Le Pivot malgré lui
Frédéric Grolleau (© P. Messina) anime la seule émission littéraire du Web
« J'AI DÛ regarder Bernard Pivot une fois cette année. Son émission passe bien le vendredi soir ? » Au royaume des lettres, nul n'est prophète et, à l'évidence, Frédéric Grolleau, le présentateur du rendez-vous littéraire sur Internet de Paru TV, n'est pas à l'aise à l'évocation de son illustre aîné. Différence de style. De génération aussi. A 31 ans, il affronte ses invités une fois par semaine dans un studio surchauffé de 20 mètres carrés pour un direct d'une demi-heure. « C'est la seule émission littéraire sur la Toile, lance-t-il. Je regrette seulement que cela ne se sache pas plus. »
Todorov, Picouly ou encore Bilal et Pennac sont « venus voir ». Ils ont joué des mots sur le plateau comme ils l'auraient fait à la radio où à la télévision. Peut-être un peu plus libres qu'ailleurs, précisément à cause de cette saveur de la découverte d'un autre bouillon de culture. Paru.tv accueille en moyenne environ 2 000 internautes en direct. Mais, grâce à la possibilité de rediffusion en différé, l'audience de chaque émission avoisine 20 000 visiteurs.
« Ma vraie vie, c'est les livres. » Et si Frédéric Grolleau ne se voue pas à plusieurs dieux, il prêche dans plusieurs églises. Il ne se contente pas d'être l'animateur de l'émission de Paru TV, née d'un rapprochement entre le site paru.com et CanalWeb.net. Professeur de philosophie depuis neuf ans à l'éducation nationale, il collabore, à temps perdu, à des revues et des ouvrages collectifs. Ce « livrophage » insatiable est également l'attaché de presse, le rédacteur en chef et l'un des critiques littéraires du magazine paru.com. Face aux caméras, sa diction, posée et enjouée à la fois, est celle de l'orateur confirmé. Son regard trahit la passion qui l'anime et chacun de ses gestes, vifs mais contenus, sont ceux du jeune homme « hyperactif et obstiné » qu'il avoue incarner, en privé. Ce qu'il qualifie, à juste titre, de « théorie du campeur ». Un principe qui le pousse à faire face quoi qu'il arrive, une sorte de « j'y suis, j'y reste et fermement ». Quatre fois recalé à l'oral du Capes de philosophie, qu'il obtient la cinquième année, éliminé deux fois à l'oral de l'agrégation, ce « littéraire refoulé » continue de tourner les pages, d'une ferveur intarissable. Pour Patrick Lienhardt, le directeur de paru.com, Frédéric est le pilier du site ; il loue son perfectionnisme et sa curiosité tout azimuts.
« Sans fiche, ni filet », Frédéric Grolleau convie en direct son invité à un dialogue en tête à tête . Autour des micros du studio, que Daniel Pennac a aimé comparer à des sarbacanes à curare, il invite au débat, relance, guide, et saisit à bras-le-corps le sujet.
« Je suis au four et au moulin », affirme Frédéric Grolleau. Las de ce rythme effréné, il vient d'adresser à l'éducation nationale une demande de mise à disposition. « La finalisation du business-plan de Paru devrait générer quelques créations de postes. Le bénévolat est une page qui se tourne », se réjouit-il. Un début de consécration par ses pairs ? « Il y a un changement, souligne cet agité des lettres . Il m'arrive aujourd'hui de recevoir des ouvrages sans avoir contacté les services de presse des maisons d'édition. »
« Mon épouse n'a jamais regardé une de mes émissions en entier, reprend sans amertume Frédéric Grolleau. Internet est très abstrait et son format n'est pas convivial. On y perd un peu de vie à cause de la technique. Mais on y gagne aussi. Avec ces arrêts sur image, on n'est pas loin du roman-photo. » Jeux de mots et mots d'auteur, il donne à qui veut bien l'entendre le mot de la fin. « Je crée des passerelles entre les textes et c'est ainsi que je vis la littérature. Tel un "passeur", m'a dit un jour le romancier Max Dorra. »
Nicolas Bourcier et Marlène Duretz
Le Monde interactif (Mis jour le mercredi 3 mai 2000)
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