écrire, dans de telles conditions, peut vouloir dire. Ces lettres figurent, en ce qui me concerne, les extrêmes traces d’avant la fin. Les derniers mots avant l’ultime barbarie.
Afin de les réinsérer dans une histoire et un sens autres, j’ai réunis ces lettres dans un poème qui se veut moins une tentative anti-adornienne de poétiser l’après Auschwitz qu’un appel au souvenir, au pouvoir de la création littéraire narguant les enfers, et qui passe, encore et toujours, par ses mots à elle.
Annas Lied, donc.


« Jusque sous la charpente du toit, on ressent ces jours-ci
Les affreux relents de la poudre à canon.
Le voleur de vie est parmi nous : il nous tient désormais à sa merci.
Mais qu’importe le bas conseil quand le retour de la barbarie est sans nom ?

La Hollande est devenue la maison de commerce d’un apprenti sorcier ivre de fureur,
Qui ne sait assouvir ses désirs qu’à se repaître de nos drames et nos malheurs.
Et le point d’orgue de cette cruauté qui arrive,
C’est la mise à mort du génie eu égard à l’exigence du nouvel ordre.

C’est la destruction de toute forme de mémoire : le musée à la dérive.
Sous couvert de défendre la cause, la hyène multiplie les désordres.

Ainsi s’évanouissent dans la fumée le parfum du bouquet
Et le charme de l’éducation, ainsi s’enlisent, là, près des quais,
Toutes ces choses qui devraient susciter en nous de l’envie
Et nous offrir un après-demain qui chante et ravit.

Mais rappelons-le : ce qui naîtra, demain et pour les générations futures,
Ne peut plus être conçu dorénavant que comme une rupture
Entre l’avant-hier rayonnant, porteur de nos joies et de nos élans,
Et ce qui innerve, par des canaux insoupçonnés, le présent : le sang ! »

frédéric grolleau

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