Le repas du corps n’est souvent que le prélude au repos de l’âme.
Pour ceux qui croiraient que tous les repas sont insipides et qu’ils ne sauraient avoir un sens philosophique, les auteurs de ce savoureux Manuel de survie dans les dîners en ville s’attachent avec humour (et érudition !) à montrer, après le réputé Ventre des philosophes de Michel Onfray, combien la dynamique et le relationnel impliqués par le partage des mets supposent au contraire moult interrogations confinant à la sagesse. Car le repas du corps n’est bien souvent que le prélude au repos de l’âme...
Il suffit ainsi de se plonger en focale intérieure sur une soirée fictive - allant de l’apéritf au digestif - pour traquer les poncifs philosophiques qui sont légion en ces parisiennes soirées et traquer de conserve les répétitifs concepts mondains maculant, las, les conversations dînatoires. Les mots à la mode (métaphysique, ontologique, hypermoderne... etc.) sont passés sans pitié au crible critique pour êtres rendus à leur vérité première, loin des faux paradoxes ou des concepts fumeux. Ou de l’art d’apprendre pourquoi le le rock a des fondements présocratiques et pourquoi un chien peut être taxé de "situationniste".
À leur façon, Sven Ortoli et Michel Eltchaninoff - qui écument à l’ordinaire pacifiquement la rédaction de Philosophie magazine davantage que les cocktails mond(a)ins - présentent tant pour les apolliniens que les dyonisiaques un régal de banquet philosophique faisant la nique aux apparences trompeuses comme aux discours de rhéteurs (une poignée de branchés putassiers déjà has been) en mal de charisme.
Bel objet livresque (lettrines, illustrations d’en-tête, fil argenté de la première de couverture... etc.) fort pince-sans-rire, ce petit livre tout en second degré, qui a une consonance assez machiavélienne (sinon machiavélique) avec son art consommé de spéculer sur le poids des apparences urbaines, se parcourt avec un appétit égal d’un bout à l’autre, notre préférence allant à la rencontre avec une inconnue dans l’ascenseur à la Zizek (prodrome du repas), et à la séquence "In vino veritas".
Sel de l’esprit ou fine sauce jamais daubesque, la philosophie se voit donc reconnaître ici une place plus agréable (voire décisive) qu’on pourrait le penser, rappelant à l’envi la formule de Kant dans L’Anthropologie d’un point de vue pragmatique selon laquelle sagesse bien ordonnée ne peut commencer qu’entre amis sachant faire bombance autour d’une table. C’est dit, trink !
frederic grolleau
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